L’indispensable diversité des profils
Retour sur la table ronde au congrès de l'ABF, par Bernadette Vincent (cheffe du service Autoformation de la Bpi)

Photographie d'un groupe de femmes bibliothécaires dans les années 50
© Flickr commons

En arrivant au Palais des congrès de Metz pour rejoindre le congrès de l’ABF, il est frappant de constater que l’immense majorité des participant.e.s sont des femmes blanches de plus de 30 ans. La féminisation de la profession n’est pas nouvelle : elle fait écho à une féminisation toujours plus forte des carrières dans la fonction publique. De même, le fait que les bibliothécaires soient aujourd’hui majoritairement diplômés du supérieur est le miroir de l’augmentation des diplômés dans la population générale.

Néanmoins, est-il possible de mener une réelle politique de démocratisation culturelle sans démocratiser l’accès à la profession? Au-delà des critères de genre, de race et de classe, ne faudrait-il pas également faire entrer d’autres métiers (éducateurs, artistes, artisans) dans nos bibliothèques ? Une bibliothèque territoriale peut-elle réaliser correctement sa mission sans aucun professionnel issu dudit territoire dans son équipe ?

Ces questions fondamentales sont au coeur des préoccupations des directeurs d’établissement, comme le montre la parution du rapport Orsenna en 2018 suivi d’une grande concertation sur l’évolution des profils, présentée par la modératrice Raphaële Gilbert, Chargée de mission Évolution des métiers au ministère de la culture.

Pour dresser un panel des initiatives de diversification dans notre profession, Raphaële Gilbert avait notamment convié Fabrice Chambon, ancien directeur des bibliothèques de Montreuil et aujourd’hui directeur de la culture à Est-ensemble. Celui-ci défend l’idée que les bibliothécaires doivent ressembler à la population qu’ils desservent. Les bibliothèques sont aujourd’hui des centres culturels généralistes qui peuvent offrir une place à toutes sortes de profils : comédiens, professeurs d’art plastique ou cuisiniers ont ainsi trouvé leur place dans l’équipe. Ce souhait se heurte bien sûr à la réalité des concours qui attirent souvent les mêmes profils et sont un outil de discrimination sociale très forte. Il soutient donc qu’il faut faire évoluer les concours, donner plus d’importance à l’oral, à la motivation.

Matthieu Baudin, actuellement directeur de l’Alpha à Angoulêmes, nous a fait part de son parcours très diversifié : éducateur spécialisé, animateur, DAC…il ne se définit pas lui-même comme bibliothécaire ce qui aide à garder une ouverture dans les recrutements. Pour lui, la lecture publique c’est de l’éducation populaire, et les personnes qui travaillent en bibliothèque doivent être soudées par une même vocation d’émancipation sociale et culturelle plus que par le fait d’être un « bibliothécaire». Néanmoins cela pose la question de la spécialisation des métiers autour des collections. Il rejette la représentation du bibliothécaire comme « couteau suisse » qui entretient le flou autour des missions des bibliothécaires. Il ne faut pas casser cette spécificité, mais y ajouter des fonctions transversales liées aux enjeux prioritaires que sont l’inclusion sociale, l’inclusion numérique, l’animation culturelle etc.

Matthias Hérodin est responsable du secteur adolescents à la bibliothèque Assia Djebar à Paris. Comme Matthieu Baudin, il vient du monde de l’animation et de l’éducation populaire, ce qui est fondamental pour travailler dans une bibliothèque avec un public très jeune et métissé. Outre le fait que l’apport de professionnels issus des quartiers prioritaires est fondamental, il faut mélanger les professionnels pour enrichir les débats et réfléchir sur son travail. A contrario les dispositifs « passerelle » de la mairie de Paris sont souvent contre-productifs, des professionnels arrivant en bibliothèque sans aucune connaissance et sans parfois une réelle envie d’y travailler.

L’expérience la plus particulière nous a été présentée par Marie-Paule Doncque, directrice de la médiathèque/centre social à Metz l’Agora. Dans son cas, la cohabitation d’équipes de bibliothécaires et travailleurs sociaux avec des cultures professionnelles très différentes ne s’est pas faite sans complexité : les différences de rapport au public, de temporalité, de circuits de validation a été au début un frein puis finalement une richesse pour cet équipement culturel et social unique en son genre.

Pour conclure, le débat sur la diversité des profils en bibliothèque pourrait s’étendre à la fonction publique dans son ensemble : il est aujourd’hui indispensable de faire évoluer les concours, sortir des logiques de carrières linéaires et de corps, pour mieux s’adapter à la société et aux nouvelles réalités de nos établissements notamment en matière de numérique.

Publié le 25/06/2022 - CC BY-SA 4.0

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