Notturno
de Gianfranco Rosi

Sortie en salles le mercredi 22 septembre 2021.

Dans son film précédent, Fuocommare, Gianfranco Rosi avait porté à l’écran la question de l’exil et de la migration sur l’île de Lampedusa. Avec Notturno, le cinéaste propose un film puissant sur la violence et la guerre.

Photo extraite du film Notturno
Notturno © Météore Films

L’avis de la bibliothécaire

Des hommes surgissent. Ils courent et s’entraînent sous un ciel crépusculaire. Leurs cris presque sauvages amorcent le film pour engager, peut-être, le spectateur à s’immerger lui aussi avec force. Puis, vient un plan fixe sur une bâtisse semblant sortir du néant. À l’intérieur, de vieilles femmes errent. La douleur de la perte envahit l’espace tandis que la lumière du jour se devine, morcelée, à travers de fines ouvertures dans ces murs désertés. 

Au-delà des limites

Pendant trois ans, Gianfranco Rosi voyage aux frontières entre l’Irak, le Kurdistan, le Liban et la Syrie. C’est là, dans ces zones de passage et de démarcation, en bordure de ces mondes soumis aux flammes de la guerre, qu’il choisit de poser sa caméra. Elisée Reclus, géographe du XIXe siècle écrivait au sujet des frontières : « ce sont des lignes artificielles imposées par la violence, la guerre, l’astuce des Rois et sanctionnées par la couardise des peuples… ». Ici, ce ne sont pas les zones de combats qui définissent la guerre, c’est ce qu’elle active et laisse dans son sillage. Portrait en creux dessiné par ces mères, ces femmes soldats, ces prisonniers, ces malades, ces enfants… Filmer ces lieux montre à quel point la frontière est mince entre ce qui nous sépare de l’atroce ou, au contraire, de lendemains salvateurs.

Ouvrir l’œil

Que se passe-t-il tandis qu’une partie du monde dort ? Que se passe-t-il lorsque nos paupières closes empêchent de voir autour de nous ? La nuit devient un territoire en soi, à la lisière d’hier et de demain. Et tout comme le ciel unificateur, la nuit semble désamorcer le paysage. Pourtant les personnages restent aux aguets, « la nuit me fait très peur », observant et surveillant l’avancée de l’ennemi. Seul un cheval planté au milieu d’un carrefour, figure bestiale, tantôt domestiquée tantôt sauvage, reste imperturbable face à l’agitation du monde.

Sous les nuages

« Quoi de plus beau que la pluie » s’exclame l’un des personnages. Ce ciel, auquel Gianfranco Rosi donne une place intense, semble à la fois protéger et témoigner de l’impact du temps : celui qu’il fait, celui qui s’écoule du matin jusqu’au soir, celui laissé au spectateur pour capter et ressentir la puissance de l’image, celui du tournage et de l’immersion, celui surtout qui pourrait faire oublier la douleur. Et tandis que la terre subit assauts et tempêtes, la caméra fixe ces paysages tourmentés. Des femmes, des enfants et des hommes viennent alors littéralement composer l’image et le récit.

Photo extraite du film Notturno
Notturno © Météore Films

Revenir à l’essentiel 

Revenir au cinéma. Dans ce film, composé d’une succession de séquences, tout confère au symbole et pourtant Gianfranco Rosi parvient à laisser la vie s’infiltrer comme la lumière surgit malgré l’obscurité. L’esthétisme et le cadrage au cordeau plaident pour une résilience possible et nécessaire dans un monde dévasté par la guerre. Pour raconter ce que la guerre fracasse, ce n’est pas l’analyse mais la poésie qui émerge. Cette poésie que Léopold Sédar Senghor définissait comme « le langage le plus expressif qui passe par les sens pour aller jusqu’à l’âme..». Le cinéaste ne s’attache pas à filmer des personnages, il révèle l’onde de choc provoquée par ces conflits armés donnant au cinéma le pouvoir de raconter par lui-même l’indicible, hors du spectaculaire. Ce qui ne peut pas être montré, ni dit, ce que les caméras de reportage ne peuvent pas exprimer, il parvient à le faire exister par une construction, une esthétique et la parole donnée notamment aux enfants.

Ouvrir les yeux

Le cadre dans le cadre, le spectacle dans le film, la mise en abîme intervient tout au long du film, donnant à voir des morceaux de réel. À plusieurs reprises Gianfranco Rosi s’affranchit pourtant des limites, proposant des plans larges comme s’il cherchait à étendre le territoire imaginaire et à donner forme à tous ces fragments. Les armes, les ruines, les dégâts sont là, bien visibles ou au contraire dissimulés dans les corps et dans les regards mais l’œil paresseux de Samuele dans Fuoccomare se transforme ici. L’enfant de Notturno a grandi, son regard s’ouvre et interpelle, invitant peut-être les spectateurs à regarder ce qui persiste quand la vague se retire et d’en prendre conscience au-delà du cadre, au-delà du film.

Rappel

Notturno de Gianfranco Rosi – 2020 – 1h40min – Production : Les films d’ici, Stemal Entertainment, 21Uno Film – Distribution : Météore Films

Publié le 21/09/2021 - CC BY-SA 4.0

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