Portraits de lectrice # 4 : Aurélie
par Elodie Hommel, docteure en sociologie, enseignante à l'ITIC (Université Paul Valéry Montpellier 3) et chercheuse associée au Centre Max Weber

Portrait d’une jeune lectrice réalisé par la sociologue Élodie Hommel, dans le cadre d’une enquête qualitative sur les parcours de lecture des jeunes adultes, menée en partenariat avec le Service études et recherche (SER) de la Bpi et le Centre Max Weber de l’ENS Lyon.

Aurélie, 25 ans et issue d’une famille de classe moyenne (parents techniciens en météorologie), est infirmière en psychiatrie. Lisant  environ un livre par mois, ce qui la classe parmi les moyens lecteurs, elle décrit ses lectures comme irrégulières, avec une alternance de périodes de lecture intensives, quand un roman la passionne («  je vais avoir envie de le lire, tout, tout de suite, parce que j’ai envie de savoir la suite »), des périodes sans lectures (« y a des fois où je peux ne pas lire pendant plusieurs mois ») et des périodes « moyennes », où elle lit « un peu chaque jour ». Son parcours lectoral présente une certaine stabilité en termes de goûts, mais une baisse progressive de la quantité de lectures. Malgré le caractère intermittent de ses lectures, Aurélie y est attachée, et pense que ça lui manquerait de ne plus lire du tout. Elle déplore les périodes de creux où elle ne parvient pas à lire « ça me gêne parce que j’aimerais bien lire [mais] j’arrive pas à être concentrée en fait, parce qu’il y a trop de choses de la vie autour qui m’accaparent ». Elle présente également comme une évidence le fait de transmettre le goût de la lecture à ses futurs enfants : « c’est sûr que je leur lirai des histoires ». Ses lectures se décomposent en deux grandes catégories : des romans, en particulier des « romans drôles », qu’elle lit pour se détendre, et des lectures pratiques (recettes de cuisine, conseils de voyage) en grande partie dématérialisées. 

Lectures de romans : évasion et identification

couverture « Les Feller » © Harper Collins

Aurélie lit principalement des romans qu’on pourrait associer à une catégorie médiatique en vogue : les feel good books, ces romans qui présentent une vision positive et optimiste de la vie. Sans utiliser ce terme, elle souligne le caractère humoristique et léger des titres qu’elle lit habituellement : « je lis plutôt des romans qui sont drôles, enfin qui parlent d’une vie assez simple en général, j’aime pas trop les trucs prise de tête ». Elle dit apprécier les histoires qui parlent de « romance ou un peu de la vie de tous les jours ». Au moment de l’entretien, elle vient de finir de lire Les Feller de Susanna Fogel, qui lui a justement plu parce que « c’était drôle, […] on pouvait bien se marrer ». Son auteur préféré est Gilles Legardinier, qu’elle décrit comme « une valeur sûre ». Elle apprécie les situations cocasses mises en scène dans ces récits qui l’amusent, ainsi que la description de la psychologie des personnages. Elle ne se rappelle pas exactement comment elle a découvert cet auteur, peut-être via un livre offert par sa grand-mère ou par hasard en librairie, mais elle se souvient avoir cherché d’autres livres « du même style ». Elle lit parfois quelques bandes dessinées, « pareil, toujours des trucs un peu légers, pas prise de tête », mais trouve ce format « trop cher et trop court » et préfère les romans, où on peut « imaginer sans les dessins ». Il lui arrive aussi de lire quelques magazines d’histoire ou de psychologie en vacances, mais « sans grand intérêt ». 

Pour elle, la lecture doit avant tout permettre de se détendre et de déconnecter de ses tracas quotidiens. C’est pour cette raison qu’elle n’aime ni les policiers ni les livres d’horreur ou thrillers qui suscitent des émotions négatives. Cette crainte de voir surgir ce type d’émotions l’a amenée à faire évoluer ses habitudes de lecture : alors qu’elle lisait auparavant beaucoup le soir, elle favorise désormais le début d’après-midi. Cet horaire l’aide à rester concentrée sur sa lecture, tandis qu’en soirée, son esprit avait tendance à « partir ailleurs », ce qui pouvait l’amener à « trop penser avant de dormir » et ces ruminations pouvaient être sources d’angoisses : « par exemple en lien avec un épisode que je suis en train de vivre par exemple sur, je sais pas si je vis un conflit dans mon couple, ben il y a quelque chose qui va me faire penser dans le livre au conflit que j’ai, si je pense, oui si j’ai des problèmes de famille, quelqu’un qui est malade dans ma famille, si il y a un truc, le moindre petit élément qui va me faire penser à ça, ben ça, ça va me rendre triste, ou ça va m’empêcher de dormir, des choses comme ça ». 

Paradoxalement, malgré cette crainte de retrouver des soucis du quotidien dans la lecture, l’identification aux personnages est un élément indispensable à la réussite de la lecture pour Aurélie : « faut qu’il y ait un personnage un peu… pas qui me ressemble mais auquel je puisse m’identifier en fait ». L’identification est facilité par la proximité avec les personnages. Elle apprécie en particulier retrouver chez les personnages des ressentis ou réactions proches des siennes : « il y avait un des deux Legardinier où la fille avait à peu près mon âge en fait donc du coup ça m’aidait à m’identifier à elle, des réflexions qu’elle avait en fait, des fois par exemple sur, une histoire où elle imaginait des trucs par rapport à son voisin ben je me dis « ah ben des fois je me fais trop des films aussi ».

Publié le 15/02/2021 - CC BY-SA 4.0

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