Collections, politiques documentaire et pluralisme dans la loi Robert
par Adèle Martin

Ce deuxième article de notre dossier consacré à la loi Robert au 68ème congrès de l’ABF développe les implications de la loi concernant la nature des collections et la politique documentaire.

Des collections diverses et plurielles

S’agissant des collections, l’article 4 , qui définit les collections des bibliothèques, précise qu’elles sont constituées de livres et des « autres documents et objets nécessaires à l’accomplissement de leurs missions ». Le texte, en offrant une acception large de ce que sont les collections des bibliothèques, laisse une grande liberté d’action aux établissements qui peuvent faire le choix de proposer des objets divers, dans la mesure où ceux-ci permettent de mener à bien leurs missions (voir le premier article du dossier). La loi Robert entérine de ce fait ce qui est depuis longtemps une réalité pour certains établissements qui ont développé des services innovants, ouvert des fablabs ou initié du prêt d’objets, diversifiant par là même les moyens d’accès à la culture, aux savoirs et aux loisirs.

Photographie de l'espace travaux pratiques avec des objets à emprunter
Espace travaux pratiques avec des objets à emprunter aux 7 Lieux à Bayeux © Bpi

L’article 5 affirme spécifiquement le principe du pluralisme des collections. Ce pluralisme doit être politique et idéologique autant que culturel et il faut se prémunir de toute forme de censure. La profession s’était émue en 1998 de l’arrivée des premières municipalités FN, et des premières affaires de censure ou de tentative de prise d’influence sur les acquisitions des bibliothèques. On peut également se souvenir des procès d’intention menés par des collectifs d’usagers au nom de la protection de la jeunesse. Véronique Soulé avait commenté certaines de ces affaires dans un article paru en 1999 au Bulletin des bibliothèques de France : « Censures et autocensures : autour du livre de jeunesse ».

De l’intérêt d’une politique documentaire formalisée

Un outil de communication efficace

La formalisation de la politique documentaire permet de disposer d’un outil de communication efficace pour se prémunir de pressions qui pourraient venir de l’extérieur de la bibliothèque (pouvoirs publics, usagers…). L’article 7 de la loi Robert confirme d’ailleurs, si cela était nécessaire, que la politique documentaire est élaborée par la bibliothèque et présentée aux autorités administratives dont elle dépend, pour être éventuellement votée. En tout état de cause, sa définition est sans ambiguïté la prérogative de la bibliothèque.

Un garde-fou contre ses propres biais de sélection

Les bibliothèques doivent également être vigilantes quant à la façon dont elles constituent leurs collections. Les responsables documentaires doivent en effet opérer des sélections et donc faire des choix. Or, comme tout un chacun, ils peuvent être sujets à des biais sociaux et culturels, ce qui peut influencer les acquisitions, avec le risque de créer des déséquilibres dans les collections. La politique documentaire, qui doit être plus qu’un simple vœu pieu, permet de réduire ce risque. Issue d’une démarche concertée de mise à distance et d’analyse critique, sa construction passe par l’élaboration d’un certain nombre d’outils.

Il faut également éviter d’adopter des positions exagérément prescriptrices et d’établir des hiérarchisations culturelles excluantes. Ainsi que Dominique Lahary a pu le rappeler, l’égalité de traitement, c’est aussi faire en sorte que chaque citoyen, en entrant dans la bibliothèque, y trouve des choses qui lui soient déjà familières. Là encore, la politique documentaire est un bon garde-fou. Régulièrement actualisée, elle procède d’un cheminement intellectuel itératif et résulte d’une tension perpétuelle entre l’offre et la demande.

Pour une politique documentaire intégrée au niveau du réseau

Le devoir de représentation induit par le pluralisme n’entraîne pas forcément l’encyclopédisme des collections. En effet, l’article 5 de la loi précise que celui-ci est à moduler en fonction du niveau et de l’éventuelle spécialisation de la structure. Ainsi dans le cas de petites bibliothèques, c’est au niveau du réseau que le pluralisme peut se réaliser pleinement. L’intégration de la politique documentaire au sein des réseaux documentaires est d’ailleurs un des enjeux qui émerge, dans une période où les restrictions budgétaires sont de mise.

La politique documentaire : un enjeu managérial

Les modalités d’attribution des fonds documentaires au sein des équipes conditionnent également l’équilibre et la diversité de l’offre. Afin d’éviter que cette offre, dans un domaine de collection donné, ne résulte que du regard singulier d’un collègue, il semble souhaitable de faire évoluer dans le temps la répartition des fonds documentaires en adoptant un système de roulement. Un juste milieu est à trouver entre spécialisation et polyvalence des collègues responsables documentaires, la spécialisation attendue n’étant en aucun cas une expertise. Jérôme Pouchol propose ainsi, pour l’attribution des domaines documentaires, une durée de 4 à 5 ans, suffisante pour construire une offre et mettre en œuvre un plan de développement des collections.

Un tel fonctionnement nécessite une attention particulière portée aux conditions de transmission des fonds. Outre les fiches domaine, des systèmes de tutorat peuvent être mis en place au moment des prises de poste des responsables documentaires. Le recours à des experts extérieurs peut par ailleurs permettre de s’assurer de la qualité des fonds.

En plus d’un enjeu scientifique, il y a donc un véritable enjeu de management puisque la répartition des domaines de collections doit être équitable et muable dans le temps. Le principe de roulement des fonds est plus facilement accepté lorsqu’il est installé d’entrée de jeu, néanmoins, ce mode de fonctionnement a pu être instauré a posteriori dans certains établissements. Ainsi, si les fiches de poste de la nouvelle médiathèque Nord de l’Eurométropole de Strasbourg, qui doit ouvrir ses portes fin 2023 à Schiltigheim, ont posé ce principe d’entrée de jeu, au sein du réseau Ouest Provence, c’est en 2001, alors que se structurait le pilotage de la politique documentaire que ce fonctionnement a été mis en place.

Adèle Martin est cheffe du service Savoirs pratiques de la Bibliothèque publique d’information (Bpi).

Publié le 09/09/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Bambou

Le blog Bambou, spécialisé dans le domaine des sciences de l’information et de la documentation, présente des exemples d’outils et des réflexions sur l’organisation de la politique documentaire. 

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