Séances virtuelles de la Cinémathèque du documentaire (2020-2021)
Un renouvellement partiel des publics

En 2020 et 2021, la programmation de La Cinémathèque du documentaire a su rebondir et s’adapter à la fermeture des salles de cinéma pour maintenir une activité de diffusion de cinéma documentaire soutenue tout au long de l’année. Ainsi, entre le 30 octobre 2020 et le 28 mai 2021, 106 séances en ligne ont été organisées, générant 9 396 visionnages.

Capture d’écran du site Bpi.fr, programmation de la Cinémathèque du documentaire

À l’issue de cette programmation inédite quant à son mode d’accès, une enquête par questionnaires auto administrés a été diffusée aux utilisateurs du service (environ 3 000 contacts), afin d’appréhender leur satisfaction, leurs usages, ainsi que l’expérience particulière que représente la transposition en ligne d’une séance de cinéma documentaire. Diffusé durant la première quinzaine de juin, ce questionnaire a reçu 406 réponses. Il en ressort l’image d’un service ayant globalement satisfait un public partiellement nouveau (à 44 %), géographiquement plus divers mais socialement similaire aux profils des spectateurs en salle.

Une séance plus solitaire

Un peu plus du quart des répondants affirment avoir regardé les films diffusés en compagnie d’une autre personne ou plus.

En regard, 74 % affirment avoir été des spectateurs individuels.

Cette part des spectateurs solitaires semble plus élevée que dans un contexte «normal» de projection en salle. En effet, une étude du CNC sur les publics du cinéma en 2018 estimait qu’environ 60% du public allait au cinéma en couple, en famille, avec des amis ou des collègues. La comparaison avec le festival Cinéma du Réel va dans le même sens : 47 % des personnes interrogées affirmait venir avec d’autres, en 2008 ; 45 % en 2012.

Du point de vue matériel, cette forte majorité d’usager.e.s expérimentant seul.e.s les séances en ligne peut être mise en parallèle avec le nombre de visionnages sur «petits» écrans. En effet, 88 % des personnes interrogées ont regardé leur(s) séance(s) sur un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Davantage comparables à l’expérience d’une projection en salle, les expériences sur TV connectée ou via un «autre» moyen de diffusion (par exemple : via un vidéoprojecteur), ne représentent qu’environ 12 % des réponses.

On peut éventuellement envisager une influence technique, du mode d’accès distanciel, sur cette propension au visionnage solitaire. Cependant, le contexte général des contraintes sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 nous semble davantage expliquer cette tendance. En effet, le public parisien, qui a constitué 48 % du public des séances virtuelles, comporte une forte proportion de foyers composés d’une personne seule (51,7% en 2018). Dans le contexte des mesures de distanciation sociale, cela représentait autant de personnes qui ne pouvaient effectuer qu’un visionnage solitaire.

Une géographie particulière

En comparant les lieux de résidence des spectateurs des séances virtuelles avec ceux des spectateurs du festival Cinéma du réel (édition 2012) et ceux des usagers de la Bpi (baromètre 2018), on constate que les séances en ligne sont inscrites dans une géographie particulière du public. Les publics non franciliens y sont particulièrement présents.

Carte de la part du public résidant hors Ile-de-France, entre le public de la bibliothèque, le public de Cinéma du Réel (2012) et le public des séances virtuelles

Ainsi, pour les séances virtuelles, la proportion du public résidant  en dehors de l’Ile-de-France s’élève à plus du tiers du public total. Cette tendance a déjà été observée à l’occasion du festival Cinéma du réel dont 19 % du public venait, en 2012 et de façon présentielle, d’au-delà de la région parisienne, contre 6 % pour les publics de la Bpi (en 2018).

L’accessibilité en ligne des séances de La Cinémathèque du documentaire semble donc avoir nettement renforcé l’aptitude de la programmation de cinéma documentaire à rayonner sur un territoire plus large que celui de la bibliothèque. Plusieurs commentaires libres, recueillis durant l’enquête, abondent dans ce sens, en pointant notamment la rareté ou l’absence de ce type de programmation en dehors de Paris.

En Ile-de-France, un public très parisien

Dans les publics franciliens, le public parisien est trois fois plus présent que celui résidant en banlieue.

Carte des publics des séances virtuelles résidant à Paris et en Ile-de-France
Répartition des publics de la Bpi résidant à Paris et en Ile-de-France hors Paris

Cette répartition contraste fortement avec la composition du public de la bibliothèque où, en 2018, parisiens et “banlieusards” se côtoyaient à proportions quasiment égales (respectivement 46% et 48%).

Cette tendance peut éventuellement être considérée comme inhérente à la programmation de cinéma documentaire. En effet, en 2012, le festival Cinéma du réel rassemblait 59 % de parisiens, contre 48 % de franciliens. Cependant, l’écart entre ces deux publics passe de 11 à 32 points, si on compare le public du Cinéma du réel de 2012 avec celui des séances virtuelles de 2020/2021.

Carte des publics de Cinéma du Réel (2012) résidant à Paris et hors Ile-de-France

Cette disproportion entre deux offres culturelles, similaires quant à leurs contenus, nous semble pouvoir être interprétée comme le révélateur de contextes de diffusion et de réception par les publics radicalement différents. En effet, le cadre d’un festival permet de nombreuses formes de médiations et d’accompagnement des publics, y compris éloignés, tandis que les séances virtuelles laissent davantage la place au libre jeu des goûts et des affinités culturelles de chacun.e.s, dans un environnement concurrentiel de contenus en ligne.

Un renforcement de la structure du public du cinéma documentaire?

Outre la dimension géographique, d’autres aspects dans la structure du public du cinéma documentaire semblent être accentués par un mode d’accès dématérialisé. En effet, le public des séances en ligne est aux deux tiers féminin, soit quatre points de plus que pour Cinéma du réel et 18 points de plus que pour les usagers de la bibliothèque.

Genre des publics (bibliothèque, Cinéma du Réel 2012, Séances virtuelles)

Le public des séances en ligne est également relativement âgé : 53 ans en moyenne, contre 43 ans pour l’édition 2012 de Cinéma du réel et 28 ans pour la bibliothèque en 2018. Cependant, ces différentes «photographies» des publics étant prises dans des conditions différentes (festival en présentiel d’un côté, programmation «habituelle» de séances en ligne), il nous semble difficile de déduire un lien direct entre le mode de diffusion dématérialisé et l’âge des spectateurs du cinéma documentaire.

Age des publics (bibliothèque, Cinéma du Réel 2012, Séances virtuelles)

En miroir de la répartition par tranches d’âges des publics, on trouve près d’un tiers de retraités dans le public des séances en ligne et une présence étudiante réduite, par rapport aux publics de Cinéma du réel ou de la bibliothèque.

Activité des publics (bibliothèque, Cinéma du Réel 2012, Séances virtuelles)

Un public spécifique

À travers ses différentes caractéristiques, le public des séances en ligne apparaît comme largement spécifique au cinéma documentaire et, dans une moindre mesure, à celui de l’action culturelle.

Répartition des réponses du public des séances virtuelles à la question "Fréquentez-vous la Bpi et / ou ses événements?"

56 % des spectateurs des séances en ligne ne fréquentent pas la bibliothèque.

Les actions culturelles sont le principal point de rencontre de ce public avec les autres activités de la Bpi (28 %).

Seuls 16 % affirment également fréquenter la bibliothèque.

Pour preuve d’une présence importante d’un public déjà «aguerri» au cinéma documentaire, on peut remarquer des «intensités»de visionnages similaires entre les séances en ligne et Cinéma du réel (festival dont le public est très majoritairement composé d’accrédités). Pour l’édition 2020 de ce dernier, on estime que : 

  • 44 % du public a visionné  quatre films ou plus ;
  • 14 % en a vu sept ou plus.

Pour les séances virtuelles de La Cinémathèque du documentaire, les données sont très proches : 

  • 40 % des répondants affirment avoir vu quatre films ou plus ;
  • 15 % affirment en avoir vu sept ou plus.

Cependant, le public de ces séances virtuelles ne fut pas seulement constitué d’habitué.e.s. En effet, 44 % des répondants ont affirmé n’avoir jamais fréquenté la Cinémathèque du Documentaire.

Répartition des réponses du public des séances virtuelles à la question «Avez-vous déjà fréquenté les séances en salle de la Cinémathèque du documentaire ?»
Répartition des réponses du public des séances virtuelles à la question « Avez-vous déjà fréquenté les séances en salle de la Cinémathèque du documentaire ? »

Ces 44 % de nouveaux usagers semblent largement imputables à la capacité du numérique à desservir un territoire plus vaste de publics (36 % de non franciliens), mais aussi à proposer un mode d’accès souple. En effet, les contraintes horaires ou de transports sont des motifs plusieurs fois cités parmi les personnes (35 %) indiquant ne pas avoir l’intention d’assister à une séance en salle, suite à l’allègement des contraintes sanitaires. Pour ces usagers, la mise en place des séances virtuelles semble avoir permis un « effet d’aubaine » temporaire. Pour cette frange du public, le retour à une offre présentielle implique également celui des contraintes géographiques (distance, transports, horaires…). 

Cependant, le « taux de conversion » des « usagers numériques » aux « usagers sur site » n’est pas nul. En effet, une partie des nouveaux publics, touchés grâce à la mise en place de cette offre numérique, affirment avoir l’intention de venir aux séances de la Cinémathèque, suite à la réouverture des salles. Ce public « converti » représente 9 % des répondants.

Publié le 07/09/2021 - CC BY-SA 4.0

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