Un été afghan
de James Ivory et Giles Gardner

Sortie en salles mercredi 24 janvier 2024.

Au crépuscule de sa vie, James Ivory se remémore le voyage de jeunesse qui orientera sa vie professionnelle et sentimentale.

Photo du documentaire Un été afghan.
Un été afghan © Le Bureau Films.

Documentaire autobiographique

En 2022, à l’âge de 94 ans, James Ivory, le réalisateur oscarisé de Maurice et Retour à Howards End, décide d’utiliser les images qu’il avait tournées en 1960 en Afghanistan pour raconter sa jeunesse, ses premiers pas de cinéaste, son voyage initiatique en Orient, et le début de sa vie sentimentale. Il co-réalise Un été Afghan, son trente-cinquième film, avec Giles Gardner, monteur et collaborateur depuis 1996.

Cette œuvre se compose de séquences de 1960, d’entretiens récents, d’archives, et de voix off. Les images d’Afghanistan tournées en pellicule Eastman 16 mm couleur, bien que vieilles de plus de soixante ans, sont dans un très bon état de conservation.

Le film démarre par un panoramique sur la vaste maison blanche à colonnades dressée au milieu d’un parc, au nord de l’État de New York où vit James Ivory. Puis on traverse des pièces aux meubles anciens remplies d’archives où, tout en manipulant une vieille bobine, le cinéaste prend la parole : « En 1960, j’ai fait un voyage en Afghanistan afin de tourner des scènes pour un documentaire. Le film ne sera jamais terminé et les images sont restées cachées dans une boîte pendant soixante ans. »

Enfance d’un cinéaste

James Ivory se raconte : « J’ai grandi à Klamath Falls dans l’Oregon où mon père possédait une scierie qui fournissait du bois à la Metro Goldwyn Mayer. Mon père m’emmenait parfois là-bas lors de ses voyages d’affaires. Je me suis imaginé un avenir dans les décors de cinéma avant de songer à la réalisation […] En 1951, j’ai quitté l’Oregon pour me rendre dans le sud à Los Angeles. Je m’étais inscrit à l’école de cinéma de l’Université de Californie du sud, avec l’intention d’étudier la décoration. Mais je me suis vite rendu compte que ce que je voulais était de faire mes propres films. À San Francisco, je suis allé voir un marchand de gravures qui s’appelait Raymond Lewis. Il avait une collection de gravures vénitiennes de Whistler. J’ignorais qu’il vendait aussi des miniatures indiennes. Le jour de notre rencontre, il avait montré ces miniatures à un acheteur. Elles étaient éparpillées dans la galerie quand je suis arrivé […] Sur le champ, peut-être sans réfléchir, j’ai décidé de faire un documentaire sur ce nouveau monde que je découvrais de façon si inattendue. »  

Voyage d’un jeune américain en Afghanistan en 1960

Le cinéaste explique les circonstances de son voyage et son projet d’alors : « C’est l’Asian Society de New York qui m’a envoyé en Afghanistan grâce à une bourse de vingt mille dollars, offerte par les Rockefeller. J’ai mis au point un plan simple bien qu’un peu bizarre. J’allais raconter l’histoire des gens qui vivent le long de la rivière Kaboul… En 1960, l’objectif du pays était de se moderniser. Par exemple, l’exclusion des femmes a pris fin par décret. Les femmes pouvaient, ou devaient, occuper un emploi, aller à l’université et se déplacer en public sans craindre la censure. Le voile, ou tchador, les couvrant de la tête aux pieds dans des mètres de tissus bleu pâle, a été aboli. En dehors de Kaboul, évidemment, les femmes ne sortaient jamais sans […] Un Afghanistan d’avant les talibans, d’avant les russes et les moudjahidines, d’avant l’occupation américaine, un Afghanistan qui aujourd’hui a disparu. »

Des images en couleur de Kaboul apparaissent : ses habitants, le fleuve Kaboul, Darya-e-Kabul, le vent qui souffle, un pont de bois, des charrettes à cheval, des autobus, des camions ornés de peintures, des hommes en turban, des femmes en burqa. James Ivory lit une lettre envoyée alors à sa mère : « … il y a ici un club international entretenu pour le corps diplomatique et les hommes d’affaire étrangers. C’est là que je séjourne. On dit que c’est un nid d’espions de la CIA. C’est possible mais, pour autant que je sache, je n’en ai rencontré aucun. » 

Babur

« Quand je suis arrivé là-bas, il n’y avait pas d’architecture monumentale. Ce que j’ai trouvé là-bas c’est Babur. Je l’avais rencontré à travers les récits de E. M. Forster. Forster s’était intéressé à la culture moghole lors de son séjour en Inde dans les années vingt et avait fait l’éloge de Babur. » À Kaboul, James Ivory avait écrit à sa mère qu’il lisait les mémoires de Babur, né en 1483 en Ouzbékistan, mort en 1530 à Agra, descendant de Tamerlan et de Gengis Khan par sa mère, fondateur de l’Empire moghol. Il s’était emparé de Kaboul en 1504, ville qu’il aima et où il vivra jusqu’en 1521, avant de coloniser l’Inde du nord : « Le Livre de Babur ou Baburnama est considéré comme la première autobiographie de la littérature mondiale. Dans ses pages, il met son âme à nu avec une conscience et une honnêteté quasi proustienne. » Ivory s’est sans doute identifié à Babur, auteur d’un des premiers coming-out livresques. Il le cite : « Nous nous sommes mariés au mois de Shaban, Aisha Sultan Bégum et moi-même. Dans les premiers jours après le mariage, bien que mon affection pour elle existât comme c’était mon premier mariage et que j’étais timide, je n’allais la voir que tous les dix, quinze ou vingt jours. Mais plus tard, je perdis toute affection pour elle. Une fois par mois ou tous les quarante jours, ma mère me conduisait auprès de ma femme avec toute la sévérité d’un quartier-maître. Pendant ce temps, il y avait un garçon du marché appelé Baburi… J’ai développé un étrange penchant pour lui. Plutôt je me suis rendu malheureux à cause de lui. Avant cette expérience, je n’avais jamais ressenti de désir… »

Rencontre

« J’ai quitté Kaboul à l’automne 1960 et suis retourné à New York. Mon petit documentaire sur la peinture miniature indienne était projeté à la Maison de l’Inde. Dans l’assemblée se trouvait un jeune producteur ambitieux de Bombay nommé Ismail Merchant. Il est venu après la projection pour me dire combien il avait aimé mon film. Nous avons convenu de nous revoir, peut-être aller voir un film de Satyajit Ray. Mais aucun film n’était à l’affiche. Nous sommes allés dans mon appartement de l’Upper East side et écouté ma collection de disques indiens. Il m’a parlé d’un roman qu’il avait lu [The Householder] qu’il pensait pouvoir faire un bon long-métrage. Il m’a demandé de le lire pour le réaliser. Son autrice, Ruth Jhabvala, vivait en Inde. Je suis donc allé à Delhi avec Ismail pour frapper à sa porte. Quand nous avons proposé d’écrire le scénario pour nous, elle a dit qu’elle n’en avait jamais écrit. Nous lui avons dit que ça n’avait pas d’importance : je n’avais jamais réalisé de tel film et Ismail n’en avait jamais produit. » 

Itinéraire artistique et intime

James Ivory et Ismail Merchant, qui vécurent en couple jusqu’à la mort d’Ismail en 2005, fondèrent Merchant-Ivory films en 1961. Cette même année, ils mirent de côté les séquences tournées à Kaboul, mais réalisèrent ensemble par la suite plus de quarante longs-métrages, dont des adaptations de E. M. Forster, et continuèrent à faire des films avec Jhabvala pendant cinquante ans, dans une des plus longues collaborations de l’histoire du cinéma.

Un été afghan nous raconte le voyage initiatique de James Ivory en Orient devenu première étape d’un long itinéraire artistique et intime.

Jacques Puy

Bande annonce

Rappel

Un été afghan de James Ivory et Giles Gardner – 2022 – 1 h 12 min – Production : Le Bureau Films – Distribution : Carlotta Films

Un été afghan a été sélectionné au New York Film Festival 2022 (première mondiale), au Rome Film Fest 2022, au Cairo Film Festival 2022, à l’International Rotterdam Film Festival 2022, à Glasgow Film Festival 2022, à Beijing International Film Festival 2023, à Sydney Film Festival 2023…

Publié le 22/01/2024 - CC BY-SA 4.0

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