Entretien avec Salomé Kintz, coordinatrice de la valorisation des ressources en ligne à la Bibliothèque publique d’information.
Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à cette question ? Ce sont des questionnements très actuels qu’on retrouve dans différents domaines, aussi bien dans le monde de l’édition que dans le marketing puisque la question est vraiment de créer des ponts entre le numérique et le physique. Comment renvoyer à partir d’un support physique vers des informations immatérielles, virtuelles, qu’on ne voit pas.
D’après-toi quels sont les enjeux autour de la re-matérialisation des ressources numériques ? Déjà à la Bpi, on n’a pas d’accès distant aux ressources en ligne. Elles ne sont consultables que dans les espaces de la bibliothèque. Donc, il faut vraiment qu’elles soient utilisées ici, qu’elles soient visibles et que les lecteurs se les approprient. L’enjeu est comment mettre en avant des choses qu’on ne voit pas. Par ailleurs, les ressources en ligne sont des ressources chères et sous-utilisées parce qu’invisibles dans la bibliothèque. Il y a aussi sur internet une quantité de sites gratuits très intéressants que le public ne connaît pas. Notre métier de bibliothécaire aujourd’hui c’est aussi d’intégrer toutes ces ressources virtuelles ou numériques à nos collections pour créer une offre globale et cohérente.
Peux-tu donner des exemples d’actions de re-matérialisation de ressources numériques ? Par exemple, cela peut-être un éditeur qui valorise ses Ebooks sous forme de cartes QR code. Le lecteur peut repartir avec sa carte qui renvoie vers un Ebook. On peut imaginer faire çà à la Bpi aussi puisqu’on a des éditeurs payants, auxquels la bibliothèque est abonnée, qui ont donné leur accord pour qu’on crée des cartes Ebook à partir de leur base et qu’on les mette à disposition des lecteurs. On va avoir aussi tout ce qui est autour de la question de la signalétique dans la bibliothèque. Pour l’instant c’est vrai qu’on réfléchit surtout à signaler les ouvrages papier sur les étagères mais il faut aussi se pencher sur la question de la signalétique des ressources numériques, notamment les signaler à proximité des collections, à proximité des ordinateurs, mais aussi sur les tables de lecture, voire dans des endroits où les lecteurs ont d’autres usages comme la cafétéria par exemple. Le QR code est gratuit et basique. Tout le monde peut faire des QR code. Ce qui est intéressant c’est que l’on constate que même si tout le monde n’utilise pas le QR code, presque tout le monde sait que derrière, il y a quelque chose. Donc, cela peut être quelque chose à utiliser dans les espaces de la bibliothèque. Il y a d’autres techniques qui se développent beaucoup en marketing. Dans la presse féminine par exemple, on a des visuels enrichis sur lesquels on télécharge une application, on flashe une image et on arrive directement sur un site de vente en ligne. Le visuel n’est pas altéré par le QR code. On a le visuel qu’on veut et on enrichit cette image. A la bibliothèque, on ne renverrait bien sûr pas vers un site de vente en ligne, mais à partir d’un visuel, par exemple sur les tables de lecture, on pourrait renvoyer vers les ressources en droit ou vers un tutoriel en ligne. Il y a plein de choses à imaginer.
Du coup, il pourrait y avoir dans chaque espace de la bibliothèque des sites en lien avec les collections de cet espace ? Tout à fait, et en même temps on peut aussi créer la surprise. On peut par exemple mettre en avant la ressource de musique, parce qu’on peut écouter de la musique en travaillant sur ses cours de droit. On peut essayer de disséminer ces ressources dans l’ensemble de la bibliothèque pour qu’elles soient au plus près des lecteurs dans leurs différentes démarches.
Est-ce que cela a déjà été testé à la Bpi ? On a fait de tous petits tests sur la reconnaissance d’image parce que l’on a une start-up qui était d’accord pour tester çà avec nous. Les limites étaient qu’au départ on a simplement un visuel et il faut faire comprendre au lecteur qu’il y a une application à télécharger pour pouvoir ensuite accéder à un contenu enrichi, donc au départ cela nécessite vraiment une médiation et c’est ça qu’on n’a pas pu tester à grande échelle. Je pense que dans l’idéal il faudrait que cette application de reconnaissance d’image, si on décide de choisir cette technique, soit intégrée à une application Bpi et qu’en téléchargeant cette application, on explique que dans la bibliothèque, il y a des visuels enrichis et qu’en les flashant on accède à un autre contenu. Pour le QR code, on va essayer de les développer sur des affiches à proximité des postes informatiques. On a aussi testé un modèle de fantôme pour matérialiser un ouvrage qui n’existait qu’en ligne sur les étagères et je n’ai pas pu l’apporter parce qu’il a disparu, tellement il était beau. On a testé, lors du festival Hors-pistes en collaboration avec le Centre Pompidou, une Bibliobox. Cela se fait beaucoup en bibliothèque. C’est une déclinaison de la Piratebox qui permet de mettre à disposition du contenu libre de droit via une petite boite qui crée un réseau wifi déconnecté d’internet. Les usagers se connectent au réseau via cette petite boite, et peuvent récupérer les documents qui sont mis dedans. On pourrait imaginer une table de valorisation avec une Bibliobox thématique au milieu, qui serait le moyen pour les lecteurs de récupérer des articles au format PDF et de repartir avec.
Comment s’est passé ce test pendant le festival Hors-pistes ? On n’a pas de statistiques sur combien de personnes ont téléchargé nos ouvrages libres de droit. On avait une petite boite posée sur un bureau et des flyers qui expliquaient un peu le principe. On a remarqué que cela suscitait de la curiosité. Les personnes se demandaient ce que c’était, comment cela marchait et cela permettait d’engager une discussion entre le bibliothécaire et les usagers autour de ces problématiques de ressources en ligne, mais aussi des droits d’auteur.
Comment s’est passé ce test pendant le festival Hors-pistes ? On n’a pas de statistiques sur combien de personnes ont téléchargé nos ouvrages libres de droit. On avait une petite boite posée sur un bureau et des flyers qui expliquaient un peu le principe. On a remarqué que cela suscitait de la curiosité. Les personnes se demandaient ce que c’était, comment cela marchait et cela permettait d’engager une discussion entre le bibliothécaire et les usagers autour de ces problématiques de ressources en ligne, mais aussi des droits d’auteur.
Quelles-sont les autres techniques de re-matérialisation des ressources numériques ? Le QR code et la reconnaissance d’image sont des techniques actives car c’est l’usager qui va décider à un moment de flasher un visuel pour accéder à un contenu. Il y a d’autres solutions que l’on appelle de push, comme NFC ou les balises Beacon, qui vont permettre d’envoyer des notifications. On pourrait imaginer un petit objet sur une étagère et quand on passe à côté, si on a autorisé les notifications sur son smartphone, on peut recevoir des informations de la bibliothèque. Après, c’est peut-être un peu plus intrusif et je préfère l’idée de faire une démarche et que le lecteur décide de flasher. Après, ce qui est important est de toujours penser que tout le monde n’est pas équipé de smartphone et de mettre aussi en avant ces contenus pour des lecteurs qui ne seraient pas connectés ou pas équipés et c’est pour cela que tout ce qui va être signalétique et travail sur des visuels attractifs, me parait le plus pertinent parce que les visuels parlent à tout le monde et ensuite, il y a aussi l’accès via les ordinateurs de la bibliothèque. La bibliothèque doit fournir un accès idéal aux ressources donc il faut un réseau qui fonctionne et des écrans adaptés. Il faut que l’on puisse consulter ces ressources dans de très bonnes conditions et il faut aussi, bien sûr pouvoir s’adresser à un bibliothécaire qui va accompagner le lecteur.
Si tu devais choisir une seule des techniques de re-matérialisation évoquée, laquelle ce serait ? Je pense que ce qui est intéressant justement, c’est de ne pas forcément en choisir une mais d’utiliser différentes techniques, différents formats aussi. On peut avoir des petits objets sur les étagères, des grandes affiches, de la signalétique au sol et des petits stickers sur les tables. Il vaut mieux multiplier les techniques, les technologies et les points d’accès parce que c’est ce qui risque de marcher le mieux plutôt que d’avoir quelque chose d’uniforme. Ensuite, peut-être que je privilligierai moins ce qui est technologie de push. Je continuerai bien des tests autour des QR code, de la reconnaissance d’image et de la Bibliobox avec les ressources de la bibliothèque. On peut aussi décliner ces techniques sous différents formats avec de petits supports papier, des cartes de visite, des marque-pages et des stickers que l’on peut coller un peu partout dans la bibliothèque, mettre quelque chose au sol qui permette de renvoyer vers un visuel. Je pense que cela peut être intéressant parce que tout le monde ne va pas être interpellé par la même chose. On peut tester différentes choses sachant que de toute façon, ce ne sont que des techniques, des moyens et que dans tous les cas en amont, on a un travail de bibliothécaire, un travail de tri, de sélection, de mise en avant de certains éléments de ces collections. Le « problème » des collections numériques, c’est que ce sont des flux et que cela change énormément par rapport au traitement du papier et en amont le bibliothécaire va devoir extraire ce qui lui paraît important, faire sa sélection. On a ensuite le choix de la technique et après on a l’aspect médiation humaine pour accompagner tout cela.
D’après-toi quelles sont les limites de la re-matérialisation des ressources numériques et de ces techniques ? La limite serait de penser qu’elles se suffisent à elles-mêmes, qu’il suffit de mettre à disposition un sticker QR code pour qu’il n’y ait plus besoin de faire quoi que ce soit. Ce qu’il faut bien avoir en-tête c’est qu’il y a en amont le travail de préparation, de sélection du bibliothécaire et puis l’accompagnement et la médiation humaine qui sont nécessaires.
Pour des actions de re-matérialisation pérennes dans la bibliothèque, comment verrais-tu la médiation ? En fait, une fois qu’on a choisi la technique ou la technologie qu’on va utiliser, le sujet c’est aussi de faire une campagne de communication et donc de penser tous ces aspects là avec des visuels percutants et parlants, tout en ayant en-tête que l’on peut renvoyer vers les bibliothécaires qui sont là pour accompagner.
Est-ce que tu connais d’autres bibliothèques qui ont eu des expériences similaires ? En fait toutes les bibliothèques se penchent sur ces questions de re-matérialisation des ressources en ligne. Il n’y a pas d’innovation de la Bpi là-dessus. La Bibliobox est très répandue dans les bibliothèques. La réflexion autour des QR code aussi. Les fantômes avec un QR code qui renvoie vers des ressource en ligne, faire des petits objets comme des cubes, des fantômes avec des boitiers de DVD, ce sont des choses qui se font partout.
As-tu eu des retours sur comment cela se passe, les difficultés, les succès dans les autres établissements ? Alors les retours, je pense que c’est toujours un peu la même chose, c’est-à-dire que pour ce qui va être du QR code, on ne sait pas forcément si les gens l’utilisent, s’ils vont vraiment flasher ce petit logo. En même temps, ce que j’ai envie de dire c’est qu’au moins ils savent qu’il y a quelque chose, ils savent que c’est possible et si on a une carte ou un visuel attractif, que le lecteur a envie de partir avec et de le garder. Peut-être qu’un jour, ils le flasheront, ou pas, mais au moins, ils prennent conscience de l’offre et c’est peut-être déjà un élément important. Sur les Bibliobox, ça marche bien parce qu’effectivement ça interpelle, on se demande ce qu’est cette chose, et puis le fait de pouvoir repartir après avec des documents, c’est intéressant. Il est également intéressant de tester quelque chose qui vient d’un milieu alternatif au départ avec ces Piratebox. Je pense que c’est quelque chose de bien mais qui nécessite un accompagnement et une médiation humaine.
Quelles sont les ressources numériques à la Bpi sur lesquelles éventuellement il serait possible de s’appuyer pour faire de la médiation sur les autres qui sont moins visibles ? Alors ce qui marche bien à la Bpi ce sont tout ce qui est ressource d’actualité et de presse, dont les grands sites de presse auxquels on est abonné et les agrégateurs de presse. Il y a aussi les journaux en ligne, les pure-players auxquels on est abonné, qui marchent très bien et ce sont des ressources que l’on peut imaginer mettre en avant n’importe où. Par exemple, dans la cafétéria, on pourrait mettre un sticker qui renvoie vers Médiapart , les jours ou arrêt sur image. On peut très bien lire son journal en buvant son café. Ce qui fonctionne bien aussi, ce sont les ressources en droit-économie. On a un public étudiant mais aussi un public professionnel qui vient à la bibliothèque ou des personnes qui ont des questions plutôt pratiques, en recherche d’emploi etc, donc on pourrait imaginer aussi quelque chose là-dessus et sinon des ressources plus académiques qui correspondent bien au public étudiant de la Bpi. Certains éditeurs nous ont donné leur accord pour des médiations autour d’une Bibliobox. Je pense à Cairn par exemple qui serait tout à fait d’accord pour mettre à disposition ses pdf via le dispositif Bibliobox.
Et justement, est-ce que les éditeurs réfléchissent à une médiation vers leurs ressources numériques ? Bien sûr, ils y réfléchissent. Ils développent des supports de communication, à noter que les supports de communication sont aussi de la re-matérialisation quelque part. L’éditeur va mettre en avant ses propres ressources à lui et nous ce qui nous intéresse en tant que bibliothécaire, c’est de mettre en avant une collection cohérente pour le lecteur, c’est un peu la différence entre les deux démarches. Pour l’instant en dehors des supports de communication mis à disposition, on n’a pas eu de proposition extravagante d’un éditeur.
Est-ce qu’il y a des choses à venir sur la question de la re-matérialisation des ressources en ligne à la Bpi ? Il y a le chantier signalétique dans le cadre du projet de rénovation. On a demandé à ce que la signalétique des ressources en ligne soit pensée dans ce cadre-là de manière globale, donc à suivre. Dans l’immédiat on a un partenariat avec une école de design numérique. Un groupe d’élèves travaille sur cette question-là. On leur a demandé d’imaginer un visuel qui puisse être décliné sous différentes formes et qui puisse aboutir à la création d’objets interfaces. Ces objets interface peuvent être des supports de communication, des affiches, des stickers, des objets parce que peut-être qu’un jour on pourra avoir des objets Bpi à destination des usagers. A la fin de l’année universitaire, ils devraient nous proposer quelque chose.
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