The Velvet Underground
de Todd Haynes

Sortie en salle le 15 octobre 2021.

Les grandes figures de l’histoire du rock ont inspiré Todd Haynes depuis toujours. Le cinéaste a mis en scène des personnages évoquant David Bowie et Marc Bolan dans Velvet Goldmine (1998), ou raconté la vie de Bob Dylan interprétée par six comédiens dans I’m Not There (2007).

Poster pour The Velvet Underground, a documentary film by Todd Haynes
Poster pour The Velvet Underground, a documentary film by Todd Haynes © Polygram Entertainment, LLC 2021 (DR)

L’avis du bibliothécaire

The Velvet Underground est son premier documentaire. Pour accompagner la trajectoire du plus arty des groupes rock new-yorkais, le cinéaste déploie un impressionnant et vibrant kaléidoscope d’images et de son. 

Todd Haynes s’inspire directement des formes libres du New American Cinema et notamment de l’emblématique film d’Andy Warhol The Chelsea Girls (1966). Son écriture à facettes privilégie une très grande liberté d’associations (pas seulement) visuelles. Le split-screen est un procédé très ancien (Napoléon d’Abel Gance, 1927). Le cinéaste en fait un usage intensif en dépliant et en fluidifiant l’espace à l’intérieur de son écran. Le fractionnement constant de l’écran reconfigure ainsi en permanence notre point de vue, pour donner forme liquide aux influences croisées que le film évoque. Grâce à cette grammaire visuelle, le récit est moins propulsé par la parole, que par les images et les quelques morceaux du groupe choisis pour le scander. 

Dans cette géométrie variable, s’inscrit une multitude d’archives de toute nature, images fixes ou animées mais toujours en mouvement, ainsi que les entretiens réalisé en 2018 avec Jonas Mekas, John Cale et la batteuse Maureen « Moe »Tucker, la critique Amy Taubin, Mary Woronov ou l’épigone Jonathan Richman.

Cette appétence pour l’archive trouve dans son procédé d’écriture un écrin qui défie non seulement les conventions mais permet aussi de respecter le format des archives de manière très créative. Les images sont particulièrement riches du côté du Andy Warhol Museum : bandes tests, publicités, photographies de tournage, sans oublier les nombreux films du plasticien ; auquel Todd Haynes ajoute archives de télévision, flyers, affiches, pochettes, etc., ne disposant d’aucun enregistrement sonore du groupe sur scène à sa disposition.

Cette virtuosité n’est pas une vaine figure de style. Elle ambitionne de nous faire ressentir de manière active, les influences croisées du cinéma, de la musique et de la littérature dans les avant-gardes du New-York des fifties et sixties.

Andy Warhol shooting Still from The Velvet Underground, a documentary film by Todd Haynes © Polygram Entertainment, LLC 2021 (DR)

Son film est dédié à Jonas Mekas. Le cinéaste né en Lituanie, resitue l’expérience fondatrice de la Film-maker’s Cooperative et celle de l’éphémère Film-Maker’s Cinematheque (1966). Avec les sulfureux Kenneth Anger et Jack Smith, ou avec Shirley Clarke, ces cinéastes accompagnent une recherche visuelle volontiers transgressive, qui nourrit Andy Warhol depuis Sleep (1963) jusqu’à Andy Warhol’s Exploding Plastic Inevitable (1966/1967), les performances au cours desquelles Warhol projette ses films sur le groupe jouant avec Nico sur la scène du Dom.

« Je savais que ces films d’avant-garde des années 1960 devaient fournir la fibre du mien, explique Todd Haynes. Je savais que je voulais me concentrer presque exclusivement sur les années pendant lesquelles le groupe a enregistré [de 1967 à 1970], leurs origines et les années qui ont précédé le premier disque ; comment le son et les personnalités se sont trouvés, l’un et les autres. » 

John Cale est comme Jonas Mekas avant lui, un migrant européen. Né au Pays de Galles, Cale fréquente dès son arrivée l’avant-garde new-yorkaise. L’influence de John Cage, puis des drones de La Monte Young, est presque palpable dans le crissement des variations microtonales qu’il joue inlassablement sur son alto électrifié. Ses expériences avec The Dream Syndicate, Tony Conrad et Angus MacLise fondent une hyper-temporalité musicale, qui converge avec les conceptions élargies du cinéma (expanded cinema) de Mekas ou Warhol (Sleep).

John Cale Still from The Velvet Underground, a documentary film by Todd Haynes
John Cale Still from The Velvet Underground, a documentary film by Todd Haynes © Polygram Entertainment, LLC 2021 (DR)

La troisième source est littéraire et se confond avec la personnalité revêche de Lou Reed. Les figures alter-littéraires que sont Delmore Schwartz et surtout Allen Ginsberg traversent en effet le sillage du guitariste autodidacte. 

Après une première expérience musicale collective et chaotique, l’ambition littéraire de Reed se déplace très tôt sur le terrain de la chanson, avec cette forme précieuse de poésie de la rue et des bas-fonds, crue et subversive. Son portrait en creux, Reed est disparu en 2013, n’épuise en rien la part d’ombre et de mystère de la rock star.

The Velvet Underground: a documentary film by Todd Haynes se distingue de tous les autres bio-documentaires par sa forme incandescente et sa recherche étymologique à spectre large. La mise à jour des influences artistiques, musicales et littéraires des avant-gardes new-yorkaises des années 1960, synthétise le principe actif d’une expérience multi-dimensionnelle. Ne cherchez dans son film ni nostalgie, ni canonisation des héros d’hier, mais une vibration ontologique faite cinéma.

Rappel

The Velvet Underground de Todd Haynes – 2021 – 2 h 01 min – Production : Polygram Entertainment – Distribution : Apple TV+, Dulac cinémas

Publié le 19/10/2021 - CC BY-SA 4.0

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