Mamosta
de Olivier Blaecke

Dans Mamosta, tourné dans le camp de Grande-Synthe, Olivier Blaecke filme, au-delà des institutrices bénévoles qui viennent en aide aux migrants, la rencontre et la solidarité. Un cinéma humain qui donne la parole à celles et ceux que l’on entend peu. 

Olivier Blaecke par Gülben Gürler
Olivier Blaecke par Gülben Gürler

Qu’est-ce qui vous a conduit à réaliser Mamosta ?

L’histoire de Mamosta est assez particulière. Après avoir fait un stage aux Ateliers Varan, j’ai traversé une période un peu compliquée. J’avais très envie de réaliser un film, mais j’avais besoin de travailler. Il est très difficile de vivre uniquement du cinéma documentaire. À l’époque, tout ce qui se passait dans « la jungle » de Calais était très médiatisé. Un ami anglais travaillait à l’Auberge des Migrants, un grand centre dans lequel beaucoup de volontaires cuisinent et distribuent vêtements et repas. Ils avaient besoin de monde pour aider, et cet ami m’a donné envie de participer à ce projet. Après avoir organisé une collecte à Marseille, je suis parti en camionnette avec de la nourriture et différents produits de première nécessité. Je n’y suis pas allé dans l’intention de faire un film sur les migrants – même s’il y avait un sujet – car trop de monde s’en était déjà emparé. Mais une fois sur place, j’ai réalisé que ce qui n’avait pas été filmé, c’était l’espoir représenté par tous ces volontaires venus de France, et massivement d’Angleterre, qui vivaient dans des conditions souvent difficiles, dormant dans leur voiture ou dans des caravanes. Après plusieurs voyages, j’ai commencé une série de portraits documentaires de volontaires. En français, on parle de bénévoles, mais je préfère le mot volontaires parce qu’il y a vraiment une connotation positive, d’action. Je filmais ce que je voyais, les gens avec qui j’étais à ce moment-là. Je voulais témoigner de ce formidable élan de générosité auquel j’assistais et que je trouvais incroyable, en décalage total avec ce qui était montré à la télévision. Tout en filmant, je participais et aidais, jusqu’au jour où, de rencontres en rencontres, je me suis retrouvé au camp de Dunkerque. Je suis alors tombé sur cette école et il a tout de suite été évident que je devais faire un film. Ce lieu cristallisait vraiment l’espoir. Ces jeunes migrants, qui avaient marché des kilomètres et des kilomètres, venaient apprendre dans ce lieu fait de tentes et de boue. Ils étaient aidés par d’autres jeunes que je sentais eux aussi en difficulté. Il y avait une osmose qui se créait, un moment éphémère rempli d’espoir, parfois dingue, parfois utopiste, mais en tous cas quelque chose qu’il fallait que je saisisse.

Qu’est-ce que vous aviez envie de dire avec ce film ?

Je voulais avant tout mettre en avant cette histoire de rencontres entre ces femmes bénévoles et ces hommes qui étaient en transit dans le camp de Grande-Synthe. Ils partageaient des moments forts dans cette école balayée par un vent glacial perdue au milieu des gravats. Toutes les classes sociales s’y retrouvaient. Il y avait par exemple cet ingénieur irakien, qui maintenant vit et travaille en France, obligé d’apprendre le français sur des livres d’enfants. Mes parents étaient professeurs et je connais un peu les difficultés des enseignants pour donner l’envie d’apprendre. Alors, voir des gars se lever tous les matins pour suivre des cours dans le froid, la neige, avec l’eau qui coule des plafonds, je trouve ça fou et j’avais conscience qu’ il fallait avoir une motivation énorme.

Pourquoi avoir décidé de produire et distribuer vous-même ce film ?

Par facilité, dans la mesure où, à cette époque, je ne connaissais pas de producteur et qu’il aurait fallu revenir à Paris, taper aux portes, monter des pilotes, être patient. Pendant ce temps, ce que j’avais à filmer était en train de se passer. Il fallait agir sur le moment. Il s’avère que j’ai bien gagné ma vie en postproduction et que je maîtrise parfaitement tout ce qui est montage, couleur, étalonnage. Et j’aime bien m’impliquer dans ce que je fais. J’aime le tournage, la rencontre avec les  gens, mais aussi beaucoup le moment du montage. Travailler sa propre image,  c’est important pour moi. Bien sûr, cela demande de la discipline et de la rigueur, mais il me semblait plus difficile de frapper à des portes que de faire ce travail moi-même.

Quelle a été la vie de ce film depuis sa sortie ?

Je l’ai envoyé à quelques festivals. J’ai eu beaucoup de refus bien sûr, mais aussi des gens très intéressés. Il a été sélectionné au Festival international du film d’Éducation 2017 et au festival du film d’Action Sociale IRTS 2018 de Lorraine où il a reçu un très bon accueil, il a été sélectionné par la commission nationale Images en bibliothèques, est disponible sur Les yeux doc. Il fait également l’objet de projections associatives et vient de passer à la Rochelle dans un théâtre où était organisée une soirée pour les migrants. Il continue à être projeté, il mène sa petite vie, et j’en suis très content. 

Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est d’abord la motivation des migrants et des volontaires. C’est aussi l’abandon total de l’État français. Je me souviens avoir rencontré un bénévole qui venait avec sa femme aider les réfugiés. Il m’a raconté comment le maire de Grande-Synthe s’est battu contre l’État pour construire le camp avec l’aide de Médecins sans Frontières, d’Utopia et des associations anglaises. Il parlait avec horreur des conditions de survie et des flaques de boue dans lesquelles les enfants pataugeaient avant le camp. C’était inimaginable. Il avait fait la Guerre d’Algérie et n’aurait jamais cru voir cela en France. Ce qui m’a frappé, également, c’est le décalage entre ce qu’on pouvait entendre à la radio sur la jungle de Calais et sa criminalité, et ce que  j’y ai vu d’humain et d’entraide. Bien sûr, il y avait des crimes, comme partout, et des strates, des niveaux que je n’ai pas eu le temps d’explorer, comme les questions de pouvoir au sein du territoire. Mais ce n’était pas le sujet du film et il aurait fallu que je sois soutenu par une production sur le long terme. Est-ce qu’on m’aurait laissé filmer ? Je n’en suis pas sûr. À ce moment-là, je pense être allé au bout de ce que je pouvais faire.

Dans Mamosta et dans Over the highway où vous filmez le Cirque électrique vide, vous proposez des lieux à part, des sortes de villes dans la ville, en quoi cet aspect vous a-t-il intéressé ?

Filmer les lieux à part dans la ville, je crois qu’effectivement c’est récurrent chez moi. J’aime les outsiders, les gens en marge. Mon premier court métrage documentaire, Cybergers, s’intéressait à des jeunes, nés avec les ordinateurs dans les années 70/80, mais qui décident un retour radical à la nature. Ils vivent dans les Pyrénées à plus de 2000 mètres d’altitude, l’électricité est fournie par des  panneaux solaires et des batteries de camions. Ils écoutent de la musique électronique tout en élevant des moutons et leurs discussions tournent autour de : comment survivre avec le minimum vital et ne pas payer d’impôts pour ne pas participer à la société. C’est quelque chose qui m’a toujours fasciné, la résistance que l’on peut (ou pas) opposer à la société qui nous entoure. C’est un sujet vaste et passionnant. Dans Mamosta, cette école est un peu hors du temps et de la société, coincée entre l’autoroute et la voie ferrée. Le paradoxe intéressant, c’est que les volontaires contestent et cherchent à fuir la société occidentale en allant aider, tandis que ceux qu’ils vont aider n’ont qu’une envie, c’est de s’intégrer avec force. Ils ont ce rêve fou d’aller en Angleterre, parce que c’est le pays du libéralisme économique et qu’ils pensent pouvoir y trouver un emploi facilement.

Vous avez suivi un stage aux Ateliers Varan, pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

J’avais plein d’idées de courts métrages que je n’arrivais pas à finir. J’avais besoin de nouvelles pistes. Une amie m’a dit d’aller voir à l’AFDAS. Parmi les nombreuses formations proposées, je suis tombé sur les Ateliers Varan, école de cinéma documentaire. je ne connaissais pas très bien le documentaire de création, en tant que genre cinématographique et artistique. J’avais déjà réalisé quelques courts, dont Cybergers mais je n’avais que très peu de références : Route One Usa de Robert Kramer, les films de Frederic Tachou, ceux de Denis Cartet et quelques autres sur des groupes de musique américains… Je me suis senti arriver là où je devais être et tout a commencé à converger. Je suis allé les voir, ils sont assez exigeants et j’ai du écrire un projet. J’ai la chance d’avoir pu faire un stage qui consistait à faire un film. Dès le deuxième jour, vous allez tourner, vous avez droit à dix minutes par jour. Cette contrainte est géniale parce qu’elle vous force à penser à ce que vous allez tourner quand bien même la technique permet d’enregistrer des heures sur des cartes. Dans le milieu audiovisuel, que je fréquente beaucoup, il est coutumier d’entendre « moi j’ai 8 téras de rushs ». Après Varan, ce n’est plus du tout pour moi un argument de qualité, bien au contraire. Récemment, il y a eu un Cycle McElwee au Centre Pompidou et ça a été une vraie rencontre. Il continue à tourner en argentique, en 16 mm. Et quand il ne reste plus qu’une bobine de dix minutes, cela l’oblige à se poser les vraies questions : qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je filme ?

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

J’ai beaucoup de choses en tête. Là, je suis en montage, je travaille depuis deux ans sur une série documentaire que je viens de terminer où je suis des jeunes startupers. C’est une commande, mais je la fais avec le même engagement que pour mes films de création. J’ai une grande liberté et j’apprends beaucoup. Je repars en écriture d’ici peu.

Publié le 21/05/2019 - CC BY-SA 4.0

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