Loi Robert : origines et perspectives
Compte rendu de la journée d’étude « Après la loi Robert : un nouvel horizon pour les bibliothèques »

Le 3 avril 2023, l’ADCRFCB organisait une journée d’étude nationale dédiée aux origines et aux effets de la loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, en présence de la sénatrice Sylvie Robert.

Après la loi Robert : un nouvel horizon pour les bibliothèques, affiche de la journée d'étude nationale de l'ADCRFCB, organisée par Médiadix le 3 avril 2023 à la médiathèque Marguerite Yourcenar (Paris) © Médiadix

Un peu plus d’un an après le vote, le 21 décembre 2021, à l’unanimité des deux chambres, de la loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, portée par la sénatrice Sylvie Robert, cette journée d’étude a été à la fois l’occasion de revenir sur les origines lointaines et récentes de cette loi et de tracer les perspectives qu’elle ouvre.

Philippe Marcerou, de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, a d’abord porté un regard rétrospectif sur les quarante ans qui ont précédé ce vote.

Lors d’une table ronde, Loriane Demangeon (présidente du bureau de l’ABF Lorraine) et Céline Meneghin (co-présidente du conseil d’administration de l’ABD), ont raconté comment les associations professionnelles avaient été véritablement impliquées dans la définition du projet de loi.
Ces témoignages ont été suivis par celui de Sylvie Robert. La sénatrice a expliqué comment cette loi s’inscrivait dans son parcours politique personnel et dans un moment politique particulièrement favorable aux bibliothèques.

Les deux dernières interventions se sont concentrées sur les lendemains de la loi. Dominique Lahary (ABF) a mis en exergue les conséquences de cette loi pour les bibliothécaires. Enfin, Jérôme Belmon (ministère de la Culture, DGMIC-SLL, chef du département des bibliothèques) a tracé les perspectives ouvertes par la loi et esquissé ses possibles prolongements juridiques et opérationnels.

Les origines de la loi

L’expression de « serpent de mer » est revenue à plusieurs reprises au cours de cette journée. Elle rend compte de la durée de gestation d’une loi que l’on n’attendait plus, et qui est arrivé plus de 20 ans après la loi sur les archives et celle relative aux musées de France.
Philippe Marcerou fait remonter le processus qui a amené à la loi bibliothèques aux années quatre-vingt et à l’effort considérable de rattrapage par rapport aux autres pays de l’OCDE opéré sous le ministère Lang. Jusqu’en 1995, plusieurs lois de programmation offrent une hausse considérable des moyens alloués aux bibliothèques, mais aucune ne porte sur le cœur des missions des bibliothèques.

Or, en 1995, l’élection de plusieurs maires Front national rend prégnant le besoin d’une loi protectrice qui définirait clairement le rôle des bibliothèques au sein des collectivités territoriales et leurs rapports aux élus.
Avant cette élection déjà, les questionnements politiques, éthiques et moraux avaient amené la profession à se doter, à défaut de loi, de plusieurs outils déontologiques, au niveau national et international : Charte des bibliothèques du Conseil supérieur des bibliothèques (1991), Code de déontologie des bibliothécaires par l’ABF (2003), Manifeste des bibliothèques publiques de l’IFLA et de l’Unesco (1994, mis à jour en 2022), ou encore Code d’éthique de l’IFLA (2012).

De cette réflexion déontologique émerge en particulier le principe central de pluralisme des collections. D’un point de vue pratique, ce principe entraîne la diffusion de l’idée de Bertrand Calenge de plans de développement des collections et des chartes documentaires validés par les élus.

En dépit de l’absence de loi, Philippe Marcerou souligne toutefois le nombre limité de contentieux concernant les bibliothèques. Mais, comme l’indique Noé Wagner, co-auteur du livre Le Droit des bibliothèques : règles et pratiques juridiques (2021) cité par Philippe Marcerou, sans loi, la déontologie reste un « ventre mou », un « droit désenchanté ». La loi Robert est ainsi venue clarifier le cadre législatif encadrant l’action des bibliothèques.

Le fruit d’un « moment bibliothèque »

« Serpent de mer », on l’a dit, le projet d’une loi sur les bibliothèques avait été abandonné en 2003 au profit d’une loi sur le droit de prêt. En 2021-2022, le projet de loi porté par la sénatrice Sylvie Robert a au contraire bénéficié d’un « moment bibliothèque » soutenu par une volonté politique au plus haut sommet de l’État.
Ce moment s’est ouvert en 2015 par le rapport sur les horaires d’ouverture de Sylvie Robert déjà, commandé par Fleur Pellerin, alors ministre de la Culture. Il s’est prolongé en 2017-2018 par la mission confiée à Erik Orsenna et le rapport Orsenna-Corbin qui en est issu.

Parallèlement à la loi relative aux bibliothèques, la députée Laure Darcos travaillait de son côté à un projet de loi sur l’économie du livre qui sera promulgué une dizaine de jours après la loi Robert. La question du livre et de la lecture était donc, pendant quelques années, un réel sujet d’attention politique.

Un outil d’advocacy, fruit de la collaboration avec les associations professionnelles

La loi Robert est aussi le fruit d’un travail de concertation étroit avec les principales associations professionnelles : ABF (Association des bibliothécaires de France), ABD (Association des bibliothécaires départementaux) et ABDGV (Association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et groupements intercommunaux des villes de France). Dès leur première sollicitation par la sénatrice, les associations ont commencé à travailler ensemble pour accompagner la définition de la loi.

Infographie de l'ABF "Loi Robert, pour quoi faire", expliquant l'utilité de la loi Bibliothèque en 6 points : 1 Définir nos missions ; 2 Rappeler que la bibliothèque est un service public ; 3 Légitimer notre rôle social dans les grands enjeux sociétaux ; 4 Légaliser l'évolution de nos métiers sans les figer ; 5 Inciter et encadrer sans contraindre (ou très peu) ; 6 Favoriser la mise en réseau

Pour les associations réunies en table ronde, cette loi est un excellent outil d’advocacy des bibliothèques, de vulgarisation auprès des élus de ce que sont les missions d’une bibliothèque. La loi permet aux bibliothèques et aux élu·es d’engager plus facilement le dialogue.

C’est également un outil de formation, notamment pour les nombreux bénévoles qui travaillent en bibliothèque. La bibliothèque départementale d’Indre-et-Loire propose ainsi un quizz sur la loi, à destination des bénévoles. Et, afin de faciliter son appropriation sur le terrain, l’ABF propose aussi un mode d’emploi sur la loi, conçu en relation avec Sylvie Robert et le Service du Livre et de la lecture.

« Un cadre, pas un carcan » (Dominique Lahary)

Attendue par beaucoup jusqu’en 2003, l’idée d’une loi sur les bibliothèques ne faisait cependant pas l’unanimité au sein de la profession. L’ensemble des collègues n’était pas convaincu par sa nécessité. Certain·es craignaient aussi d’y trouver un carcan, qui rigidifie les bibliothèques et entrave notamment leurs capacités d’adaptation aux évolutions des usages. Au contraire, dans sa présentation, Dominique Lahary, qui avoue avoir fait partie de ceux-là, salue la mutabilité offerte par une loi qui encadre sans figer ni contraindre.

A posteriori, on a aussi pu critiquer une loi qui « enfonçait des portes ouvertes ». Mais cette loi s’adresse aussi aux élus. Un de ses apports majeurs est de faire connaître les bibliothèques comme de véritables outils de politique publique des collectivités territoriales. En cela, elle facilite le dialogue des bibliothécaires avec l’administration et les élu·es.

Pour Dominique Lahary, la loi est même une « boîte à outils de légitimation ». Elle ne définit pas les bibliothèques par un objet, mais par des missions et des moyens. Elle inscrit les principes qui régissent l’action des bibliothèques dans les principes du service public, qui transcendent les politiques.

La responsabilité de la mise en œuvre de cette loi repose maintenant sur les bibliothécaires. Dominique Lahary met, sur ce plan, deux points en avant : la politique documentaire, à présenter à la tutelle, et les schémas intercommunaux.

Possibles prolongements réglementaires et opérationnels

La loi Robert est applicable depuis son vote, sans nécessité de décret d’application. Elle pourra toutefois connaître des prolongements juridiques et réglementaires, notamment à la faveur de l’inscription des bibliothèques au programme de travail 2023-2026 de l’Union européenne en faveur de la Culture. Jérôme Belmon en cite quelques exemples :

  • Le numérique ne figure pas dans la loi mais pourrait faire l’objet de décrets postérieurs.
  • On peut aussi imaginer des dispositifs de protection des documents en main privée, comme c’est le cas pour les monuments historiques.
  • Les qualifications professionnelles et la formation des bibliothécaires territoriaux pourraient aussi évoluer, de même que les décrets statutaires des cadres d’emploi de la fonction publique territoriale des bibliothécaires.
  • La transition écologique pourra aussi amener de nouveaux textes, depuis les référentiels touchant aux bâtiments jusqu’à la question de la seconde vie des documents.
  • Enfin, l’Outre-mer pourrait faire l’objet d’un dispositif législatif spécifique, avec la création d’une DGD Outre-mer.

Sur le plan opérationnel, la question des territoires ruraux, qui peuvent souffrir d’une certaine déshérence des services publics, est cruciale pour Sylvie Robert comme pour le ministère. Ce dernier voit dans les bibliothèques départementales des outils essentiels dont les missions pourraient être étendues aux villes petites et moyennes.

Par ailleurs, une réflexion est menée au niveau interministériel pour former les collègues de la filière animation afin d’accroître la présence du livre dans les activités périscolaires proposées aux enfants, mais aussi d’offrir une piste de reconversion aux animateur·rices.

Enfin, sont évoqués le portail du livre accessible et adapté, adossé à une bibliothèque numérique pour récupérer les documents accessibles ou demander une adaptation, ainsi que la campagne nationale de communication sur les bibliothèques qui sera lancée à la rentrée 2023.


Publié le 28/05/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Mode d'emploi de la loi Robert sur les bibliothèques territoriales

Retrouvez l’infographie réalisée par Olivier Sampson pour l’ABF ainsi que les ressources de l’association pour comprendre et tirer le meilleur profit de la loi Robert.

Le Droit des bibliothèques : règles et pratiques juridiques


Dalloz, 2021

Une synthèse sur les dispositions législatives encadrant la gestion des bibliothèques, la responsabilité des collections et l’accès aux établissements. ©Electre 2021

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