Massilia sound system, le film
de Christian Philibert

Sortie en salle le mercredi 5 avril 2017.

Christian Philibert, cinéaste né dans le Var en 1965 et fondateur des Films d’Espigoule à La Seyne sur mer, décide de suivre la tournée des 30 ans de Massilia sound system, premier groupe de reggae-dub français d’expression occitane. Le film interroge le pourquoi et le comment du succès des Massilia qui, bien qu’absents de la scène médiatique, remplissent les salles de concert. Entre poésie, musiques, rythmes, politique, optimisme, générosité, talent verbal et drôlerie, portrait on stage et back stage d’un groupe au sommet de son art.

Massilia sound system le film © Les Films d’Espigoule, 2016

L’avis de la bibliothécaire

« l’estrangiér es un amic que coneisses pas encara »
« l’étranger est un ami que tu ne connais pas encore » (proverbe venu des Cévennes)

Je me souviens d’un soir d’avril 2008 où trois de mes bons amics étaient allés à un concert des Massilia au Théâtre des Sources de Fontenay-aux-Roses.
Je me souviens qu’ils en étaient revenus gonflés à bloc, pleins de joie, les yeux brillants et bouillants de bonheur, qu’ils en avaient parlé et parlé encore.
On dit que l’idée de slam et de slamer aurait germé dans la tête de Marc Smith en 1986 parce qu’il trouvait le rituel des lectures de poèmes rasoir et élitiste. Deux ans auparavant, en 1984, se forme à Marseille un groupe de reggae, Massilia sound system, qui, pulsé par les rythmes jamaïcains va créer un univers musical, poétique, politique, linguistique d’avant-garde et très populaire à la fois. Entre verve provençale et amour d’une ville extraordinaire de diversités et de rencontres, d’une ville pleine de contradictions à l’identité plurielle, multiple, les Massilia inventent, jouent avec les langues, les sons. Ils travaillent, ils pétrissent les mots et leur matière sonore sans jamais oublier, laisser le sens, les significations, à la porte. Massilia sound system c’est du son et du sens… c’est du lourd… Depuis plus de 30 ans ces tipes : Papet J, Mossu T, Blu, Janvié, DJ Kayalik et le regretté et dédicataire du film, Lux B (1961-2008), font jubiler le français et l’occitan (ils aiment à picorer ailleurs aussi, à butiner de par le monde des idiomes) mettant ces deux langues en contact, les mêlant, les démêlant, les frottant l’une à l’autre, l’une avec l’autre, l’une contre l’autre dans une transe verbale qui porte, emporte et transporte, en un mot qui fait du bien au coeur et au corps. Ils se démènent aussi les Massilia, ils se boulèguent, ils se bougent, ils se remuent, ils secouent le cocotier, ils mettent les watts et le oaï (du napolitain uaio, le désordre). Toute cette énergie conviviale est joyeusement, frénétiquement contagieuse : on danse, on chante, on fait la fête, on se boulègue à un concert des Massilia.

Poésie..

Côté création, aventure poétique, entre Front man, M(aster of) C(eremony) et improvisations on aborde aux rivages d’une tradition venue des troubadours, de leurs sirventés (poèmes satiriques, moraux, critiques, des textes engagés en somme), de la tenso et du partimen, lo joc partit, (genres littéraires et musicaux reposant sur les joutes verbales, oratoires, sortes de battles et de clashes, de performances entre deux poètes reposant sur une impro structurée, entre autres, par des règles rimiques et/ou rythmiques. Les Massilia sont des joglars (des jongleurs, des ménestrels). La tradition est ici une modernité, synonyme de mouvement, de vie, de dialogue entre les cultures, elle n’est en rien figée, elle se renouvelle sans cesse par l’ouverture aux autres, le brassage, la mêlée.  Massilia sound system, phénomène populaire qui raccorde des générations à sa culture et à son folklore a cependant un projet fragile qui se doit de ne pas tomber dans les écueils du régionalisme, de ne pas « basculer dans le côté obscur », de s’engager dans l’anti-fascisme (« les fascistes français et occitans » est-il scandé dans une chanson). La proximité avec le patois rasta (patwa en jamaïcain, appelé aussi Dread talk, ou I-yaric) est un cousinage, un trait de de ce tropisme du mélange, du mescladis.

Musiques…

Côté musical, le sound system, le son venu de la Jamaïque, cette « radio du pauvre » qui fut d’abord écartée des circuits de diffusion, est reine. Pour Tatou, Mossu T, le reggae est à jamais « l’outil le plus extraordinaire jamais rencontré dans la musique. » Autour de ce socle, de ce noyau vont entrer en résonance, vont graviter, vont se métisser d’autres sons, d’autres influences. De multiples pierres de nombreuses origines construisent l’édifice de sons et de mots de ce groupe atypique. « On est chacun le produit de 100 000 influences, donc cette diversité est le reflet de ce qu’il y a dans nos têtes ». La guitare électrique virtuose de Blu comme blue, blues… Blu qui affronta, en première partie de Johnny Hallyday, quatre mois après son arrivée dans le groupe, 50 000 spectateurs au Vélodrome dans un solo (héroïque) à la Hendrix de la Copa santa dont le texte initialement écrit par Frédéric Mistral commémore le lien fraternel entre catalans et occitans (le concert anniversaire, inaugural de la tournée des 30 ans s’est d’ailleurs déroulé, signe fort, à Perpignan). Janvié, qui peut partir en live, apporte ses talents de pianiste d’excellence. DJ Kayalik, guitariste classique de formation a rompu avec cet instrument et le conservatoire qui le soulait pour jouer et créer avec les platines. Massilia, ce sont aussi des projets parallèles qui correspondent à propositions musicales, des solos respectifs, des expérimentations sonores. Lux B et Gari Greu formeront le Oai Star, groupe punk rock qui, depuis 2008, s’est orienté vers l’électro expérimental. Mossu T e lei Jovents se concentrent sur la chanson occitane et le blues, Papet J trace son chemin selon un ragga classique (le reggae, d’abord, toujours) qui s’aventure dans les voies du blues.

Créer du lien…
« On est pas le produit d’un sol. On est le produit de l’action qu’on y mène » Félix-Marcel Castan

Côté lien social Massilia sound system est un champion toutes catégories. « Qu’importe d’où on vient, l’important c’est ce qu’on fait où on vit ». Massilia, Marseille rêvée de tolérance, de partage est Le marché du soleil, la ville aimée, celle où les membres du groupe se sentent cadors, la ville de la Festa des suds, de Docks des suds, des farandoles géantes, celle qui peut aussi se fourvoyer, rompre avec ses valeurs historiques, son génie (l’hospitalité et le mélange) pour faire de l’oeil aux idées brunes, thème de Ma ville est malade. Dès 1990, à « La maison hantée », les Massilia auront à coeur de se démarquer, de casser l’image d’un groupe standard en offrant à boire à leurs spectateurs. Puis vinrent les contacts avec Toulouse et sa région, avec Claude Sicre, alias Docteur Cachou, Ange B., les Fabulous Troubadors qui réveillèrent et s’activèrent dans le quartier Arnaud-Bernard, la rencontre avec Daniel Loddo et la Talvèra. La défense des langues et des cultures minorées, la résistance au centralisme, « la maladie délirante de la nation française »(F.-M Castan) sont des positions affirmées. La revendication et l’audace d’exister hors des circuits influents et puissants économiquement de la musique sont une fierté : Massilia sound system fait toujours salle comble et pourtant il est absent ou presque des ondes, complètement de la télévision. Il a su avant le web, tisser sa toile, son réseau de soutiens et de partages. Chorma (équipage d’une galère, bande) tel est le nom choisi d’associations locales organisant concerts, sardinades, course de baignoires et ayant essaimées de par les villages, les campagnes, les quartiers, les villes, d’ici et d’ailleurs.
Le film de Christian Philibert, au financement, entre autres, participatif de 700 kissbankers, montre tout cela et beaucoup plus encore. Face caméra dans une complicité, une fraternité avec le réalisateur, les Massilia sound system n’évoquent pas mais parlent, mettent en rythme leurs souvenirs, leurs idées, leurs fulgurances. Sans nostalgie, dans le manque de leur compagnon de route trop tôt disparu, ils chantent dans la musique d’une langue mixte pulsée par leurs accents, leur désir de faire, de continuer, d’avancer, d’aller de l’avant « Massilia Fai avans », de se colleter avec les mots et aussi avec certaines idées. Des images d’archives, des captations de concerts, des moments de tournée, des à-côtés, des voyages en train, en bus, des rencontres, des boeufs, des phrases qui bondissent, jouent au ping et au pong, des rencontres, des surprises, de l’émotion, « de la musique avant toute chose », du son, du son, du sound…

Rappel

Massilia Sound System le film, de Christian Philibert, production Les Films d’Espigoule, Betavox Film, Manivette Record, avec le soutien de la Sacem, de toutes les sections de la Chorma, du CE des cheminots PACA et de 700 kissbankers, 2016, 1 h 38 min

Distribué par Patrick Barra, Les Films d’Espigoule

Publié le 04/04/2017 - CC BY-SA 4.0

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