Portrait de lecteur # 2 : Mélanie
Par Élodie Hommel, docteure en sociologie, enseignante à l'ITIC (Université Paul Valéry Montpellier 3) et chercheuse associée au Centre Max Weber

Portrait d’une jeune lectrice réalisé par la sociologue Élodie Hommel, dans le cadre d’une enquête qualitative sur les parcours de lecture des jeunes adultes, menée en partenariat avec le Service études et recherche (SER) de la Bpi et le Centre Max Weber de l’ENS Lyon.

Mélanie, presque 25 ans au moment de l’entretien, est issue de la classe moyenne et étudiante en master d’histoire de l’art. De manière générale, elle déclare aimer lire, et avec environ deux livres lus par mois, ou quatre-cinq bandes dessinées, elle se classe plutôt dans la catégorie des lecteurs assidus. À ces lectures en format papier (livres ou bandes dessinées), s’ajoutent des lectures plus fragmentées, sous la forme d’articles sur internet ou de billets de blog, à raison de 10-15 min « pratiquement tous les jours ». À ses yeux, la lecture apporte « une stimulation intellectuelle et du divertissement ».

Des lectures informatives et engagées

Le travail universitaire : une pratique de lecture/écriture

Angela Davis, illustration de Félix Alberto Beltrán, CC BY 2.0

Les livres de sciences humaines et sociales occupent une part importante des lectures de Mélanie, en particulier au moment de l’entretien, où elle est en train de rédiger un mémoire de master sur « les femmes peintres coloniales », mais aussi par intérêt personnel pour ces thématiques : « je lis beaucoup des bouquins sur le féminisme, l’histoire de la race, ce genre de choses, parce que ça m’intéresse en général en fait […] Récemment j’ai découvert l’afro-féminisme donc j’ai lu des auteures américaines, comme Bell Hooks, que j’ai beaucoup aimée, et Angelina Davis… ». Pour son mémoire, elle lit des ouvrages d’histoire de l’art, d’histoire de la colonisation ou de sociologie, comme La chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial de Ann Laura Stoler ou Créatrices en 1900 de Charlotte Foucher-Zarmanian. Dans le cadre de ce travail universitaire, elle ne lit pas de façon linéaire : « je les travaille tous un peu en même temps, […] je les lis en diagonale, puis je sélectionne les infos » ; « je fais de la lecture-écriture, c’est-à-dire que je lis et je relève en même temps et j’écris en même temps ». Sur ces thématiques, elle lit beaucoup d’auteur/trices anglophones (« en post-colonial studies, c’est un peu les précurseurs »).

Les lectures effectuées pour son mémoire constituent environ 90 % de ses lectures en cette période de rédaction. En revanche, elle a déjà repéré des titres à lire « après sa soutenance », « sur l’anarchisme, j’aimerais bien lire sur les prisons, sur l’abolition de la prison particulièrement [rires],  après j’ai vu à la bibliothèque des bouquins sur les femmes kurdes, des choses comme ça qui m’intéressent ». Ces lectures lui apportent des connaissances et de la réflexion, et lui permettent également de s’interroger sur ses propres rapports sociaux (la famille paternelle de Mélanie est d’origine malgache – son père est né à Madagascar – et sa grand-mère maternelle était pied-noir au Maroc). Paradoxalement, elle parvient mieux à s’identifier aux idées présentées dans ces ouvrages non-fictionnels, qui décrivent les inégalités vécues par les femmes et les minorités raciales, qu’aux personnages des romans classiques, lus au lycée et en licence de lettres, qui mettent principalement en scène des personnages blancs et masculins : « par exemple dans le couple, se rendre compte que effectivement, y’a un travail émotionnel qui est plus fait d’un côté que de l’autre, de voir que même dans son entourage en général, effectivement les hommes vont pas forcément s’investir dans la maison, vont avoir tendance à se reposer sur les femmes ce genre de choses ». Se situant politiquement à l’extrême-gauche (« quelque part entre le communisme et l’anarchisme »), il arrive que certains contenus la gênent ou la choquent, en particulier sur la thématique coloniale, où divers titres présentent « des relents de nostalgie ou voire des apologies de la colonisation », et plus généralement les écrits d’auteurs « de droite » (elle cite par exemple Elisabeth Badinter qu’elle qualifie de « conservatrice, anti-communiste »). 

Actualités en ligne

Miss Roots, blog de Laura Nsafou

En lien avec ces lectures engagées de format long, Mélanie lit également régulièrement la presse en ligne ainsi que des articles de blog sur les sujets qui l’intéressent, à savoir « la politique en général, le féminisme et l’anti-racisme ». Du côté de la presse en ligne, elle lit surtout Le Monde, Libération et l’Obs, jette de temps en temps un coup d’oeil au Figaro, « même si c’est pas trop [sa] tendance politique ». Il lui arrive de feuilleter des journaux ou des magazines papier quand un titre l’interpelle (parmi les exemplaires qu’elle voit passer à la bibliothèque où elle travaille en tant que vacataire), mais l’essentiel de ses lectures de presse sont effectuées sur internet. Elle ne suit pas de blog en particulier, à part peut-être « Les bavardages de Kiyémis » et « Mrs Roots » (« deux filles parisiennes qui sont afro-féministes »), mais le plus souvent c’est par le biais de Twitter qu’elle tombe sur des billets de blogs ou des articles. Elle suit en effet sur ce réseau des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêt qu’elle, et précise en outre que c’est depuis qu’elle utilise Twitter (2014) que ses lectures en ligne se sont multipliées.

Il s’agit généralement de lectures intersticielles : « je lis par petits bouts pendant la journée […] par exemple la pause de midi, je vais traîner sur internet et je vais lire deux, un ou deux articles qui m’intéresseraient ». Si elle effectue beaucoup de lectures de formats courts sur internet, elle apprécie moins la lecture sur écran de formats plus longs : « j’ai l’impression que quand le format est long, je me perds un peu dans la page, j’ai du mal à m’accrocher […] j’ai du mal à savoir où j’en suis exactement. Dans le livre, j’aime bien savoir si j’en suis plutôt au tiers, à la moitié… ». Ses lectures numériques se limitent généralement à la presse, aux blogs et à quelques articles universitaires téléchargés sur le portail Cairn via la bibliothèque universitaire.

Bande dessinée d’auteur et questions sociales

Habibi, de Craig Thompson, Edition Casterman

À côté des lectures informatives (la « stimulation intellectuelle »), Mélanie aime aussi lire pour s’évader ou « se reposer » (le « divertissement »). Ses lectures plaisir relèvent principalement de la bande dessinée, « parce que c’est rapide, et [rires] ça prend pas trop de temps de cerveau on va dire [rires] ». Elle privilégie pourtant les bandes dessinées d’auteur, qui abordent des « sujets de société », et/ou qui présentent un « travail artistique », comme Les culottées de Pénéloppe Bagieu, L’anniversaire de Kim Jong-Il, d’Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag, Black Hole de Will Eisner ou encore Habibi de Craig Thompson. Elle consulte parfois des critiques de lecteurs sur le site SensCritique, ou des sélections en ligne. Elle n’a pas lu de romans depuis longtemps et dit ne pas connaître les « auteurs en vogue ».

Approvisionnement en bibliothèque

Une grande partie des lectures de Mélanie font l’objet d’emprunts en bibliothèque municipale ou universitaire, ce qui explique que sa bibliothèque personnelle « n’est pas trop à l’image de ce qu’elle lit ». Mais ses modes d’approvisionnement peuvent varier selon le type de lectures. Par exemple, elle aime « l’objet bande dessinée », elle en achète quelques albums « coup de cœur » par an (l’équivalent d’une cinquantaine d’euros) et essaie de s’en faire offrir dès que l’occasion se présente. Elle aimerait aussi avoir des livres d’art, mais cela représente un budget « assez conséquent ». Elle espère « pouvoir se constituer une bibliothèque » plus tard. Pour l’instant, elle possède une centaine de livres, rangés par taille dans sa bibliothèque, dont beaucoup de classiques achetés dans le cadre de ses études de lettres et qu’elle a appréciés (elle a donné les autres), des bandes dessinées et quelques mangas qu’elle a gardés (elle en a vendu une partie). Concernant les livres de sciences humaines et sociales qu’elle lit actuellement, elle « fait un stock » à la bibliothèque universitaire tous les deux ou trois mois.

Des lectures sous influences multiples

L’initiation maternelle

Mélanie a toujours aimé lire, et elle n’a « jamais vraiment arrêté ». Sa mère, aide à domicile, lectrice de policiers et de récits de vie, lui a transmis le goût de la lecture, avant même son entrée à l’école primaire. Elle évoque un épisode où sa mère les avait conduites dans une librairie et leur avait demandé, de façon presque impérative, de choisir un livre. Elle était également abonnée à la bibliothèque municipale où elle emmenait régulièrement ses filles et empruntait aussi des romans pour son propre usage. De nombreuses bandes dessinées et albums étaient présents à la maison, mais son père, cadre industriel, lui, ne lisait pas.

Mélanie pense que sa mère leur lisait « sûrement » des histoires mais n’en a pas de souvenir précis. Elle se rappelle assez bien en revanche les premiers albums qu’elle a lus par elle-même : « Je me rappelle bien, quand j’étais en primaire, que je lisais les éditions des Trois chardons, avec des petites histoires un peu contes en fait […].

Culture des pairs et individualisation des réceptions

Great Teacker Onizuka, de Tōru Fujisawa, Edition Pika

Cet intérêt lectoral s’approfondit au fil des années avec la découverte de romans jeunesse, notamment de fantasy (Eragon, Le Monde de Narnia), qui mettent en scène des univers magiques ou médiévaux, puis se déplace vers la lecture de mangas à la période du collège, dans le cadre d’une sociabilité culturelle entre pairs qui valorise ces productions. Les mangas, qu’elle visionne aussi au format animé, constituent alors un sujet de conversation privilégié parmi ses amis, avec qui elle échange également des conseils de lecture. Ces lectures adolescentes ont constitué une étape importante dans le parcours culturel de Mélanie, puisqu’elle affirme que les mangas ont renforcé et affiné son goût pour la lecture.

Ainsi, c’est en lisant des mangas, et en particulier Great Teacher Onizuka (GTO) qu’elle commence à s’intéresser à la mise en scène fictionnelle de problématiques sociales. À travers les yeux de personnages complexes, auxquels elle s’attache, des titres comme Fullmetal Alchemist, abordent des « questions profondes », qui la font réfléchir, et elle apprécie cette « stimulation intellectuelle ».

Prescriptions scolaires et intérêt pour la littérature classique

Domaine public

Mélanie, qui a toujours été bonne élève, prend aussi plaisir aux lectures effectuées en cours de français. Grâce aux conseils d’une enseignante, elle dépasse même les impératifs scolaires : « une prof de français, que j’avais au collège […] qui m’avait bien aidée à lire autre chose que ce que le programme nous faisait lire ». Cet intérêt pour la littérature classique se poursuit au lycée, où elle s’oriente vers une filière littéraire, « par choix » comme elle le précise bien, « option arts plastiques, parce que j’aimais aussi le côté artistique ».

Parmi les lectures marquantes de son parcours, elle cite ainsi des pièces du vingtième siècle, comme l’Antigone d’Anouilh, ou le théâtre de Beckett, mais aussi Victor Hugo, qui a eu une influence sur la construction de ses opinions politiques : « Les misérables, Le dernier jour d’un condamné ça m’avait un petit peu… il m’avait un peu décidée sur mes idées politiques, sur la peine de mort et tout ça ».

Études artistiques : confrontation à la distance de classe

À côté de la lecture, Mélanie développe également une passion pour le dessin pendant ses années au lycée : « j’avais envie de devenir dessinatrice de BD, ou animatrice enfin dessin animé ». Après son baccalauréat, elle intègre une école de dessin privée prestigieuse dans une grande ville proche de sa commune d’origine. La première année se passe bien : elle apprend « beaucoup de choses techniques » et obtient de bonnes notes. Pourtant, rapidement, elle ressent la distance sociale et culturelle qui la sépare de ses camarades de classe.

Même si elle ne l’a pas « intellectualisé comme ça tout de suite », une distance de classe est perceptible à travers les différences de niveau de vie, entre ses camarades, logés en ville, dont les parents financent la scolarité et qui ont les moyens de sortir plusieurs fois par semaine, et elle, qui a fait un crédit pour payer ses études et qui rentre tous les jours chez ses parents (trajet d’environ 50km). Elle développe également un sentiment d’indignité culturelle, avec l’impression d’un « retard » à rattraper : « j’ai vu que j’avais une petite lacune au niveau cinématographique donc j’ai un peu rattrapé mon retard entre guillemets ». Elle regarde alors plus de films d’auteur, et lit moins, à l’exception des bandes dessinées, « parce que ça m’intéressait, c’est ce que j’avais envie de faire ». L’ambiance très sélective et élitiste de l’école (où le classement des élèves est rendu public chaque trimestre) commence à peser sur ses résultats en deuxième année, où elle se fait aussi plus critique vis-à-vis de l’enseignement dispensé. Mal classée, elle n’est pas admise à poursuivre l’année suivante. 

Études universitaires et reprise des lectures littéraires

Guidée par son goût pour la littérature et les arts, Mélanie décide alors de s’inscrire en licence à l’université, dans un double parcours en lettres et histoire de l’art. Malgré un emploi du temps très chargé, elle vit cette nouvelle formation comme une période de liberté. L’université étant située dans une autre ville, plus loin du domicile familial, elle vit alors en colocation « forcément c’était la découverte de la vie étudiante ». Dans le cadre de ces études, elle lit beaucoup, et son goût pour la littérature classique se renforce. Elle apprécie l’approche analytique des textes enseignée en fac de lettres.

Cette manière d’aborder les textes va avoir une influence sur ses pratiques de lecture en général, en devenant une sorte de « réflexe » : « je vais plus facilement repérer un effet, une figure de style, plus voir les dessous du texte. Après j’aime bien aussi lâcher prise, et essayer de pas trop intellectualiser [rires] ma lecture quoi ». 

Sciences humaines et problématiques sociales

Mélanie poursuit ensuite son parcours par un Master en histoire de l’art, dans une autre université, plus proche du domicile familial où elle se réinstalle. Elle ne pense pas que ces différents déménagements aient eu une influence sur ses pratiques de lecture, dans la mesure où elle a toujours eu accès à des librairies et bibliothèques dans les villes où elle a étudié. Par contre, les études suivies ont eu un impact important sur son parcours lectoral, puisqu’après avoir lu « beaucoup de classiques » en licence de lettres, c’est maintenant les ouvrages de sciences humaines qui accompagnent l’écriture de son mémoire.

Elle a « arrêté de lire de la littérature contemporaine », faute de temps, et s’est peu à peu détournée des mangas. Ces lectures d’adolescence continuent toutefois d’orienter ses goûts, puisqu’elle est restée attachée à certains auteurs japonais, comme Taniguchi, dont elle a lu récemment Les rêveries d’un gourmet solitaire1. Comme elle a abondamment lu dans le cadre universitaire ces dernières années, elle ne sait pas comment vont évoluer ses lectures une fois qu’elle aura fini ses études, mais elle ne ne se voit pas arrêter de lire :

« C’est quelque chose que j’ai envie de continuer […] j’ai toujours envie de lire, enfin tu vois depuis tout à l’heure je te dis « faudrait que je lise ça », « faudrait que je lise ça », « faudrait que je lise ça », trop de livres et pas assez de temps [rires] ».

En parallèle de ses études, elle travaille comme vacataire à la bibliothèque municipale. Cet emploi étudiant n’occasionne pas de lectures spécifiques, car il ne s’agit que d’une activité annexe et qu’elle n’est pas affiliée à un « secteur » particulier.

Une sociabilité lectorale en ligne

Harry Potter, de J.K. Rowling, Edition Gallimard

Bien que les mangas aient fait l’objet d’une passion partagée avec son copain au début de leur relation,  ils ne parlent plus beaucoup de leurs lectures à l’heure actuelle, dans la mesure où leurs intérêts lectoraux se sont éloignés. Mélanie a essayé de l’inciter à diversifier ses lectures, notamment en lui rapportant des livres de la bibliothèque, avec un succès mitigé : « j’ai un peu essayé de le pousser à lire autre chose mais lui […] il avait un peu un rapport punitif à la lecture ». Déconvenue similaire avec son petit frère, actuellement collégien, à qui elle a offert Harry Potter. Sa sociabilité lectorale directe se limite donc à sa mère, avec qui elle échange des conseils de lecture, à sa sœur, et ponctuellement à quelques amis de la fac de lettres. Elle a en revanche de nombreux échanges lectoraux en ligne, entre autres sur Twitter : « j’aime bien en parler sur Twitter de ce que je lis, de ce que j’ai aimé, et d’échanger avec mes followers ». Il lui arrive fréquemment de prendre en photo les planches de bande dessinée qui lui plaisent pour les poster sur le réseau social, avec ses commentaires personnels, ce qui suscite des échanges avec d’autres internautes, que la plupart du temps elle ne connaît pas par ailleurs. Sans qu’on puisse parler d’une position d’influenceuse, ses publications semblent parfois donner lieu à des lectures parmi ses contacts virtuels. Twitter permet également de rassembler les lecteurs et lectrices autour d’intérêts thématiques communs : Mélanie suit plusieurs comptes centrés sur les questions raciales, où elle-même trouve des idées de lectures (souvent des articles mais aussi parfois des livres) et où se partagent en outre des témoignages et expériences vécues.

Les réseaux sociaux numériques constituent de surcroît pour Mélanie un lieu de contact entre lecture et écriture. Elle évoque en effet une pratique d’écriture adolescente, proche du journal intime (« j’écrivais un peu ce que j’avais dans la tête… […] j’aimais bien coucher des choses sur le papier ») et accompagnée de dessins, qui l’aidait à « vider des choses », ainsi qu’une expérience d’écriture littéraire dans le cadre d’un fanzine monté avec des camarades de son école de dessin. Mais à l’heure actuelle, c’est principalement sur les réseaux sociaux, et spécifiquement sur Twitter, qu’elle écrit « en forme d’échange avec des personnes » : « j’écris beaucoup de choses de ma pensée, pensée politique ou des interrogations politiques, sur certains sujets » (comme le féminisme et l’anti-racisme). Ces réflexions à l’écrit, qui peuvent s’inspirer d’évènements « du quotidien », trouvent aussi leur source dans ses lectures : « si je lis un bouquin sur un sujet, et que dans ce bouquin je vais trouver une réflexion, qui m’apporte une réflexion que j’avais pas avant, je vais essayer de vouloir en discuter avec d’autres personnes pour voir s’ils sont plus ou moins d’accord avec cette réflexion et ce qu’on peut en dire de plus, les limites de la réflexion, ce que ça peut apporter vraiment, si c’est pertinent ou pas ». 

Lecture décomplexée à l’ère numérique

Les représentations que Mélanie se fait de la lecture sont marquées par ses propres pratiques de lectures en ligne. Aujourd’hui, dit-elle, « on lit plus des choses courtes et qui arrivent rapidement, par exemple sur les réseaux sociaux, lire un article court, des tweets, lire des statuts Facebook, des billets de blogs…». Pour elle, internet a également contribué à faire évoluer le rapport entre auteurs et lecteurs : « les auteurs justement qui sont vachement connectés sur les réseaux sociaux, ils sont vachement accessibles, donc tu peux leur dire des choses que t’as pensées […] ça peut démystifier un peu ». Elle cite l’exemple le réalisateur François Descraques, qui a transposé sa web-série Le visiteur du futur sous forme de fil Twitter : « je pense qu’il réinvente un petit peu le format du feuilleton parce que du coup tu suis toutes les semaines et en même temps t’as l’impression que tu interagis avec le personnage parce que c’est lui qui écrit comme s’il était le personnage ». Elle suit plusieurs dessinateurs sur Twitter et évoque également un cas de « BD participative » mise en place dans le cadre d’Inktober3 : « il dessinait, puis après il disait « qu’est-ce qui se passe ensuite ? » et il faisait un sondage, et là où y’avait le plus de réponses, il déroule l’histoire comme ça ». Mélanie apprécie ces interactions qui contribuent à renouveler le rapport à la lecture, tout comme le principe des fanfictions, qui permettent aux lecteurs de se « réapproprier une oeuvre » (bien qu’elle n’en lise pas et n’en écrive pas elle-même). 

Par ailleurs, Mélanie a pris du recul sur l’expérience de distance culturelle qu’elle a vécue en école d’art, probablement aidée par ses lectures de sciences sociales. Consciente de l’existence de hiérarchies de légitimité culturelle, celles-ci ne l’empêchent pas de poursuivre des pratiques culturelles éclectiques sans sentiment d’indignité culturelle. Elle se montre au contraire assez critique vis-à-vis de la rigidité du légitimisme culturel, « les gens aiment bien mépriser les trucs populaires [rires] Levy j’ai vraiment trouvé ça pas bon mais je vais pas me moquer des gens qui le lisent […] à la limite je préfère me moquer des gens pédants ». Elle préfère mettre l’accent sur l’ouverture culturelle et les différents modes de lecture possibles : « pour moi y’a différentes façons de lire, y’a différentes lectures. Je pense que si tu lis Marc Levy, c’est pas la même chose que si tu lis Victor Hugo forcément mais tu lis pas pour les mêmes raisons ».

Publié le 28/01/2021 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

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