Nous
d'Alice Diop

Sortie en salles le mercredi 16 février 2022.

Alice Diop filme des habitants de la région parisienne vivant le long de la ligne B du RER qui traverse l’Île-de-France du nord au sud.

Nous © Sarah Blum

L’avis du bibliothécaire

Galerie de portraits sur fond de cathédrale, de HLM et de forêts

En fin de journée, à la nuit tombante, Marcel, accompagné de sa femme et de son fils, scrute à la jumelle la silhouette d’un cerf se découpant à l’orée d’une forêt. Ismaël, ferrailleur venu du Mali il y a dix ans, vit dans son camion garé sur un parking du Bourget, municipalité de la banlieue nord, composée de petites maisons et de grands ensembles. Il répare une voiture puis téléphone à sa mère restée au pays. Sur un quai de gare bondé, la cinéaste évoque Rokhaya, sa mère morte trop jeune, qui empruntait chaque jour au petit matin le RER pour aller faire des ménages. Alice Diop nous montre de vieilles vidéos familiales tournées dans leur maison d’Aulnay-sous-Bois où elle naquit en 1979. Dans la basilique de Saint-Denis, un 25 décembre, un prêtre commémore la mort de Louis XVI en lisant la dernière lettre du roi à une assemblée « vieille France » dont quelques membres sont en larmes. Un RER traverse la station Stade de France. Le père d’Alice Diop raconte son arrivée à Marseille en 1963, puis sa venue en région parisienne, ses différents métiers et sa satisfaction d’avoir pu acquérir une maison pour y élever ses enfants. On suit la sœur de la cinéaste, infirmière, dans sa tournée auprès de personnes âgées avec qui elle prend le temps de parler. On se rend à Drancy, à la « Cité de la Muette », dans le camp où furent internés, entre 1942 et 1944, la plupart des juifs de France, en transit vers les camps de la mort. Les parents d’Alice Diop ont cotisé toute leur vie à la « Caisse des morts » pour se faire enterrer au Sénégal. À son père qui lui demande, quand elle atteint les vingt ans, d’y adhérer à son tour, elle lui répond par la négative lui disant qu’elle veut être enterrée en France. Elle filme des gamins jouant dans des espaces verts autour d’une cité, des jeunes filles en fleurs, des jeunes gens écoutant du reggae, son père contemplant, dans un parc municipal, un grand lac avec une île au milieu qui abrite « des oiseaux qui viennent de tous les pays ». Dans sa maison de la Vallée de Chevreuse, l’écrivain Pierre Bergounioux explique qu’à partir du XVIIIème siècle, la littérature, notamment Jean-Jacques Rousseau, a commencé à s’intéresser aux pauvres, ceux qui feront bientôt la Révolution. Pour finir, on retrouve Marcel, qui a ouvert le film, participant à pied à la chasse à courre du chic «  Rallye de Fontainebleau » où officient cavaliers en grande tenue avec cor en bandoulière.  

Cinéma, sociologie et République

Alice Diop filme riches et pauvres sans jugement. Pour mettre son propos en perspective, elle donne également la parole à un écrivain corrézien, témoin d’un monde rural disparu. Le générique de fin offre des clefs pour mieux comprendre le film et sa genèse : on y entend la chanson Ma France de Jean Ferrat dans laquelle le chanteur évoque la diversité des régions de l’Hexagone ainsi que la figure de Robespierre ; on y lit l’hommage d’Alice Diop à un auteur qui l’a inspiré :

« Je dédie ce film à l’écrivain et éditeur François Maspero, (1932-2015). Son livre Les Passagers du Roissy-Express m’a appris à voir et aimer ce que j’avais sous les yeux. »

François Maspero, éditeur, écrivain, figure importante de 1968, ouvrit en 1955 à Paris, au Quartier latin, 40 rue Saint-Séverin, la librairie « La Joie de lire » qui deviendra un haut lieu du gauchisme jusqu’à sa fermeture en 1974, année d’apparition de la FNAC.

Alice Diop poursuit son œuvre cinématographique, conjuguant recherche formelle et questionnement sociologique sur, entre autres, les thèmes de la diversité et de l’immigration, tout en se référant à la République et à la Révolution française. Cette mosaïque de portraits pleine d’humanité illustre aussi le pouvoir qu’a l’Art de susciter des rencontres et de rendre leur dignité aux sans-grades.

Ce film, qui a reçu le prix du film documentaire à la Berlinale 2021, peut également être vu comme un passage de témoin entre un intellectuel engagé de 68 et Alice Diop, cinéaste reconnue du XXIème siècle.

Bande annonce

Rappel

Nous – Réalisation : Alice Diop – 2020 – 1 h 55 min – Production : Athénaïse, ARTE France – Distribution : Totem Films, New Story

Jacques Puy

Publié le 14/02/2022 - CC BY-SA 4.0

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