Tester l’accessibilité des ressources numériques : l’exemple de PressReader

Depuis quelques mois, l’accessibilité numérique est un sujet de plus en plus pris en compte par la Bpi, dans le cadre de plusieurs projets.

Après la mise en accessibilité de son catalogue en 2020, les agents contribuant sur les sites de la bibliothèque ont tous été formés à l’accessibilité numérique. A la suite de cette formation, le Service des Ressources Electroniques a souhaité analyser l’accessibilité de ses abonnements en testant une ressource en particulier : PressReader.

©Sergio Parella (licence Creative Commons)

Le discours des éditeurs

Alors que les bibliothèques peuvent améliorer de manière assez autonome l’accessibilité de leurs sites internet, elles sont, pour leurs abonnements numériques, entièrement dépendantes des producteurs des bases de données qui sont les seuls à pouvoir améliorer l’accessibilité de leurs sites. Dès lors, l’accessibilité des bases de données est très variée, selon la politique des éditeurs mais également les contraintes juridiques auxquelles ils sont soumis. Différentes lois sont ainsi en vigueur selon le pays producteur de la ressource numérique :

  • Etats-Unis : l’accessibilité numérique rentre dans la loi contre les discriminations (ADA) de 1990. Dans la pratique, les contentieux se règlent plutôt par des négociations, sans passer devant les tribunaux.
  • En France, le principe d’accessibilité numérique a été encadré avec la loi de 2005, pour les organismes publics ou les entreprises dépassant un certain chiffre d’affaires. Les organisations doivent notamment être conformes au niveau AA du RGAA. Malgré cette législation, l’accessibilité numérique a encore un long chemin devant elle, car ce n’est qu’à partir de 2022 que des sanctions pécuniaires pourront être applicables.
  • Royaume-Uni : c’est avec la loi sur l’Egalité de 2010 que l’accessibilité numérique a été encouragée dans les organismes publics et les entreprises. Cette loi comporte cependant peu de mesures contraignantes, ce qui explique qu’aujourd’hui de nombreux recours soient effectués par des associations constatant l’absence d’accessibilité numérique.
  • Canada : le Standard canadien sur l’accessibilité numérique de 2011 et la loi pour le Canada Accessible de 2019 demandent à se conformer au niveau AA du standard international WCAG mais s’appliquent uniquement aux organismes publics ou aux entreprises encadrées par le gouvernement. Il y a par ailleurs une grande disparité selon les provinces (certaines où les lois sus-citées ne s’appliquent pas ; certaines où au contraire, les lois vont plus loin que les recommandations nationales comme en Ontario).

On le voit, ces réglementations variées ne facilitent pas la prise en compte de l’accessibilité numérique par les éditeurs. Dès lors, les informations concernant l’accessibilité des bases de données sont également plus ou moins affichées sur leurs sites : sur l’ensemble de nos abonnements, seules 14 bases sur 83 font ainsi un point sur leur démarche autour de l’accessibilité, en se positionnant par rapport au WCAG (pour les éditeurs américains comme Gale, Ebsco, Oxford University Press, PressReader) ou au RGAA (pour les éditeurs français comme OpenEdition ou Numérique Premium).

Bien souvent, c’est donc en posant systématiquement la question aux éditeurs lors des négociations ou des formations que l’on parvient à obtenir plus d’informations sur l’accessibilité réelle de leur site. Quoiqu’il en soit, il demeure important de confronter le discours des éditeurs à la réalité.

Tester l’accessibilité des sites : la théorie

Les bibliothécaires peuvent en effet effectuer une série de tests assez simples en totale autonomie, afin de voir si les principaux critères d’accessibilité sont respectés comme par exemple :

  • vérifier que la navigation au clavier seul est possible (être notamment attentifs à la bonne hiérarchie des titres et menus ou à l’utilisation des formulaires)
  • vérifier dans le code source la langue (cela aura une influence sur l’accent de la synthèse vocale, ce qui peut être très gênant)
  • utiliser une synthèse vocale pour comprendre ce qu’entendent des lecteurs malvoyants
  • vérifier l’accessibilité des médias (fonctionnement des lecteurs, existence de sous-titrages etc …)
  • vérifier les contrastes de couleur (comme avec le logiciel libre Colour Contrast Analyser)

Tester l’accessibilité des sites:  la pratique

Tous ces critères ne sont pas forcément pris en compte par les éditeurs, raison pour laquelle le SRE a voulu tester une nouvelle version de site se revendiquant accessible, PressReader, lancée en décembre 2019. Ce test a été réalisé conjointement par Julie Duprat, la chargée de valorisation pour les ressources électroniques et un collègue malvoyant Ali Chihani, utilisateur des ressources de presse pour le service public et dans son travail quotidien. Cette expérience a ainsi permis de montrer les réussites et limites de cette initiative éditoriale.

Capture d’écran de la page « PressReader Accessibily » faisant la publicité de cette nouvelle interface

Les plus

Par rapport à l’ancienne version, conçue pour une utilisation purement tactile, et donc non adaptée aux personnes malvoyantes, la navigation au clavier sur le site en “Accessibility Mode” est bien plus facile : l’interface est simplifiée, les contenus plus hiérarchisés et l’on trouve plus facilement les différentes fonctionnalités (recherche, lecture). On bascule facilement sur ce mode avec la touche Tab.

Les moins

Le diable se niche dans les détails: PressReader étant un éditeur anglais, l’utilisation de la synthèse vocale a permis de montrer qu’une bonne partie des contenus dans le code source étaient encore en anglais ce qui complique la compréhension pour des lecteurs francophones. De plus, une partie de la version accessible n’a pas été traduite en français.

Par rapport à la version normale, on observe également un nombre réduit de fonctionnalités : la barre de recherche ne permet pas de fouiller dans le contenu des articles et il n’y pas de fonctionnalités de traduction ou de partage. 

Témoignage d’Ali Chihani

« Des améliorations ont été apportées mais à mon sens insuffisantes car il y a encore trop de code source en anglais ce qui complique mon utilisation de cette plateforme au quotidien.

Surtout, je voudrais utiliser ce retour d’expérience pour donner un conseil à nos collègues : il est très simple de tester l’accessibilité des sites en utilisant le logiciel NVDA, un lecteur d’écran libre et gratuit pour les utilisateurs de Windows. Vous pouvez l’installer sur votre ordinateur de travail pour constater ce qu’entendent des personnes déficientes visuelles lorsqu’elles naviguent sur un site, utilisent un formulaire etc ..».

Notre collègue Ali propose d’ailleurs une fiche pratique pour expliquer comment réaliser ces tests avec la synthèse vocale NVDA, à retrouver dans les ressources jointes à l’article.

Conclusion – Et après ?

Tous ces points positifs et négatifs ont été remontés à l’éditeur ce qui a permis la mise en place d’un dialogue, encore en cours, pour améliorer la version accessible à partir de nos retours. Il semblerait en tout cas que la version accessible ait fait des émules car l’ergonomie générale de l’Accessibilty Mode a finalement été reprise en juin 2020 sur l’ensemble de la plateforme.
Idéalement, ce genre de test devrait être réalisé pour toutes nos bases mais est impossible à envisager dans l’immédiat car cela demanderait beaucoup de temps au service (en moyenne, une heure de test par base, sans compter les retours aux éditeurs). Seul un travail collectif, avec d’autres collègues voire d’autres bibliothèques, permettrait ainsi de venir à bout de ce projet.

Enfin, ce travail autour de nos abonnements numériques doit également s’accompagner d’améliorations en interne afin de faciliter l’accès aux ressources numériques pour les personnes en situation de handicap, notamment en raccordant les postes des Loges Handicap au réseau Internet général.

Publié le 13/09/2021 - CC BY-SA 4.0

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