Cinéma du réel 2020, une édition sous confinement

Le couperet est tombé le 13 mars dernier : toutes les projections du festival ont été annulées. Après le temps du désarroi, les équipes du Réel ont réagi. Catherine Bizern, déléguée générale et directrice artistique du festival, nous explique comment cette édition a tout de même eu lieu.

 

Affiche Cinéma du réel
Affiche du Cinéma du réel

Cette 42e édition n’a pas pu se tenir de façon habituelle, pouvez-vous nous dire ce que vous avez choisi de mettre en place ?

Notre priorité a été de donner une visibilité aux films de la compétition. Nous avons tout d’abord choisi de mettre à la disposition des professionnels accrédités au festival l’ensemble des films de la compétition sur notre vidéothèque en ligne en créant une chaîne Vimeo sécurisée, avec des films sous-titrés en français et en anglais. La vidéothèque a été accessible jusqu’au lendemain de l’annonce du palmarès. Nous avons par ailleurs donné accès aux films de la compétition sur différentes plateformes, augmentant ainsi l’offre du festival en ligne initialement prévue de manière significative. Nous avons par ailleurs soutenu par une communication renforcée l’ensemble de cette offre en ligne du festival sur Tënk, sur Festival Scope, sur Médiapart et sur Universciné. Au niveau professionnel, la mission de Cinéma du réel est aussi d’accompagner les œuvres et de permettre les rencontres entre celles-ci et ceux qui les diffusent. Ces rencontres n’ayant pas pu avoir lieu physiquement, nous avons mis en place des outils qui les ont permises, ou tout au moins les ont facilitées de manière virtuelle, tant pour les projets de la section Work in progress que nous avions choisis dans le cadre de ParisDOC, que pour ceux que nous devions mettre en avant dans le cadre des 1res rencontres européennes du documentaire de patrimoine.

Comment avez-vous vécu cette édition si particulière ?

Nous avons eu la chance d’ouvrir le festival le jeudi 12 mars et ce fut cette année un moment fort pour l’équipe et tous ceux qui y ont assisté. Ensuite, nous avons fait en sorte que les films de la compétition existent et les retours que nous avons des internautes montrent que ceux-ci ont marqué leur public, ce qui est déjà une grande joie. La reprise du palmarès sur Tënk permet, là encore, de faire exister les films et nous espérons que la projection publique des films de la compétition du 3 au 28 juin au Centre Pompidou, dans le cadre de La cinémathèque du documentaire à la Bpi, permettra la rencontre avec les spectateurs de Cinéma du réel. Ce sera une façon de parachever notre travail. Mais je ne sais pas si nous avons « vécu » cette édition… Un festival, c’est avant tout un groupe en mouvement autour d’une programmation à un instant T. C’est une performance, un moment unique qui ne se rejoue pas. C’est un parcours que nous proposons à des spectateurs et aussi la somme des cheminements de tous ces spectateurs. Il reste de cette 42e édition, des films, un palmarès, des textes, un catalogue, une affiche, des articles dans la presse mais pas la performance, pas le happening, pas la fête.

De quelle façon avez-vous travaillé sur cette édition ?

Lorsque nous avons décidé d’annuler le festival le vendredi 13 au matin, quelques heures avant que les lieux publics ne ferment et quelques jours avant l’annonce du confinement, chacun est rentré chez soi en sachant quelle serait sa mission dans les jours suivants. L’équipe, même atomisée, est professionnelle, elle a su faire face à cette nouvelle situation et nous sommes restés en contact quotidiennement par téléphone et courriel. Faire un festival, c’est de toute façon toujours être capable de s’adapter aux caprices du réel et d’inventer des solutions parfois très rapidement. Cette année, la situation est très exceptionnelle puisque c’est la première fois que le festival est annulé, mais c’est la même chose pour tous les festivals dans le monde entier. Nous sommes aussi restés en lien avec tous nos partenaires, tous nos invités, et avec l’ensemble des personnes accréditées, notamment grâce à notre newsletter, à notre site et notre blog sur Mediapart. Il y a eu aussi beaucoup de questions, tant du public que des professionnels, et il a fallu rassurer les ayant droits des films, inquiets de voir ceux-ci faire leur première sur Internet, notamment tous les films français sélectionnés en première mondiale à Cinéma du réel.

De quelle façon les jurys ont-ils pu visionner et choisir les films lauréats ?

Tous les jurys ont vu les films chez eux à partir de notre vidéothèque en ligne. Cela a permis que tous les jurys travaillent et que tous les films soient découverts dans les mêmes conditions. Les secrétaires de jury ont assuré leur rôle en maintenant le lien entre les membres de chaque jury, organisant aussi des réunions intermédiaires. Celles-ci, ainsi que les délibérations finales, se sont déroulées en visiophonie. Nous avons dû reculer le palmarès de quelques jours, car il nous a d’abord fallu plusieurs jours pour rendre disponibles tous les films de la compétition en version sous-titrée. Et puis il a fallu que chacun des jurys réaménage son organisation personnelle pour visionner les films dans les meilleures conditions possibles. Le jury long métrage avait en particulier 25 films à voir, c’était déjà un programme très chargé, cela l’a été plus encore dans cette configuration de confinement.

Comment avez-vous accueilli le choix du jury des bibliothèques : l’attribution d’un prix ex aequo et le fait que ce soit des films primés également par le jury de la compétition internationale ?

Le jury des bibliothèques a délibéré avant le jury long métrage. Et chacun des jurys a délibéré sans connaître les choix des autres. Je sais que le choix de donner un prix ex æquo à deux films est totalement assumé par l’ensemble du jury, qui a choisi deux films très différents dans leur forme et leur dispositif, mais aussi dans leur histoire. Makongo est un premier film d’un jeune cinéaste centrafricain formé par les ateliers Varan au cinéma direct et le film était montré à Cinéma du réel en première mondiale. El Año del Descubrimiento (L’Année de la découverte), dont la valeur avait déjà été saluée par tous au festival de Rotterdam en janvier dernier, est un film monde dont le dispositif en split screen tend à rendre compte de la complexité d’un espace démocratique et de sa possible représentation. Ce double choix, au-delà du désir du jury de donner une belle visibilité à deux films qui les ont particulièrement touchés, chacun à sa manière, est un hommage à la richesse formelle du cinéma documentaire et à notre mission à en rendre compte. El Año del Descubrimiento et Makongo ont, tous les deux, été primés par le jury long métrage du festival, obtenant respectivement le Grand Prix Cinéma du réel, et le Prix international de la Scam. Makongo vient par ailleurs d’être acheté par l’Institut français. Ce sont deux films forts qui révèlent par le regard spécifique et singulier de leurs auteurs une réalité à laquelle nous ne nous attendions pas à être confrontés et qui pourtant résonne avec notre propre appréhension du monde. Les échos que nous avons de ces deux films confirment qu’ils touchent ou interpellent. Ils sont cités parmi les préférés de beaucoup… Pas étonnant qu’ils aient alors retenu l’attention de plusieurs jurys. Je retiens pour ma part les retours de l’ensemble des jurys et de nombre de professionnels qui nous ont généreusement fait part de leurs sentiments sur les films de la compétition de cette 42e édition : tous saluent la grande qualité de l’ensemble de la compétition, la singularité de chacun des films et leur pertinence.

 Si les conditions sanitaires le permettent, La cinémathèque du documentaire à la Bpi programmera les films de la sélection du Cinéma du Réel 2020 du 3 au 28 juin au Centre Pompidou. Programme à consulter sur cinemathequedudocumentairebpi.fr à partir du 25 mai. Brochure-programme disponible à la même date au Centre Pompidou.

http://www.cinemadureel.org/

Publié le 15/04/2020 - CC BY-SA 4.0

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