Jeune cinéma
de Yves-Marie Mahé.

Sortie en salles mercredi 27 septembre 2023.

Yves-Marie Mahé signe un film d’archives sur le festival Jeune cinéma, créé à Hyères en 1965 pour promouvoir le cinéma différent.

Photo de Bernadette Lafont et Philippe Garrel tirée du documentaire Jeune cinéma © Local Films.
Bernadette Lafont et Philippe Garrel dans Jeune cinéma de Yves-Marie Mahé © Local Films

Yves-Marie Mahé

Yves-Marie Mahé est un cinéaste s’intéressant à l’univers underground. Il réalise généralement ses films à partir d’archives audiovisuelles. Son œuvre se compose notamment de plus de 80 courts-métrages, d’un moyen-métrage, La Chanson politique de Colette Magny, et d’une trilogie documentaire faite entre 2017 et 2019 : Une certaine histoire du cinéma expérimental français. Il programme également des films dans des lieux alternatifs, collabore à des projets collectifs : Light Cône, Radio libertaire, La Clef revival, et crée des documentaires audios sur la contre-culture pour France Culture et ARTE Radio.

Applaudir à deux mains les films d’hier ou à Hyères les films de demain ?

À cette question, et à ce jeu de mots sans doute déjà fait, Maurice Périsset, écrivain et éditeur français né en 1920, répondit par la deuxième proposition. Il fonda en 1965 le Festival international du jeune cinéma dans la ville de Hyères où existait déjà un ciné-club très actif, considéré comme le plus important de la Côte d’Azur. Cette nouvelle manifestation, démarrant au milieu de la décennie underground des sixties, répondait à l’urgence de montrer les films de Philippe Garrel, Chantal Akerman, Werner Schroeter, et autres cinéastes d’avant-garde. Le festival se tiendra principalement à Hyères, avec quelques années d’infidélités à Toulon, de 1972 à 1976. Le festival Jeune cinéma accueillit les créateurs rebelles du septième art avant que ne soit créée, en 1969, au sein du Festival de Cannes, la Quinzaine des réalisateurs (devenue Quinzaine des cinéastes en 2023), suite aux revendications exprimées en 1968 aux États généraux du cinéma.

Une nouvelle génération de cinéastes

Le cinéma avait déjà fait sa révolution à la fin des années cinquante avec la Nouvelle Vague, mais celle-ci s’était en partie confortablement installée dans la profession et ne laissait que peu de place aux nouveaux venus des années 60, inspirés par les mouvements psychédéliques puis par mai 68.

Réaliser un film sur un festival

« Une grande partie des archives du documentaire », confie Yves-Marie Mahé « est constituée d’images de la télévision ou d’audio de la radio collectés à l’INA, l’autre partie constituée par des films qui ont été présentés à Hyères […] Je ne souhaite pas tant que le spectateur revive cette période mais bien qu’il la vive, […] immergé le plus possible dans ce flot d’images. »

« Me pencher sur la mythologie du festival d’Hyères […] c’est aussi m’interroger sur ce qu’a été et est le « jeune cinéma », ses moyens de production, ses circuits de diffusion, ses difficultés à accéder au public, etc., autant de questions qui agitent encore aujourd’hui notre cinéma […] c’est, pour finir, reconstituer l’histoire d’une époque, d’une cinématographie aux multiples soubresauts, errements ou réussites lumineuses, pour savoir et reconnaître d’où l’on vient, quel héritage assumer, analyser ses échecs. »

« Je suis particulièrement attaché à Hyères et à son histoire en raison de mes liens avec la coopérative Collectif Jeune Cinéma (CJC) qui a programmé la section « Cinéma Différent » entre 1973 et 1983. C’est grâce à ce collectif que le cinéma « différent » (ou expérimental pour aller vite) a connu en France son heure de gloire grâce à son incroyable sens du défrichement. Mon histoire de cinéaste se confond avec celle du Collectif. C’est donc avec une émotion toute particulière que j’ai eu envie de raconter cette histoire inédite du Festival d’Hyères, parfois sidérante (les débats avec les cinéastes), parfois hilarante (les réactions du public), mais dans tous les cas, très humaine. Je me suis donc plongé à corps perdu dans les images afin de retrouver le fil de cette histoire oubliée du cinéma et pourtant, si contemporaine. »

Sur les archives, montées chronologiquement, Yves-Marie Mahé a parfois inscrit, en surimpression de l’image, des mots, textes, exclamations ou patronymes de certains des protagonistes, comme Godard le faisait dans sa dernière période.

L’avant-garde à Hyères

En 1965, alors que Godard tournait Pierrot Le fou à Hyères, se tenait la première édition du festival Jeune cinéma, du 26 au 30 avril, avec à l’affiche : René Allio, Antonioni, Charles Bitch, Marcel Hanoun, Claude Lelouch, Éric Rohmer, Bertrand Tavernier, Agnès Varda et Carlos Villardebó.

Tout au long de ses dix-huit années d’existence, le festival accueillera, en tant que membres de jurys, cinéastes, journalistes ou spectateurs, la fine fleur de l’avant-garde cinématographique, ainsi que de grandes figures du monde des lettres et du cinéma : Michel Simon, Bernadette Lafont, Alain Robbe-Grillet, Jean-Louis Comolli, Jean Narboni, Claude Chabrol, Marie-France Pisier, Emmanuelle Riva, Michel Subor, Robert Lapoujade, Claude Jade, Michael Lonsdale, Henri Langlois, Bulle Ogier, Marceline Loridan, Jean-Luc Godard. La manifestation montrera les films de, parmi les plus connus, Guy Gilles, Chantal Akerman, Philippe Garrel, Leos Carax, Claude Lelouch, Luc Moullet, André Delvaux, Lionel Soukaz, Werner Schroeter, Marguerite Duras, Theo Angelopoulos, René Vautier ou Pierre Clémenti, dont on voit une photo prise à la villa Noailles surplombant Hyères, talentueux cinéaste expérimental en plus d’être un acteur de renom.

Quelques séquences du festival

En 1967, Claude Chabrol déclara : « C’est un festival admirable, car les films diffusés sont soit des premiers, soit en marge de la production courante, et viennent de tous les pays du monde ». Bernadette Lafont renchérit : « Le festival est très décontracté. On se débraille au fur et à mesure que les jours passent. Les cravates tombent, les robes deviennent de plus en plus courtes. C’est ça, le jeune cinéma. »

En 1968, le jury, présidé par Michel Simon et comprenant, entre autres, Laurent Terzieff, décerna le grand prix à Marie pour mémoire de Philippe Garrel qui expliqua : « Ce film raconte les mésaventures d’un psychotique égaré dans une société d’aliénés. »

En 1970, le grand prix fut décerné à Clair de terre de Guy Gilles.

En 1971, Jacques Higelin, s’accompagnant d’un banjo, improvisa pendant une heure un monologue sur la création. On croisait cette année-là Theo Angelopoulos et Chantal Akerman au milieu d’un public constitué d’un mélange de cinéphiles parisiens et d’autochtones.

En 1972, le festival partit à Toulon. Marguerite Duras déclara : « Le festival de Toulon, c’est le cinéma différent. Sa suppression serait infiniment plus grave, pour le cinéma, que celle du Festival de Cannes. »

En 1974, le festival montra Sous les pavés la plage d’Helma Sanders.

En 1977, il revint à Hyères.

En 1980, le festival, déplacé depuis quelques années en fin d’été, fut repositionné en juin. On y vit La Vraie histoire de Gérard Lechômeur de Joaquin Lledo avec Pierre Clémenti, Nico, etc.

En 1981, Marguerite Duras déclara à propos du festival d’Hyères et du terme « cinéma différent » qu’elle préférait à « cinéma parallèle » : « On l’appelle aussi cinéma parallèle mais parallèle à quoi ? Car l’autre cinéma n’existe pas. Le cinéma, c’est le cinéma différent. C’est comme si tu disais que les véritables écrits, c’est les écrits des journaux, des grandes surfaces. Or les écrits c’est les livres. Les endroits où l’on montre l’équivalent des livres, c’est à dire des œuvres irremplaçables, c’est des endroits comme ceux-ci. »

En 1982, le festival fut de nouveau programmé en fin d’été.

En 1983, Christine Boisson était membre du jury. Cette année-là, la municipalité déclara vouloir, à l’avenir, superviser la sélection. Devant le refus du conseil d’administration, la subvention ne fut pas renouvelée pour 1984 et le festival s’arrêta après dix-huit ans d’existence.

Mourir à 18 ans ?

Mourir à 18 ans ? Ne pas devenir adulte ? Fut-ce le destin du festival Jeune cinéma ? Non car Marcel Mazé (ex délégué général de la section Cinéma différent du Festival d’Hyères de 1973 à 1983) et le Collectif jeune cinéma le ressuscitèrent en partie en 1999, en hommage à Maurice Périsset qui venait de mourir. Ils le firent renaître sous la forme du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris, dont la première édition se déroula au cinéma La Clef, lieu emblématique de la défense du cinéma alternatif, et dont la 25ème édition aura lieu en octobre 2023.

Mélancolie, ambiance foutraque et témoignage historique

Ce film documente un pan peu connu de l’histoire de l’avant-garde cinématographique française et restitue dix-huit ans de débats provocants et burlesques. Il montre l’effervescence suscitée par ce festival, effervescence d’une avant-garde exaltée, effervescence consubstantielle aux décennies 1960 et 1970, effervescence qui se tarira dans les années 80 avec l’arrivée du libéralisme. Avec humour, le film Jeune cinéma mêle création, confrontation, air du temps, humeur joyeuse, ambiance foutraque, témoignage historique, et mélancolie.  

Jacques Puy

Bande annonce

Rappel

Jeune cinéma – Réalisation : Yves-Marie Mahé -1 h 14 min – Production : Local Films – Distribution : Carlotta Films.

Jeune cinéma a été sélectionné aux 51ème Festival La Rochelle cinéma, 33ème Festival international du film d’histoire de Pessac, Indielisboa 2023, International Film festival Rotterdam 2023.

Publié le 29/09/2023 - CC BY-SA 4.0

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments