Choisir un nom de médiathèque avec le public : la démarche participative de l’Eurométropole de Strasbourg
par Guillaume Gast

À l’occasion de l’ouverture d’un nouvel établissement, l’Eurométropole de Strasbourg a décidé d’impliquer le public dans le choix du nom de trois médiathèques. Guillaume Gast, responsable de la nouvelle médiathèque, nous explique la démarche participative qui a été mise en œuvre.

La lecture publique sur le territoire de la Ville et de l’Eurométropole est portée par plusieurs collectivités. La Ville de Strasbourg et les communes de l’Eurométropole administrent les médiathèques de leurs territoires respectifs. L’Eurométropole administre quatre établissements structurants répartis au Nord (Schiltigheim), à l’Ouest (Lingolsheim), au Sud (Illkirch-Graffenstaden) et au Centre de Strasbourg (Médiathèque André Malraux).

En 2022, alors que Strasbourg se prépare à être Capitale mondiale du livre de l’Unesco 2024 et que la Médiathèque Nord est sur le point d’ouvrir, Mme Murielle Fabre, vice-présidente de l’Eurométropole en charge de la lecture publique, a souhaité initier un projet participatif pour donner un nom aux trois médiathèques cardinales.

Nommer une médiathèque n’est jamais un acte neutre : il traduit souvent une volonté politique et confère à l’établissement un parrainage symbolique qui peut orienter l’action de l’établissement. C’est aussi un type de projet qui se prête tout à fait à une participation du public dans le respect du cadre de fonctionnement des collectivités.

Nommer : une prérogative de l’exécutif ?

Ces vingt dernières années, trois médiathèques du réseau de lecture publique de la Ville et de l’Eurométropole ont été nommées. La médiathèque centrale a été ouverte en 2007 sous le nom d’André Malraux. Ce choix, qui rend hommage à l’homme de lettres et au ministre, relevait de la volonté du président de la Métropole, M. Robert Grossmann. Dans le même élan mémoriel, M. Alain Fontanel, alors premier adjoint au Maire en charge de la Culture a été à l’origine du changement de nom et de l’attribution du nom de Mélanie de Pourtalès à la médiathèque dite jusqu’alors « de la Robertsau » en souvenir de la comtesse originaire de ce quartier de Strasbourg.

En 2012, sous l’impulsion de Mme Mine Günbay, conseillère municipale déléguée aux Droits des femmes et à l’Égalité de genre, et de Mme Souad El Maysour, élue déléguée à la Lecture publique, la médiathèque située rue Kuhn prenait le nom d’Olympe de Gouges en lien avec la mise en place d’un centre de documentation dédié aux questions d’égalité femmes-hommes et LGBT+. Le nommage de l’établissement était là pensé dès le début du projet comme une incarnation de la politique d’inclusion voulue par la municipalité.

Intégrer le public à l’organisation du projet : des objectifs et une méthode

Si l’impulsion et le cadrage du projet de dénomination des médiathèques eurométropolitaines est politique, la question de l’inclusion du public était dès l’origine une brique centrale de la démarche. Le cadrage était clair :

Affiche de promotion de la participation au choix des noms des trois médiathèques : "3 des médiathèques de l'Eurométropole vont être renommées. Médiathèque Nord (Schiltigheim), Médiathèque Ouest (Lingolsheim), Médiathèque Sud (Illkirch) Participation citoyenne : Votre avis nous intéresse Flashez le QR Code ou rendez-vous au lien :https://stras.me/denomination-mediatheques
  • Intégrer le public en laissant le champ des possibles ouvert mais en conservant une certaine logique,
  • Créer un fil rouge entre les quatre établissements eurométropolitains pour souligner le concept de médiathèque centrale et de bassin de vie,
  • Enfin, ne pas créer de dissonance avec les autres médiathèques du réseau.

Ce cadrage fixait un niveau de participation du public qui correspondait à la fois aux objectifs et au contexte spécifique du projet.

La gestion de projet s’est attachée dans un premier temps à mettre en place une organisation pour traduire les intentions stratégiques :

  • Un Comité de pilotage incluant les élus concernés et le Cabinet a permis d’affiner les orientations et d’obtenir les validations au fur à mesure de l’avancée des travaux.
  • Un Comité technique composé du Service des médiathèques et de la Direction de la Participation Citoyenne a structuré la démarche.
  • Les agents des trois médiathèques concernées ont été associés au sein de groupes de travail.

Un contact avec le comité de dénomination des rues de la Ville de Strasbourg nous a amenés à préférer ne proposer que des personnes décédées par respect pour les usages en la matière.

Pour intégrer le public à la démarche, il semblait impossible de partir d’une page blanche sur un territoire aussi peuplé. C’est pourquoi, les agents des établissements renommés ont été appelés lors d’une première consultation interne à faire des propositions dans la forme la plus libre possible.

Il en est ressorti une liste d’une centaine de propositions qui ont été classées en différentes thématiques : la navigation (l’Astrolabe, la Boussole…), l’espace (la Constellation, la Grande Ourse…), des personnalités engagées (Benoîte Groult, Ada Lovelace, …), des œuvres (Le Nom de la Rose, Les Fleurs du Mal…), des références locales (Emile Stahl, Gutenberg…), des références jeunesse (Petit Ours Brun, Les Mots Tordus…), etc.

Ce premier jet a été soumis au Comité de pilotage. Celui-ci a simplifié cette liste avant de la soumettre au public. en effet, il y avait trop de propositions pour que l’arbitrage attendu fasse sens. Il en est ressorti deux axes : des figures majeures du monde des lettres, des sciences ou de la culture, d’une part, et des noms d’œuvres d’autre part.

Le jugement majoritaire pour arbitre

Chaque médiathèque a ainsi élaboré une liste de six propositions de noms qu’il convenait de soumettre au public pour arbitrage. Les noms proposés étaient les suivants :

  • Pour la Médiathèque Nord : Irène Joliot-Curie, Frida Kahlo, Hedy Lamarr, La Vie devant soi (Romain Gary), Le Jardin secret (Frances Hodgson Burnett) et Le Vent d’ailleurs (Ursula K. Le Guin) ;
  • Pour la Médiathèque Ouest : Gisèle Halimi, Ada Lovelace, Clara Zetkin, Le Goût des mots (Françoise Héritier), L’Usage du monde (Nicolas Bouvier) et La Voix des choses (Marguerite Yourcenar) ;
  • Pour la Médiathèque Sud : Joséphine Baker, Christine de Pizan, Simone Veil, L’Art de la joie (Goliarda Sapienza), L’Attrape cœur (J. D. Salinger) et Les Liens invisibles (Selma Lagerlöf).

La méthodologie retenue pour la participation du public dans le choix du nom final avait son importance. La Direction de la Participation citoyenne a proposé d’avoir recours à un scrutin au jugement majoritaire, démarche qui permettait à chacune et à chacun de marquer son niveau d’adhésion aux différentes propositions de manière très fine et de rechercher ainsi un résultat final mieux accepté.

Visuel de communication des noms des 3 médiathèques cardinales de l'Eurométrople Strasbourg : Gisèle Halimi, Frida Kalho, Simone Veil : "le réseau des médiathèques de Strasbourg Eurométrople est fier et honoré d'accueillir trois femmes d'exception, bienvenue à elles !"

Le scrutin a été ouvert sur le site participer.strasbourg.eu du 21 octobre au 30 novembre 2022. Au total, ce sont 1 851 personnes qui ont participé. Il en est ressorti le classement suivant aussi visible en ligne :

  • Pour la Médiathèque Nord : Frida Kahlo, Irène Joliot-Curie, Hedy Lamarr, La Vie devant soi, Le Vent d’ailleurs et Le Jardin secret ;
  • Pour la Médiathèque Ouest : Gisèle Halimi, Le Goût des mots, Ada Lovelace, Clara Zetkin, La Voix des choses et L’Usage du monde ;
  • Pour la Médiathèque Sud : Simone Veil, Joséphine Baker, Christine de Pizan, L’Art de la joie, L’Attrape cœur et Les Liens invisibles.

Valider la démarche

Les collectivités territoriales sont souveraines pour donner un nom. Toutefois cette décision mérite par respect et par prudence d’avoir un échange préalable avec les ayants droits. Cela permet d’informer de la démarche et ainsi d’entrer en contact avec les personnes qui administrent l’image et les droits des personnes honorées. Cela permet également de savoir si une opposition de principe risque de gâcher la dynamique et l’enthousiasme générés par le projet.

Si le contact s’est avéré plus facile avec les familles Veil et Halimi, pour la famille Kahlo, la barrière de la langue et la distance ont été des obstacles. C’est finalement grâce à l’intermédiaire de la Mission permanente du Mexique auprès du Conseil de l’Europe qu’un contact a pu être pris avec les gestionnaires des biens, d’une part, et la famille Kahlo d’autre part. Finalement, les ayants droits des personnes choisies par le public ont donné un accord enthousiaste à la proposition.

Enfin, le Code général des collectivités territoriales (art. L. 2121-29) stipule que le Conseil municipal règle par délibération la question de la dénomination des lieux publics. Un vote solennel devait être organisé. Les propositions émanaient des agents, le choix avait été arbitré par le public et les familles avaient donné leur accord. C’est par un vote à l’unanimité que le Conseil de l’Eurométropole du 24 mars 2023 a pu conclure la démarche de dénomination.

La suite concerne les établissements qui doivent maintenant incarner et porter ces noms : Frida Kahlo pour la Médiathèque Nord, Gisèle Halimi pour la Médiathèque Ouest et Simone Veil pour la Médiathèque Sud.

Guillaume Gast est conservateur en chef et responsable de la Médiathèque Frida Kahlo de l’Eurométropole de Strasbourg.

Publié le 31/08/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Le jugement majoritaire, qu'est-ce que c'est ?

5 minutes pour comprendre le jugement majoritaire.

Une vidéo réalisée par Marjolaine Leray, avec la voix de Paloma Moritz.

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