Apprendre le montage à Lyon 2

La bibliothèque universitaire de Lyon 2 a participé cette année à la 1re édition du Prix du public Les yeux doc. Maïa Rosenberger, en charge de la ressource, a souhaité associer la licence pro montage de l’université Lumière Lyon 2 à l’événement. 

Jacques Gerstenkorn, professeur d’études cinématographiques à l’université Lumière Lyon 2, a été sensible à la démarche et a très vite réfléchi à la façon d’impliquer ses étudiantes et étudiants. Responsable du TD de montage documentaire, il leur a proposé de réaliser un entretien croisé destiné à mieux comprendre ce qui régit la relation entre réalisateur et monteur à une étape cruciale du film. Si ce Prix est l’occasion de valoriser les films, il fait aussi émerger la nécessité d’éveiller les regards au documentaire de création. Une approche souvent réductrice consiste à voir le film documentaire comme un pur enregistrement du réel, oubliant qu’il s’agit d’un objet construit, procédant à la fois d’une fabrication et d’une multitude de choix à toutes les étapes. Pour Jacques Gerstenkorn, “il faut assumer que ces films puissent être considérés telle une œuvre d’art et, ainsi, proposer de parler d’un film documentaire comme on parle d’un tableau aux visiteurs d’un musée.” Transmettre des clefs et partager la passion de ce cinéma qui ouvre au monde : un véritable défi quand on sait qu’il ne dispose que de 15 heures pour sensibiliser les étudiants aux enjeux du montage. 

Pour illustrer “cette infinité de possibles, ce moment où on donne forme au film”, Jacques Gerstenkorn  prend volontiers l’exemple de L’Île au trésor de Guillaume Brac où 180 heures de rushes, c’est-à-dire 10 800 minutes ont abouti à un long métrage de 97 minutes, autrement dit 10 703 minutes n’ont pas été montées. C’est ce processus de sélection que l’enseignant-chercheur invite à interroger. Ainsi, prendre le temps de regarder et d’analyser est un préalable à d’autres formes de découverte. Depuis 2001, Jacques Gerstenkorn propose également aux étudiants du master Cinéma et audiovisuel de participer activement au festival Doc en Courts qu’il a fondé au sein de l’Université et dont le palmarès est depuis plusieurs années présenté en projection publique  par la Bpi, au Centre Pompidou. Et s’il passe du temps à interroger les gestes et le processus de création artistique, il garde intact son regard de spectateur : “toute analyse doit se fonder d’abord sur une émotion”.

Dans le cadre de la licence de montage, Jeanne Polblanc a choisi l’écrit en  interrogeant Guillaume Brac et Karen Benainous, réalisateur et monteuse de L’Île au trésor, Alexandre Caurez a travaillé sur Derniers jours à Shibati au format vidéo. Nous avons le plaisir de diffuser leur travail et de publier une courte interview avec Alexandre.

Travail de Jeanne sur L’Île au trésor à télécharger ici et vidéo d’Alexandre à voir ci-dessous

Pourquoi avoir choisi de travailler sur le film Derniers jours à Shibati ?

J’étais d’abord fasciné par la démarche elle-même, celle d’un réalisateur qui part seul, sans équipe, tenant à la fois le triple rôle de réalisateur, monteur et chef opérateur, cumulant énormément de tâches tout seul dans un pays lointain. Et puis, du peu que j’en avais vu dans les bandes-annonces, je trouvais les personnages très attachants, hauts en couleur, et la ville en elle-même semblait déborder d’énergie. Ensuite, ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est le fait que les tournages se sont étalés sur plusieurs mois, le montage jouait alors sur différentes temporalités. On voit concrètement à l’écran l’évolution de ce quartier sur le point de disparaître. Hendrick Dusollier parvient à installer le rythme du quotidien et laisse au spectateur le temps de prendre conscience que les personnages sont à deux doigts de changer radicalement de vie. Le film cristallise bien cette mutation, ces vies en constante évolution.

L’exercice consistait à croiser les regards entre réalisateur et monteur. Dans le cas de ce film, tout est fait par un seul et même homme, était-ce un choix  ? 

A l’origine, notre professeur nous a proposé ce film parmi d’autres. Le choix de réaliser et monter seul son film est particulièrement fort car c’est un exercice très difficile. J’ai interviewé une connaissance qui a réalisé et monté son film. Je voulais comparer un peu, même si ça ne transparaît pas du tout dans mon projet, voir si les deux réalisateurs avaient la même perception du montage. Ce sont deux films très différents, mais le fait de monter soi-même son film, de tourner puis d’aller jusqu’à la post-production m’intéressait beaucoup. Ces deux réalisateurs ont aussi conscience de l’importance d’avoir un avis complètement extérieur pour savoir ce qu’il est nécessaire de garder au montage. C’est parfois ce regard qui permet de faire le deuil d’images qu’on a eu tant de plaisir ou pris de temps à tourner. On en a discuté brièvement avec Hendrick Dusollier qui a dû sacrifier une séquence entre une petite fille et le jeune garçon, une scène apparemment très belle qui ne faisait pas sens avec le propos du film. En l’écoutant, j’étais presque déçu qu’elle n’apparaisse pas dans le montage final.

Est-ce que ce renoncement est quelque chose dont vous aviez conscience ?

En tant qu’étudiant monteur, on le sent tous les jours. La notion de sacrifice est très présente. L’outil du monteur, le “Cut”, permet d’assembler, désassembler, construire, déconstruire une narration. Nous sommes tous conscients que parfois il vaut mieux avoir un regard extérieur pour pouvoir passer à l’acte. Notre métier est à la fois de couper et diviser, mais aussi de rassembler et juxtaposer.

Pourquoi se lance-t-on dans des études de montage ?

Personnellement, j’étais fasciné par le pouvoir de suggestion du montage. On sous-estime beaucoup le pouvoir du montage. Mais, quand il y a une bonne collaboration avec un réalisateur, on peut suggérer énormément de choses sur des points de détail. Il y a, dans le montage, une puissance considérable et ce pouvoir requiert un peu d’éthique. Je trouve cela très fascinant et pertinent pour des études.

Quelle place occupe le cinéma documentaire pour vous ? 

Pour moi, le cinéma documentaire est une sorte de prisme révélateur du monde, l’expression d’une perception qui n’est pas la nôtre. C’est une ouverture considérable sur le monde.

Est ce que ce travail sur du cinéma documentaire oriente aussi votre regard, vos envies de cinéma et de montage ?

En faisant des études de cinéma on se nourrit d’énormément d’images. On entre en pensant avoir vu un nombre incalculable de films mais, au fur et à mesure, on réalise qu’on n’arrivera jamais à tout voir. On garde néanmoins l’envie de tout découvrir et de se forger une expérience en se nourrissant de cette culture pour, un jour, produire quelque chose qui nous est propre. 

Est-ce qu’on ne perd pas le plaisir du simple spectateur à force  d’analyser et disséquer tout le temps les films que l’on visionne ?

Tout dépend dans quel contexte on regarde un film. Mais je pense que ça permet d’une certaine manière de mieux comprendre un film. En tant qu’étudiant, on nous offre l’opportunité de développer des outils  pour mieux appréhender le cinéma et de formuler des hypothèses de travail. Nous passons d’un statut de spectateur passif à celui de spectateur actif. Il est très important de garder ce regard de spectateur. On doit être à la fois un peu dedans et dehors. On doit se détacher de la passivité du spectateur tout en gardant sa naïveté.

Publié le 25/05/2021 - CC BY-SA 4.0

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