La nouvelle médiathèque Frida Kahlo à Schiltigheim : un lieu et des collections tournés vers le public
par Benoît Descharrières, chef du service Périodiques de la Bpi

Le réseau documentaire strasbourgeois, nommé « Pass’relle », se compose de huit médiathèques et d’un bibliobus de la ville de Strasbourg ainsi que de 21 bibliothèques et médiathèques communales, complétées par quatre médiathèques de l’Eurométropole de Strasbourg : les médiathèques André Malraux à Strasbourg, Simone Veil à Illkirch-Graffenstaden, Gisèle Halimi à Lingolsheim et Frida Kahlo à Schiltigheim. Si les trois premières ont ouvert à la fin des années 2000, la médiathèque Frida Kahlo est sur le point de voir le jour après une longue attente, sur un territoire marqué par une forte densité de population, un taux de chômage élevé, de forts écarts de revenus, mais aussi par de grands projets de renouvellement urbain et par l’installation de plusieurs institutions culturelles.

Le projet scientifique, culturel, éducatif et social définit cet établissement comme une médiathèque culturelle et citoyenne, qui place les usagers au cœur. La feuille de route pour les médiations culturelles, sociales et numériques détermine huit enjeux stratégiques tournés vers les habitants, parmi lesquels : faire de l’offre culturelle du territoire un vecteur de lien social, être un lieu d’éducation populaire, faire de la bibliothèque un lieu inclusif pour tous, faciliter l’insertion professionnelle et sociale des usagers.

Un bâtiment neuf et accueillant

Des espaces bien définis

La médiathèque prend place dans les trois premiers étages d’un bâtiment fraîchement sorti de terre. Le rez-de-chaussée occupe l’ensemble de l’espace, et les deux étages supérieurs sont constitués de deux ailes rectangulaires. Fait notoire : ces deux étages sont surmontés de trois étages d’habitations, occupés depuis 2020.

Le public entrera par un vaste hall. Près de l’entrée se trouvent un bureau d’information, un automate de prêt et retour, ainsi qu’un escalier gradiné pour s’asseoir ou accéder à l’étage supérieur. Au rez-de-chaussée, les usagers pourront jouer à des jeux vidéo sous l’escalier ou visionner des films. 

Un autre espace, séparé du hall par des vitres, accueillera les CD, les collections de loisirs, une régie et des praticables ; il pourra être cloisonné pour accueillir des animations en dehors des heures d’ouverture de la médiathèque.

Le premier étage accueille, d’un côté, les collections documentaires et la presse adultes et, de l’autre, l’espace jeunesse, constitué d’une cabane en bois, d’assises confortables et de meubles bas pour les albums et collections pour enfants et adolescents. Ces espaces intérieurs sont complétés par une grande terrasse en bois, végétalisée et en partie gradinée, qui sera ouverte au public. Comme la presse et des distributeurs se situeront à proximité, les usagers pourront emporter à l’extérieur un journal et/ou une boisson.

Le deuxième étage comporte les collections de littérature adulte, des salles de travail en groupe et les bureaux du personnel.

L’ensemble du bâtiment, bien proportionné, ouvert sur l’extérieur par de larges baies vitrées, et équipé de mobilier fonctionnel et esthétique, est un espace aéré et confortable, qui donne envie de séjourner pour consulter les collections.

Fin des travaux

Ce bâtiment très prometteur était encore en travaux en octobre 2023, à trois mois de l’ouverture, même si la plupart des étagères et des collections étaient installées, et si le personnel travaillait dans les bureaux depuis deux semaines.

Pendant les deux jours d’observation, j’ai pu assister à de nombreux rendez-vous avec les architectes, les chauffagistes, les menuisiers et les représentants de la mairie. Un échafaudage trônait dans l’escalier central ; des finitions étaient apportées au mobilier installé récemment ; et plusieurs questions se sont posées concernant la disposition des bureaux d’information, l’implantation de certaines collections ou même le choix des pavés pour le parvis extérieur.

Des collections centrées sur les publics

Des principes documentaires audacieux

La politique documentaire de l’établissement a été co-construite par les acquéreurs, proposée à la direction de l’établissement puis validée par le service des médiathèques de Strasbourg. Elle s’inscrit dans la complémentarité avec les bibliothèques proches et comporte plusieurs décisions marquantes.

Par exemple, la classification des fonds documentaires (adultes et jeunesse) suit le langage naturel : pour les adultes, ils sont classés en onze domaines (Loisirs, Environnement, Santé et bien-être, Pensées et croyances, Société, Autoformation, Histoire-géographie-tourisme, Sciences et techniques, Arts, Alsace, Devenir parents) qui apparaissent en majuscule sur la cote, éventuellement complétée par des sous-domaines, sachant qu’une même cote ne correspond qu’à trois tablettes au maximum. Pour les enfants, le terme « Autoformation » est remplacé par « Apprentissage », et il n’y a pas les domaines « Alsace » et « Devenir parents ».

Dans les fonds de fiction, les romans policiers et sentimentaux sont distingués par des pictogrammes et leur cote n’est constituée que des trois premières lettres du nom de l’auteur·rice.

Partant du constat que les documents récents représentent la grande majorité des emprunts dans les bibliothèques publiques, la médiathèque a fait le choix de ne pas acquérir de documents papier édités avant 1945 ; les classiques peuvent être consultés sur des tablettes, ou dans d’autres établissements du réseau strasbourgeois. Les documents « récents » (publiés depuis moins de sept ans) constituent environ 50% de la collection. La volumétrie globale a été définie à 55 000 documents, pour une capacité de rangement inférieure : ainsi, tous les documents ne tiennent pas sur les étagères, mais la médiathèque compte sur un fort taux de rotation des collections, affiné par domaine.

Pour dynamiser les emprunts, les acquisitions sont tournées notamment vers le grand public. En particulier, le fonds « meilleures ventes » est constitué des succès de librairie : chaque vendredi, la médiathèque acquiert l’ensemble des documents (documentaires adultes, fiction, BD…) figurant dans les 200 meilleures ventes, à l’exclusion des documentaires jeunesse, du parascolaire et des livres de poche. Cela permet de rapprocher les collections des attentes des publics. Ces commandes sont transmises à un fournisseur local, qui les livre en vélo dans des délais très courts. Ces documents reçoivent un traitement minimal (cote « succès », autocollant « succès du moment en librairie », code-barres et antivol) pour être mis en rayon quelques jours après la commande. Ils seront alors déposés sur une table de valorisation proche de l’entrée, et seront sans doute très empruntés pendant plusieurs mois, comme c’est le cas dans d’autres bibliothèques ayant tenté l’expérience à Saint-Etienne, Saint-Genis-Laval et Calais. Au bout de six mois, les documents seront sortis de ce circuit pour être désherbés ou intégrés au reste des collections, en accord avec la politique documentaire de l’établissement. Ainsi, des livres de personnalités politiques, climatosceptiques ou controversées, qui auraient été achetés pour le fonds « meilleures ventes », peuvent être désherbés au bout de six mois en appliquant les principes de politique documentaire du fonds général.

Un fonctionnement atypique

En suivant ces principes documentaires, les collections ont été constituées par les assistants de conservation du patrimoine et des bibliothèques recrutés en 2020, lorsque les équipes étaient accueillies au centre technique de la médiathèque Frida Kahlo dans les locaux de la médiathèque Olympe de Gouges. Chacun d’entre eux a en charge des acquisitions pour les documentaires et la fiction.

Les différents domaines documentaires ont été répartis en trois pôles (Être bien, Trouver sa place et Découvrir le monde) et, pour chacun de ces pôles, les acquisitions sont effectuées en binôme.

Les différents fonds de fiction (fiction adulte, DVD, CD, BD…) sont tournants : chaque acquéreur a en charge un de ces fonds pendant deux mois, avant de passer la main à un autre lors de la prochaine réunion d’acquisition. L’objectif de cette rotation est de favoriser une pluralité de visions et de constituer des collections destinées au grand public et non aux seuls spécialistes.

L’ensemble des collections a déménagé début octobre, en même temps que les agents, et étaient en cours d’installation sur les étagères, qui peuvent encore être déplacées pour ajuster le plan d’implantation ou pour des aléas techniques. L’espace d’équipement étant réduit, seuls les documents urgents peuvent être traités sur place, mais l’essentiel des acquisitions continuera d’être équipé et catalogué dans le centre technique situé dans les locaux de la médiathèque Olympe de Gouges.

Ainsi, ces deux journées d’observation m’ont permis de constater l’effervescence qui régnait à trois mois de l’ouverture de la médiathèque Frida Kahlo. Le public, qui l’attend avec impatience, pourra bientôt découvrir des espaces aérés, agréables et fonctionnels, et des collections grand public, simples à trouver et souvent réactualisées. Cette nouvelle médiathèque complètera au mieux l’offre documentaire de l’Eurométropole de Strasbourg.