Jet lag
de Zheng Lu Xinyuan.

Sortie en salles le mercredi 22 février 2023.

Début 2020, le covid-19 immobilise brutalement la réalisatrice Zheng Lu Xinyuan et sa petite amie Zoé en Autriche. Alors qu’elle observe les passants sous ses fenêtres, Xinyuan se remémore un voyage à Mandalay (Myanmar) qu’elle fit avec sa grand-mère au printemps 2018 pour assister au mariage d’un parent. En 2021, le coup d’État militaire au Myanmar rappelle soudainement ce pays à son esprit.

Photo du documentaire Jet lag.
Jet Lag ©Norte distribution.

Parallèles biographiques, politiques et temporels

Jet lag est un projet de film autobiographique qui a démarré en 2013 lorsque Weqin Lin, la grand-mère de Zheng Lu Xinyuan, évoque pour la première fois à sa petite-fille l’exil de son père, Yucang Lin, de la Chine au Myanmar dans les années 1940. Le départ de cet arrière-grand-père mystérieux, dont la réalisatrice n’avait jamais entendu parler, a laissé un grand vide dans la famille. Le mariage de parents éloignés au Myanmar en 2018 est donc une occasion de se rassembler et d’enquêter sur la vie lointaine de cet aïeul, dont chacun de ses descendants s’est inventé l’histoire. Entre trésor caché, seconde vie amoureuse ou révélation religieuse, tous les proches racontent leurs hypothèses et récits imaginaires au fil du film devant la caméra légère embarquée par la réalisatrice pour ce voyage lui permettant de filmer des retrouvailles avec un mort. Jet lag met en regard l’absence de son arrière-grand-père avec le vide ressenti par sa petite-amie, Zoé, également attristée par la mort de sa propre grand-mère, qui l’a élevée et dont elle se sentait très proche.

Le film met aussi en parallèle la crise sanitaire mondiale et la crise politique birmane. Au printemps 2020, le temps s’est figé en Autriche. Confinée à Vienne avec Zoé dans un petit appartement, Xinyuan raconte la lassitude des esprits et des corps et son absence au monde, dans une forme de latence, l’espace balayé par la lumière du soleil ou les gouttes de pluie. Les jeunes femmes regardent par la fenêtre les quelques passages d’animaux, de piétons, de bus ou de trains dans la ville. Ce quotidien sous cloche impacte le couple et se transforme peu à peu, comme le dit la réalisatrice, en « cocotte-minute » sous pression. De la même façon, les relations entre le Myanmar et la Chine se tendent au long du film. Le coup d’État militaire au Myanmar le 1er février 2021 et ses conséquences dramatiques composent les dernières images du pays, comme si la réunion familiale qui s’était tenue là en 2018, près de 80 ans après le départ de l’arrière-grand-père en Birmanie, faisait partie du passé et si les manifestations représentaient l’avenir d’un temps présent figé, celui du confinement.

Photo du documentaire Jet lag.
Jet Lag ©Norte distribution.

Un cinéma thérapeutique invitant au dialogue

Les relations entre la famille chinoise et l’arrière-grand-père s’étaient interrompues pour des raisons politiques à l’époque de son départ car peu d’échanges étaient autorisés entre la Chine et la Birmanie. Suite à la prise de pouvoir au Myanmar par la junte militaire le 1er février 2021, des coupures internet ont lieu et le pays se retrouve à nouveau coupé de son voisin chinois. Xinyuan raconte que ses contacts birmans ne s’expriment quasiment plus sur les réseaux sociaux car les autorités peuvent contrôler leurs échanges. Le dialogue est donc à nouveau coupé entre la Chine et le Myanmar et entre Xinyuan et sa famille. Pourtant Jet lag est un film sur les liens qui unissent les membres d’une famille.

Déjà, car il dévoile une intimité de couple, premier rayon de la sphère intime. Les deux amoureuses Xinyuan et Zoé se filment mutuellement comme leurs histoires familiales s’entrecroisent et dialoguent ensemble. Leur destin est lié par leur histoire d’amour et le contexte réduit du confinement qui limite leur relation avec l’extérieur. Aussi car le film crée une proximité entre différentes histoires et invite les membres d’une même famille à dialoguer entre eux. La grand-mère vit dans le manque de son père qu’elle a beaucoup idéalisé. Il est difficile pour ce personnage d’accepter la mort de celui-ci et de rompre le lien avec un homme qui l’a pourtant abandonnée. La recherche de l’arrière-grand-père de la réalisatrice semble aboutir sur une scène dans laquelle elle tente de filmer, en vain, son propre père qui se dérobe devant la caméra comme si le film reproduisait une sorte de boucle relationnelle de l’abandon. Enfin, des jeunes Chinois participent à des ateliers d’écriture en anglais dans lesquels ils livrent des secrets sur leurs relations familiales et leurs émotions profondes comme si la langue anglaise levait les barrières et les tabous, notamment sur le sujet de l’homosexualité. Ainsi, Jet lag prend la forme d’une enquête quasiment thérapeutique, un travail personnel sur la famille et l’intime.

Photo du documentaire Jet lag.
Jet Lag ©Norte distribution.

Un matériel léger pour raconter l’intime

La réalisatrice utilise des appareils simples : caméra DV et Iphone, ce qui constitue une esthétique particulière, avec du bruit numérique. Des outils qu’elle peut facilement utiliser et atteindre pour raconter les pensées et les sensations et donc, représenter l’intime. Ce matériel léger lui permet de cultiver un rapport à l’instantané et au fragile. Afin de ne pas créer de rupture visuelle, la couleur de l’Asie du Sud-Est étant très différente de celle de l’Autriche, la réalisatrice a lissé ses images en noir et blanc au montage. Celui-ci atténue les frontières et rend la circulation dans le temps et dans l’espace plus floue. La réalisatrice voulait renforcer ainsi la perception d’un jet lag, ce phénomène de déséquilibre et de fatigue intense que l’on ressent après un long voyage à cause du décalage horaire.

Marina Mis

Bande annonce

Rappel

Jet lag – Réalisation : Zheng Lu Xinyuan – 2022 – 1 h 51 min – Distribution : Norte Distribution

Plus d’informations sur la crise au Myanmar

« Le 1er février 2021, l’armée du Myanmar s’est emparée du pouvoir après avoir arrêté la cheffe du gouvernement Aung San Suu Kyi et de hauts représentants de l’État. Depuis ce jour, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues pour protester contre la prise de pouvoir par l’armée, au risque d’être arrêtés et blessés.

Le gouvernement militaire a violemment réprimé ceux qui s’opposaient à son coup d’État de février, utilisant largement des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes, des canons à eau, des balles réelles et d’autres forces létales contre les manifestants. Selon l’ONG Association d’assistance aux prisonniers politiques (Birmanie) (AAPP), au 31 décembre [2021], les forces de sécurité du gouvernement militaire avaient tué au moins 1 384 personnes, dont 91 enfants, et arrêté 11 289.

Près de deux ans après le coup d’État militaire, plus de 1,4 million de personnes sont déplacées à l’intérieur du Myanmar, 12 839 personnes sont détenues dans des conditions inhumaines, au moins 73 personnes sont toujours dans le couloir de la mort et 7,8 millions d’enfants ne sont pas scolarisés. »

(Source : Amnesty International).

Publié le 21/02/2023 - CC BY-SA 4.0

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