Quel bilan de l’Étude Homère sur la déficience visuelle ?

Les résultats de cette étude d’ampleur nationale, destinée à mieux connaître les personnes déficientes visuelles, sont disponibles en ligne.

Le haut d'un visage féminin, plan de très près. Les yeux fixent le spectateur. Il est écrit "L'étude de référence sur la déficience visuelle. L'étude Homère est terminée".
©Collectif étude Homère

L’Étude Homère a été lancée à partir de février 2021 jusqu’au 31 mai 2022 par un collectif de chercheurs, d’associations et l’Institut national des jeunes aveugles (INJA). Cette enquête nationale sur la déficience visuelle constitue une première en France. Jamais auparavant une étude de cette ampleur n’avait été menée.
Cette recherche avait un double objectif :

  • Mieux connaître les personnes déficientes visuelles et identifier leurs difficultés.
  • Mieux cibler les aides en fonction de leurs différents profils.

Les résultats ont été présentés le 7 février 2023 lors d’un colloque spécialement dédié. L’enquête a obtenu 1865 réponses. Parmi les répondants, 46 % sont aveugles et 54 % sont malvoyants sévères ou moyens.
Les réponses ont permis d’obtenir des données et des informations pertinentes sur cette population selon diverses catégories telles que les études, le travail, la mobilité, les relations sociales, le numérique, la vie culturelle, etc.

Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?

Cette étude met en lumière les difficultés rencontrées par les déficients visuels dans leur vie quotidienne. Elle souligne aussi les accompagnements et les adaptations utilisés.
Certains éléments significatifs extraits de l’étude peuvent être pris en compte dans l’accueil des personnes en situation de handicap visuel dans nos bibliothèques :

Accès à l’information écrite

Le questionnaire révèle des difficultés d’accès à l’information de manière générale. Par exemple, le parcours scolaire en classe ordinaire est complexifié par la déficience visuelle. L’accès aux livres et manuels adaptés et aux contenus pédagogiques est généralement insuffisant.
Les répondants malvoyants lisent généralement leurs documents personnels par eux-mêmes. Les aveugles et malvoyants sévères demandent souvent à des proches ou à des aidants professionnels de lire ces documents pour eux. Ils sont nombreux à ne pas avoir de moyens pour lire leurs documents personnels.
Les personnes déficientes visuelles sont freinées dans leur travail et dans leur vie quotidienne par l’inaccessibilité à l’information textuelle. Celle-ci se présente dans les ressources papier spécialisées comme les revues, ou les documents dématérialisés comme les factures par exemple.

La connaissance du braille varie considérablement en fonction de l’intensité et de l’âge de survenue de la déficience. Près de 80 % des aveugles dont la déficience visuelle est survenue à la naissance maîtrisent le braille (intégral ou abrégé). Les 20 % restants ne le maîtrisent pas, ou ont quelques notions. Cette compétence facilite le choix de la formation et la réussite des études. Elle permet plus globalement l’autonomie dans l’accès au monde du travail.
Par ailleurs, ce sont surtout les personnes non-voyantes et celles qui maîtrisent le braille qui se déclarent au pôle handicap de leur établissement d’études supérieures. Peu de répondants déclarent s’être fait connaître, particulièrement les malvoyants moyens. Ainsi, il n’y a pas eu d’aménagement ou d’adaptation des cours pour la moitié des répondants. Il n’y a pas eu non plus d’aménagement des examens pour un tiers d’entre eux malgré les obligations réglementaires.

Accès à l’information et au numérique

L’enquête montre l’inaccessibilité des logiciels professionnels et des ressources numériques par plus de la moitié des répondants en emploi.
Les principales aides techniques informatiques de type lecteur d’écran, scanner et plage braille sont surtout utilisées par les répondants aveugles. Les répondants malvoyants déclarent utiliser un agrandisseur d’écran et un logiciel d’inversion des couleurs. Les plus de 60 ans sont nombreux à ne pas utiliser d’aide technique informatique. Ils ont plutôt tendance à se servir d’une loupe, d’un télé-agrandisseur ou d’une machine à lire.

Une large proportion des répondants utilise internet tous les jours ou presque. Le type de tâche réalisée dépend principalement de l’accessibilité : écrire des e-mails est simple. En revanche, réaliser des démarches en ligne et consulter des sites internet est plus complexe. Dans ce contexte, l’accessibilité des sites internet et la dématérialisation croissante des services publics posent question.

Accès à la culture

Les principaux obstacles à l’accès à la culture sont divers : l’absence d’audiodescription (ou de mauvaise qualité), les difficultés d’accès aux lieux culturels ou l’inaccessibilité numérique des contenus en ligne. L’absence de formation du personnel d’accueil est également problématique.
L’audiodescription est utilisée par une large proportion des répondants, majoritairement par les personnes aveugles. Les répondants de 60 ans et plus l’utilisent moins que les plus jeunes. Néanmoins, l’audiodescription pourrait être davantage utilisée si elle était plus souvent disponible et plus facile à configurer.
L’étude fait ressortir un certain nombre de solutions mises en œuvre par les publics concernés pour accéder à la culture, aux musées, aux cinémas ou aux spectacles : être accompagné, recourir à des associations ou planifier les visites à l’avance.

Un homme non-voyant lit un livre en braille dans une bibliothèque.
©Yan Krukau, Pexels

Quelle suite donner à cette étude ? Comment appliquer ces enseignements dans nos bibliothèques ?


Les résultats de cette enquête donnent des pistes d’améliorations pour faciliter l’accès au public déficient visuel dans nos bibliothèques. Ces pistes restent d’ailleurs valables pour tous les types de handicaps. Voici quelques propositions :

  • Améliorer l’accessibilité aux ressources numérique : les cadres juridiques national et européen énoncent cette universalité, même si la réalité est plus complexe. C’était le sujet de la journée d’échanges de Réseau Carel du 11 octobre 2022.
  • Donner aux usagers les moyens techniques et matériels d’aide à la lecture de ressources sous format papier ou numérique. De préférence des outils mobiles (télé-agrandisseurs portables, loupes électroniques, tablettes, lecteurs Daisy, machines à lire de poche…) pour s’adapter aux pratiques quotidiennes des personnes déficientes visuelles. Pour rappel, moins de 10% des ouvrages publiés chaque année en France sont accessibles aux personnes empêchées de lire du fait d’un handicap (chiffre du ministère de la Culture). Le portail national de l’édition accessible prévu pour 2025 devrait faciliter ces démarches sur le long terme.
  • Faire évoluer son regard sur le handicap : en tant que professionnels de bibliothèque se former pour mieux accueillir les personnes handicapées mais aussi s’efforcer de les comprendre. L’association Souffleurs de sens par exemple propose des formations sur l’accessibilité et l’accueil des publics en situation de handicap.
  • Proposer des actions favorisant la mixité entre le public en situation de handicap et le public valide. La Médiathèque Marguerite Duras à Paris travaille en partenariat avec l’association Tout en Parlant. Ensemble, elles proposent régulièrement des échanges conviviaux entre publics valides et déficients visuels lors d’un club de lecture inclusif. Dans le même objectif, la Médiathèque Marguerite Yourcenar à Paris accueille les œuvres d’une artiste plasticienne en lien avec le braille dans l’exposition « Effleurer le rêve » (du 23 juin au 9 août 2023). Des ateliers créatifs ont été organisés entre l’artiste et les publics adultes et enfants. On peut également citer les projections de films en audiodescription de la Bibliothèque municipale de Reims ouvertes à tous.
  • Proposer des services adaptés, qui répondent aux spécificités des besoins de chacun. Cela contribue à renforcer la sociabilisation et éviter le sentiment d’isolement des personnes déficientes visuelles. On peut penser notamment aux personnes qui n’osent pas sortir de chez elles, comme les personnes âgées. Des visites groupées pour découvrir la bibliothèque et destinées aux publics d’associations ou de structures du champ social peuvent être mises en place dans ce sens. Le site Livre et lecture en Bretagne met à disposition des ressources sur la construction de partenariats.
La plaquette des publics empêchés de la Bibliothèque départementale de la Corrèze à gauche. Il y a 4 photos avec des enfants qui utilisent un lecteur Daisy et un autre qui lit le braille. A droite le flyer des bibliothèques DAISYrables des départements de Savoie et Haute-Savoie. Il illustre le dessin d'une jeune fille qui écoute des livres audio, les yeux fermés et un sourire aux lèvres.

D’une manière générale, cette étude peut contribuer à faire évoluer les consciences sur l’importance de l’accessibilité. Il convient à chacun de s’emparer du sujet, de l’adapter à son échelle selon ses moyens et possibilités.
Par ailleurs, elle a conduit à un manifeste pour un Observatoire dont l’objectif est d’aboutir à une meilleure reconnaissance de la déficience visuelle.

Publié le 25/07/2023 - CC BY-SA 4.0

Retrouvez le rapport complet et toutes les informations nécessaires sur le site de l’étude Homère

Le collectif a mené une étude de grande ampleur afin d’obtenir des données inédites sur la population déficiente visuelle en France et de récolter un ensemble d’informations pertinentes sur le cadre de vie des personnes. Ce travail réalisé vise à mieux connaître les personnes déficientes visuelles et à saisir leurs difficultés au quotidien, pour mieux les aider.

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