Le « Rincón del sonido » de Medialab : un studio de pratique musicale à ciel ouvert
par Xavier Loyant

Le voyage d’étude organisé par la Bibliothèque publique d’information (Bpi) au Pays basque espagnol en 2022 a été l’occasion de découvrir la bibliothèque Medialab. Ce tiers lieu est intégré à la Tabakalera de Saint-Sébastien. Le renversement qui y est opéré entre pratiques et collections musicales a particulièrement intéressé les participants.

Installé dans une ancienne usine de tabac réhabilitée dans les années 2010, le centre culturel Tabakalera est consacré à la culture basque contemporaine. Il abrite plusieurs institutions culturelles, dont la plupart sont dédiées au cinéma ou à l’audiovisuel : festival du film de Saint-Sébastien, Filmothèque basque, école de cinéma, association Zineuskadi chargée de la promotion du secteur audiovisuel basque. Tabakalera accueille également la fondation Kutxa pour la promotion des artistes basques, l’institut Etxepare Euskal dédié au rayonnement de la langue et de la culture basques, et même un incubateur de startups.

On y trouve enfin Medialab, médiathèque issue de la fusion, en 2017, de deux institutions de la ville : une bibliothèque axée sur la création contemporaine et un laboratoire citoyen. Pas tout à fait un fablab, pas tout à fait une bibliothèque non plus, Medialab a l’apparence d’un tiers lieu et se définit comme un « espace ouvert de création et expérimentation ». Il déploie son offre autour de quatre mots-clés : apprendre, créer, expérimenter et « loisirer » (disfrutar, en espagnol).

Appliqués à la musique, il était donc d’emblée naturel que ces quatre mots-clés trouvent leur traduction dans la mise à disposition d’un studio de pratique musicale et de création sonore au sein du Coin du son (Rincón del sonido).

Un studio de pratique musicale et de création sonore

Sont ainsi mis à disposition du public des instruments de musique acoustiques (trombone, trompette) comme électriques (guitare, basse et leur ampli) ou numériques (batterie, clavier), mais aussi des équipements et logiciels de traitement du son, le tout pensé dans un continuum de pratique et de création.

Les usagers ont donc également à leur disposition micros, caméras, cartes son, zooms, ipod, trépieds, connectique, ainsi qu’un chariot « clé en main » rassemblant du matériel d’enregistrement : ordinateur, cartes son, micro, casque et connectique. Sur roulettes, ce chariot permet de réaliser des enregistrements nomades.

Tous ces instruments et matériels sont réservables pour une durée de deux heures et au-delà si le matériel utilisé n’est pas réservé ensuite. S’ils sont disponibles, ils sont également librement accessibles.

Il est possible d’emprunter certains matériels d’enregistrement (micro, zoom, carte son…). En revanche, les instruments de musique ne sont pas ouverts au prêt car Medialab ne pourrait pas absorber la demande.

L’ensemble de l’offre est accessible en solo comme en groupe (les groupes jouent au casque), et il est possible de venir avec son propre instrument ou matériel pour utiliser ensuite les logiciels de traitement sonore.

Vue du studio Medialab de la Tabakalera à Saint-Sébastien © Bpi
Vue globale du studio. Au fond, la collection de CD ; à gauche, les ouvrages papier © Bpi.

Un studio de pratique musicale et de création sonore ouvert sur les autres espaces

Ce qui interpelle immédiatement le professionnel français, trop habitué à avoir pour réflexe de minimiser le plus possible les interférences sonores causées par la pratique musicale en bibliothèque pour, en somme, « ne pas gêner » (jeu au casque, studios insonorisés ou à minima installés dans des pièces fermées), c’est que le Coin du son ne fait l’objet d’aucun traitement acoustique particulier (l’ensemble des surfaces du bâtiment bénéficient du même traitement acoustique).

Certes le studio est installé dans l’entrée de l’établissement, un endroit de passage où les usagers ne sont pas censés séjourner, certes trombone et trompette sont équipées d’une sourdine, certes la batterie est numérique, certes guitare et basse sont jouées au casque, mais pour le reste les instruments sont rassemblés dans un espace « à ciel ouvert » et le volume sonore produit est accepté comme composante à part entière du lieu (voir également notre article sur la gestion du bruit et du silence dans les bibliothèques basques).

C’est que Medialab n’a pas été pensé pour l’étude silencieuse mais bien pour la pratique, pour le « faire », qui induit un certain niveau sonore. Le silence n’est donc pas un dû, et il n’est pas non plus recherché. L’établissement compte sur l’auto-régulation et facilite la cohabitation des usages en fixant la jauge maximale bien en-dessous des capacités maximales d’accueil du lieu. Ces principes de cohabitation sont rappelés avec bienveillance et une pointe de malice aux rares usagers qui s’en inquiètent.

Photo d'un échange écrit entre un usager et la bibliothèque à propos du bruit dû à la pratique musicale dans le studio 
≪ Bonjour ! Vous devriez mettre la batterie ailleurs, par exemple là où se trouve la table de ping-pong. On entend beaucoup le tac tac tac dans toute la bibliothèque et si tu es train d’étudier ou de travailler ça déconcentre pas mal, pour ne pas dire beaucoup ! Autour de moi ça les dérangeait aussi.  
- Salut ! Merci pour ton opinion. Ce qui est certain c’est que tu as raison, mais nous concevons Medialab comme un espace pour expérimenter et créer (ce qui génère parfois des “tac tac tac”). Inversement si on déplace la batterie à la place du ping-pong, où est-ce qu’on jouera au ping-pong, et comment… 🙂 ≫
© Bpi
Les missions et principes de cohabitation des usages en vigueur à Medialab sont rappelés avec bienveillance et une pointe de malice :
≪ Bonjour ! Vous devriez mettre la batterie ailleurs, par exemple là où se trouve la table de ping-pong. On entend beaucoup le tac tac tac dans toute la bibliothèque et si tu es train d’étudier ou de travailler ça déconcentre pas mal, pour ne pas dire beaucoup ! Autour de moi ça les dérangeait aussi.
– Salut ! Merci pour ton opinion. Ce qui est certain c’est que tu as raison, mais nous concevons Medialab comme un espace pour expérimenter et créer (ce qui génère parfois des “tac tac tac”). Inversement si on déplace la batterie à la place du ping-pong, où est-ce qu’on jouera au ping-pong, et comment… 🙂 ≫ © Bpi.

Dans le même ordre d’idée, lorsque les musiciens sont talentueux, les équipes de Medialab peuvent les inviter, pour 10 minutes ou un quart d’heure, à débrancher leur casque et à brancher leur instrument sur ampli pour générer un peu d’animation et « ambiancer » les lieux. Sont d’ailleurs régulièrement organisés des concerts des usagers, invités à se produire devant le public de Medialab.

Une offre documentaire complémentaire à la pratique musicale, et non l’inverse

Medialab met donc d’emblée la pratique au cœur de son projet. Il est particulièrement intéressant dans ce cadre de constater qu’il y a eu, à la création de l’établissement, et plus spécifiquement du Coin du son, comme un renversement de l’approche que nous avons traditionnellement en bibliothèque.

En effet, alors que de nombreux établissements conçoivent le développement de services de pratique musicale comme une réponse à une désaffection des publics pour les collections documentaires et le CD, à la bibliothèque Medilalab c’est le développement de cette offre de pratique qui a dicté la constitution du fonds documentaire, directement lié aux équipements proposés.

Pour accompagner les usagers dans le développement de leur pratique, Medialiab met ainsi à leur disposition un fonds de méthodes d’apprentissage de la musique et des instruments, les modes d’emploi des matériels et logiciels proposés (18 références au catalogue), des ouvrages sur la musique contemporaine et expérimentale, ainsi que des partitions. On peut de la sorte aussi bien se perfectionner à la batterie qu’au traitement informatique du son.

Photo d'étagères présentant le fonds documentaire dans le coin du son © Bpi
Le fonds documentaire est consacré à la musique contemporaine et expérimentale. Sur cette image, une méthode de guitare électrique voisine avec des ouvrages théoriques © Bpi.

Il est également possible de venir écouter ou emprunter des albums CD et quelques vinyles. Ce fonds (environ 1850 références) est exclusivement constitué de musique contemporaine et expérimentale, en accord avec le positionnement de Medialab qui met, depuis son ouverture, création et expérimentation au cœur de son projet : « un espacio abierto de creación y experimentación ciudadana » (« un espace ouvert de création et d’expérimentation citoyenne »).

Photo du salon d'écoute du Coin du son, avec fauteuil confortable et meubles en bois, mobiles présentant vinyles et matériel Hifi
Le salon d’écoute de CD et vinyles © Bpi.

Un grand succès public

Ce qui étonne moins, c’est le succès de cette offre qui a tout de suite trouvé son public. Le studio est très utilisé et répond à une forte demande. On constate de ce point de vue de grandes similarités avec ce que l’on peut observer de ce côté-ci des Pyrénées, ou du moins à la Bpi, en termes de public : les usagers sont des habitués, en majorité des hommes, de moins de 25 ans ou de plus de 40 ans. Peu de jeunes actifs, donc, et très peu d’adolescents, qui lorsqu’ils utilisent le studio, le font dans le cadre de leur scolarité.

Car Medialab a développé des actions de médiation à destination des scolaires, et notamment des ateliers de création sonore (atelier de bruitages par exemple) qui lient travail du son et audiovisuel.
Le programme « De l’école à Medialab » permet également à des établissements d’enseignement de proposer des projets éducatifs : cette année, comme l’année prochaine, la musique fait partie des projets retenus.

En revanche, Medialab n’organise pas d’ateliers d’initiation aux instruments de musique, parce que l’école de musique voisine propose déjà ce type d’ateliers. Les ateliers d’initiation se concentrent donc sur l’utilisation des matériels et logiciels de création sonore (ce que nous appelons en France la musique assistée par ordinateur).

Apprendre, créer, expérimenter, « loisirer » : le Coin du son répond en tous points à l’ambition de la bibliothèque Medialab. Sa conception peut heurter nos habitudes et notre culture professionnelle en montrant qu’il est possible de construire une offre de musique en médiathèque qui ne s’appuie pas d’abord sur le développement de collections, pensées ici comme complément aux équipements.

Son succès rappelle que le développement d’une offre de pratique musicale et de création sonore en médiathèque répond à un besoin citoyen qu’aucune autre institution publique ne semble capable de combler.

Enfin, en considérant la musique comme un champ d’expérimentation et de création propice au développement personnel et au développement des compétences, Medialab nous rappelle les missions fondamentales d’un établissement de lecture publique aujourd’hui, et démontre, s’il le fallait encore, que la pratique musicale a toute sa place dans nos médiathèques.

Xavier Loyant est responsable du service Musique de la Bpi et trésorier de l’ACIM.

Publié le 17/11/2023 - CC BY-SA 4.0

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