Accueillir dans les bibliothèques de Lyon : accueil et médiation au cœur de la politique de développement des publics
par Camille Delon, chargée de développement des publics du champ social à la Bpi

Depuis une dizaine d’années, le réseau des bibliothèques municipales de Lyon développe sa politique d’accueil des publics. La réflexion commence en 2013 après le constat de divers incidents en service public et du manque d’outils adaptés pour y répondre. Depuis, le réseau ne cesse de s’interroger sur le sens de l’accueil, en prenant en considération les spécificités des établissements et leur implantation sur leurs territoires.

Photographie du parvis devant la bibliothèque de la Part-Dieu
© BmL

Au départ, plusieurs constats

Sur le terrain, les équipes constatent que les relations avec les publics se dégradent. Certains usages détournés de la bibliothèque entrent en conflit avec d’autres, plus traditionnels. Les bibliothécaires reçoivent des plaintes d’usagers mécontents de l’état physique de certaines personnes, du fait que d’autres utilisent les toilettes pour laver leur linge, ou encore de la monopolisation de certains espaces par des séjourneurs. 

Face à ces désagréments en service public, les équipes constatent en interne que leurs outils de travail sur les questions liées à l’accueil sont obsolètes : le règlement est trop ancien, les agents n’ont pas de discours commun, il n’y a pas de culture partagée de l’accueil. 

Par ailleurs, le projet d’établissement repose sur l’inclusion de tous les publics. La bibliothèque se veut être un lieu ouvert à tous, et il en est de la responsabilité de l’équipe de réguler tous les usages afin de permettre une bonne cohabitation des publics. 

Commence alors un travail de deux ans en mode projet incluant une cinquantaine de bibliothécaires du réseau. La première année, le groupe de travail rencontre d’autres lieux accueillant du public (la SNCF, des CCAS, d’autres bibliothèques, etc.) puis établit un règlement de visite définissant les règles au sein de l’établissement. Le groupe produit aussi une bibliographie permettant de constituer un socle commun de connaissances sur l’accueil.

La deuxième année, le travail porte essentiellement sur la mise en œuvre du règlement de visite. Des procédures et notes d’application le complètent pour permettre une interprétation commune du document. Un important travail de communication sur les nouveaux outils de l’accueil est réalisé auprès des équipes afin de concrétiser et de faciliter sa mise en application.

Des formations à l’accueil sont montées par le CNFPT et la directrice du département des publics, pour mieux répondre aux spécificités de l’accueil en bibliothèque. Une formation perfectionnement est ensuite organisée, pour continuer à accompagner les équipes et notamment les agents de l’équipe Accueil médiation prévention, qui gèrent les situations les plus délicates. 

Faire cohabiter sans exclure

La réflexion sur l’accueil conduit à repenser certains services aux publics. L’objectif est d’inviter tous les publics à fréquenter la bibliothèque, tout en évitant de créer et de maintenir des tensions entre les différents usages qui peuvent être faits du lieu. Certains mobiliers trop confortables sont retirés afin d’éviter que des séjourneurs ne s’y endorment, le temps d’accès aux postes informatiques est limité pour favoriser une rotation des utilisateurs. Les modalités d’inscription sont aussi simplifiées (le justificatif de domicile n’est plus demandé pour permettre aux personnes sans domicile de s’inscrire), tout comme sont allégées certaines procédure (les sacs des personnes sans domicile connues par les agents de sûreté ne sont plus vérifiés lors des contrôles vigipirates). La BM se dote également d’une boîte à outils afin d’orienter les usagers en difficultés : adresses des lieux d’hygiène, cours de FLE, écrivain public, etc. 

Un organigramme qui donne sa place à l’accueil et les publics

Parmi les six directions que compte l’organigramme de la BM de Lyon, la direction du développement des services et des publics est celle qui prend en charge les questions liées à l’accueil. Le service des publics est lui-même divisé en trois équipes : 

  • L’équipe Prêt est composée d’une dizaine d’agents en charge notamment de l’aide au prêt et au retour sur les automates, des litiges, des inscriptions.
  • L’équipe Accueil / standard compte environ sept personnes en charge du premier accueil dans le hall, de l’orientation de premier niveau, de l’accueil téléphonique et des réservations. 
  • L’équipe Accueil, médiation, prévention (AMP) comprend une dizaine d’agents en charge de l’ouverture des portes, du réapprovisionnement de la documentation des partenaires, de la surveillance des espaces, de la gestion de conflits et des expulsions si nécessaires. Cette équipe est spécifique à la Part-Dieu (un agent AMP a aussi intégré l’équipe de la bibliothèque de la Duchère à la suite de conflits répétés et d’épisodes de violence avec des bandes de jeunes du quartier, mais c’est une exception sur le réseau).

Une équipe dédiée à l’accueil, la médiation, la prévention

Issus des filières technique et administrative, les agents de l’équipe AMP sont aussi sauveteur secouriste au travail (SST) et titulaires du service de sécurité incendie et assistance à personne (SSIAP1).

Ils ne sont pas formés sur les contenus documentaires, mais peuvent être amenés à renseigner le public comme le font les bibliothécaires sur les autres sujets en lien avec la bibliothèque : ils orientent, donnent des informations pratiques ou sur la programmation, accompagnent les usagers qui en ont besoin vers les différents services de la bibliothèque.

Ils sont formés à une médiation interpersonnelle fine, c’est-à-dire qu’ils ont le savoir-faire et les réflexes permettant de maintenir une ambiance apaisée. Leurs compétences reposent essentiellement sur leur capacité à garder leur calme, prendre du recul et installer le dialogue pour créer le lien avec leur interlocuteur. 

Les AMP sont postés aux deux entrées de la bibliothèque de la Part-Dieu et effectuent des rondes au sein et aux alentours de l’établissement (ils sortent sur le trottoir et font le tour de la bibliothèque).

Ils peuvent être appelés par leurs collègues bibliothécaires postés qui se sentent en difficulté face à des situations délicates : conflits entre usagers, agressivité d’un usager, usager qui s’endort et ronfle bruyamment, etc. 

Par ailleurs, la politique managériale consiste à soutenir les propositions et les envies des agents AMP qui souhaitent s’investir dans des projets en lien avec la médiation culturelle. Même si les AMP ne travaillent pas sur les contenus, l’appétence culturelle est très importante et lorsqu’un agent de l’équipe se porte volontaire pour assurer des visites des expositions temporaires présentées à la Part-Dieu, l’initiative est soutenue par la hiérarchie. 

Ni bibliothécaires, ni vigiles, ces agents font partie pleinement de l’équipe du service des publics, ils participent aux réunions et sont intégrés aux projets.

Penser l’accueil avec les acteurs du territoire

Le travail d’accueil et de méditation se consolide aussi en filigrane à travers les liens tissés avec les acteurs du territoire. À la Part-Dieu, le Samu social a inscrit la bibliothèque sur son trajet de rondes régulières. Les intervenants circulent avec les AMP, et abordent ainsi plus facilement des personnes fortement marginalisées. C’est aussi un moment d’échanges de compétences entre le Samu social et les AMP.

À la bibliothèque de la Duchère, l’agent AMP participe aux réunions de quartier sur la sécurité ou aux réunions de coordination de quartier sur les jeunes. La bibliothèque tisse des liens avec les acteurs et les habitants du quartier et construit une relation de confiance qui facilite ensuite l’accueil des publics. 

À la bibliothèque du Bachut, deux médiateurs assurent, là aussi, ce travail de tissage de lien avec le territoire avec les partenaires. L’un d’eux est orienté public adulte et accueille plus particulièrement les publics allophones et en situation de handicap. L’autre médiatrice se déplace dans des structures jeunesse comme les PMI pour y faire de la médiation sur les collections et construire ce lien entre la bibliothèque et les jeunes publics. 

La crise sanitaire a fortement impacté la présence des publics précaires à la Part-Dieu. À cause de l’instauration du Pass sanitaire, les agents constatent une perte de 80% des publics séjourneurs précaires. Même si, parmi eux, certains possèdent un Pass, les habitudes ont été bouleversées par la crise et le retour à la bibliothèque ne se fait pas spontanément. 

De l’humain avant tout

Ce qui semble commun aux bibliothèques du réseau lyonnais, à la fois cause et conséquence de la politique d’accueil portée par le réseau, c’est l’intérêt pour la relation aux publics. Les professionnels sont tous profondément sensibles au relationnel, à l’humain, et développent quotidiennement une relation particulière avec leurs usagers.

À la maison d’arrêt de Corbas, la bibliothécaire de l’équipe hors les murs qui assure les permanences prend le temps de discuter avec un détenu de choses et d’autres alors qu’elle le croise dans un couloir. Elle le conduit progressivement à se confier sur ses centres d’intérêts. Elle finit par lui conseiller un livre, il lui promet qu’il passera la voir à la bibliothèque de la maison d’arrêt.

La médiatrice culturelle de la médiathèque du Bachut, quant à elle, se souvient d’une mère assise sur un tapis de lecture avec son enfant, se surprenant à rire à la lecture d’un album jeunesse alors que son petit vaque à ses occupations. De cette façon, elle a pu rencontrer cette femme. 

De nombreux souvenirs d’échanges avec les publics sont régulièrement évoqués lorsque les bibliothécaires parlent de leur travail, traduisant leur attachement aux publics dans leur grande diversité. 

Publié le 06/07/2022 - CC BY-SA 4.0

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