Le Divan du monde
de Swen de Pauw, avec Georges Federmann

Sortie en salles le mercredi 16 mars 2016.

Entrer (avec l’accord des patients et les précautions qui s’imposent) dans le cabinet d’un psychiatre, écouter ce qui s’y dit et comment c’est dit, appréhender les silences et ce qui advient entre les mots, être intéressé, curieux de cette relation d’aide  si particulière, nombreuses sont les raisons d’écouter/voir Le Divan du monde, premier long métrage documentaire de Swen de Pauw qui mont(r)e  des fragments de consultations du Dr Gérard Federmann, psychiatre peu ordinaire, exerçant en libéral  à Strasbourg depuis une trentaine d’années. Notre curiosité est d’autant plus aiguisée que, si les documentaires autour de la psychiatrie publique peuvent constituer une assez importante filmographie, ceux s’articulant autour de l’exercice en libéral de cette spécialité médicale ne sont pas légion.

Photo du film Le Divan du monde
Le Divan du monde © Shellac 

L’Avis du bibliothécaire

Vous avez dit divan ? Vous avez dit monde ?

Le dispositif de la réalisation est simple, deux caméras fixes, une portée ; ainsi « sommes-nous » tantôt du côté du thérapeute, tantôt du côté du/des patients, avec parfois des plans plus serrés sur les visages pour saisir au plus près l’émotion, la détresse qui affleurent chez les patients ou les signes de tension, de concentration et, qui sait, une certaine angoisse chez le psychothérapeute . D’entrée de jeu, le spectateur est surpris. Le médecin, après avoir remercié Diane de participer au film malgré les difficultés qui l’assaillent, s’assied à son bureau, une clé (celle des songes ? celles des portes de l’esprit à déverrouiller ?) autour du cou : Diane (un prénom), des fauteuils, une clé et pas de divan dans le champ… Divan et monde : dès les premières minutes le rapport du documentaire à son titre est problématique, énigmatique. Où est le divan ? Hors champ ? Dans une autre pièce du cabinet médical ? Qu’entendre par monde ? Car de divan, cet objet emblématique de la cure psychanalytique, nous n’en verrons pas ; les fragments d’entretiens (extraits montés des captations des consultations) se font dans une relation interactive en face à face.
Quant au monde, à première vue, il semble se concentrer autour de Diane, Gilbert, Sébastien, Marie-Thérèse, Abou, Claudine, Karim et pour deux d’entre eux une fille, un mari. Mais peut-être faut-il se libérer de représentations trop figées. Le divan est peut-être le lieu thérapeutique, la relation d’aide,  les paroles qui soignent, les mots posés sur les maux, la volonté farouche de remédier (de manière pratique inscrite dans la réalité quotidienne) aux situations complexes, aux modes de penser qui entravent. Le divan, c’est  l’accompagnement du médecin dans le parcours vers un mieux-être, accompagnement des souffrances psychiques et de leurs conséquences sociales (et inversement, c’est-à-dire l’intrication de fait entre les deux souffrances).
Quant au « monde », ne dessinerait-il pas sa carte généreuse selon les différentes origines sociales, géographiques, traumatiques des patients qui sont d’ici, du village voisin, d’ailleurs, d’un autre continent,  depuis plus de 20 ans patients du Dr Federmann ou plus récemment accueillis par lui après un parcours chaotique ou une migration aux multiples difficultés.
Le monde est aussi l’espace qui s’ouvre à la lecture du cabinet, qui est un peu ce que révèle de lui-même le thérapeute, outre sa décontraction vestimentaire (par les grandes chaleurs de l’été continental strasbourgeois il est en tongs, polo et bermuda), décontraction déclinée plus politiquement et affichée par ses T-shirts Charlie-Hebdo. Précisons toutefois que l’engagement de Georges Federmann ne se limite pas à des phrases ou des dessins transférés, imprimés sur du coton. Son activité professionnelle est, entre autres, tendue vers l’intégration des étrangers en situation irrégulière, plus particulièrement les victimes de traumatisme psychique à la suite de conflits militaires ou civils.  Le désordre ou l’ordre subjectif qui semble régner sur son bureau est fait de strates plus ou moins tuilées où apparaissent feuilles de maladies, livres, petite horloge tournée vers le médecin (le temps et sa gestion sont des éléments essentiels de la relation thérapeutique), tandis qu’aux murs s’affichent articles de journaux, textes plus administratifs et que les rayons de sa bibliothèque sont également saturés de livres. L’extérieur filtré par le regard, les goûts, l’engagement du thérapeute, son monde intérieur, imaginaire, symbolique : tout cela, toute cette présence humaine d’écriture et de lectures, ce monde-là nourrit aussi sa pratique.

 Un psychiatre libéral assez hors du commun


 Original, ce psychiatre libéral, ce psychiatre de ville, qui dans un entretien réalisé par Olivier Pierre au Festival international de cinéma de Marseille en juillet 2015, précise que ses revenus sont à 80% assurés par le tiers-payant (61 € est, par ailleurs, l’unique tarif de consultation mentionné dans le film), que son cabinet est le premier (le seul) à être sans rendez-vous (ce qui induit sans doute une gestion acrobatique de la salle d’attente dont nous ne verrons rien). L’atypisme du Dr Federmann, qui considère que l’exercice libéral de la médecine entre dans le cadre du service public, s’articule également à sa pratique en action où s’entendent tutoiement et vouvoiement (accord préalable avec le patient ? Liberté ? Aide au soin ?) comme des registres de langue différents d’un moment à l’autre pendant un même entretien (adaptation au langage du patient ? Volonté, par ces décalages, d’être plus explicite, plus direct, plus percutant ? Provoquer une prise de conscience, une réaction ?  Convoquer un brin d’humour salvateur entre les pleurs et la peur ? Une mise à distance ?). Son écoute se fonde sur une dynamique de l’interaction où le psychiatre rebondit et interroge pour aller plus loin, chercher ensemble, creuser ou dévier, trouver un compromis, pour avancer avec le patient, trouver si ce n’est une solution définitive du moins une issue, une voie de sortie aux situations vécues comme inextricables, « un chemin qui va nous permettre de continuer à rester droit jusqu’au bout, jusqu’à la mort ». Le pragmatisme est constitutif de l’éthique de ce psychiatre, ce « médecin accompagnant » selon ses propres dires, qui s’emploie avec conviction et énergie à dénouer, à assouplir l’emprise des maladies mentales, à dédramatiser et/ou à pointer la gravité d’un épisode de la vie, à encourager par la parole ou le geste, à mettre en place dialogue et compromis (pour le recours à une hospitalisation, par exemple), à faire confiance aux prescriptions des patients au moment de la rédaction de l’ordonnance, n’hésitant pas à écrire ou à téléphoner à un confrère de l’hôpital pour avis, à adresser le patient à un praticien d’une psychothérapie spécifique. Ce fonctionnement, qui met le psychiatre libéral dans une position de relai, de « compagnon de route », de maillon dans une chaîne de compétences et de solidarité, y compris juridique, autour du soin et du patient, semble exclure les barrières et les territoires et permet la complémentarité des prises en charge dans le but de soulager au mieux selon un parcours ouvert au champ des possibilités. Georges Federmann est étonnant, inattendu ; tout au long du film, il nous surprend par sa liberté de ton, d’action et de conseil. Les suggestions/propositions qu’il fait  à ses patients sont parfois loin, très loin d’être prises dans une norme, dans un « prêt-à-soigner », comme dans un « prêt-à-penser » d’ailleurs. Insolites, souvent, elles s’adaptent, elles cherchent, elles travaillent avec la singularité de chacun. L’art de Georges Federmann psychiatre, est assez extraordinaire.
 
Toujours dans l’entretien réalisé au FID en 2015, Georges Federmann, dit : « Je trouve que c’est un très beau film, je suis fier d’en être l’accompagnateur. Je suis un psychiatre en fin de carrière, c’est une forme de testament. Ce film était de l’ordre de la transmission ».  Le Divan du monde sera une des mémoires de sa pratique. Souhaitons qu’il ait  pu aussi tout au long de ses années d’exercice  former de jeunes psychiatres, qu’il ait pu transmettre quelque chose de cette singularité, de ce désir forcené et essentiel d’être aux côtés de ses patients ; d’être leur « compagnon de route »..

Rappel

Le Divan du monde, de Swen de Pauw avec  Georges Federmann, production Projectile, Seppia Film, Neon Productions, 2015, 1 h 35 min.
Prix du GNCR (Groupement national des cinémas de recherche) au FID Marseille 2015.
Distribué en salles par Shellac.

Publié le 17/03/2016 - CC BY-SA 4.0

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