La Mine du diable
de Matteo Tortone.

Sortie en salles le mercredi 19 avril 2023.

Jorge, jeune chauffeur de moto-taxi quitte la banlieue de Lima et sa famille pour poursuivre ses rêves d’or et de fortune en rejoignant la mine de La Rinconada, sur le toit de la Cordillère des Andes. Là-bas, on raconte que la mine appartient au diable, et qu’il ne cède ses pépites qu’en échange d’un sacrifice…

Photo du documentaire La Mine du diable.
La Mine du diable © Wendigo Films

L’avis de la bibliothécaire

La mine d’or, représentation universelle d’un système qui écrase l’homme

En 2010, Matteo Tortone filme pendant quelques jours des orpailleurs lors d’un tournage en Tanzanie. En constatant le caractère représentatif du libéralisme du travail dans la mine, harassant pour beaucoup et lucratif pour certains, le réalisateur piémontais souhaite s’emparer de ce lieu pour révéler les rapports universels de domination et d’oppression dans le monde du travail. Pour ce faire, il part à la recherche d’un territoire où filmer des mineurs. Il sélectionne la mine de la Rinconada au Pérou pour sa dimension intemporelle et lunaire. Le réalisateur ne s’intéresse pas spécifiquement aux propriétaires de la mine ni à son fonctionnement mais plutôt à l’ambiance des lieux, habités quasi exclusivement par des mineurs et ponctuellement, par le diable. Car il faut également de la chance pour découvrir de l’or, si difficilement et dangereusement extrait, et les superstitions règnent en ces lieux. Les croyances comptent donc beaucoup dans les mines et les gestionnaires des exploitations comptent sur elles ainsi que sur les diverses drogues prises par les orpailleurs pour les motiver à extraire toujours plus et à moindre coût.

Matteo Tortone a sélectionné un acteur non professionnel, José Luis Nazario Campos, pour jouer Jorge, un personnage de chercheur d’or. Le film suit Jorge comme un personnage de roman naturaliste condamné à travailler dans la mine. Après un premier voyage de l’équipe en 2014, le développement, l’écriture puis le tournage du film se sont déroulés sur plusieurs années et ont été le fruit d’une écriture commune avec José qui s’est emparé des enjeux de cette représentation universelle d’un système qui écrase l’homme et ses ambitions.

Filmer des travailleurs au bout du monde

Photo du documentaire La Mine du diable.
La Mine du diable © Wendigo Films.

Le paysage de la Rinconada est extraordinaire, voire époustouflant. Ce plateau rocheux se situe dans les Andes à près de 5 000 mètres d’altitude. Le froid et le manque d’oxygène coupent le souffle des travailleurs qui mâchent des feuilles de coca pour se donner de l’énergie et mieux respirer. Dans ce désert de pierre, au bout du monde, le paysage ressemble à celui de la lune.

Les conditions de vie sont très rudes, que ce soit au niveau du travail à l’intérieur de la mine, où des explosions peuvent souffler les mineurs, ou de la vie quotidienne dans la cité. Le salaire, dûment mérité, est vite gaspillé dans l’alcool, le jeu et les prostituées. Les hommes échoués là ressemblent à des marins ou à des militaires, de permission tous les soirs au cœur des montagnes gelées. La Mine du diable convoque ainsi des images de pionniers, d’aventuriers et d’explorateurs. Ainsi, on peut penser aux premières vues lumière et aux premiers reportages documentaires mais également à des films de fiction, comme La Ruée vers l’or (1925) de Charlie Chaplin ou à d’autres films plus récents de l’histoire du cinéma d’aventure, comme ceux de Werner Herzog, ou encore à The Revenant (2015) d’Alejandro González Iñárritu. À la Rinconada, le temps s’est figé à l’époque de la conquête de l’Ouest. Jorge n’est pas pris pour un poulet dodu comme Charlot dans La Ruée vers l’or et, s’il n’est pas réduit à manger ses chaussures, il est néanmoins soumis à des conditions de vie extrêmes. Le froid, la drogue et la fatigue causent des hallucinations qui semblent contaminer le film dans sa narration et sa forme.

Du western au polar, une ruée vers l’or contemporaine

Photo du documentaire La Mine du diable.
La Mine du diable © Wendigo Films

Avec sa population de milliers de chercheurs d’or, l’ambiance crasseuse de la Rinconada rappelle nécessairement le Far West américain et donc, les westerns hollywoodiens ou spaghetti. Le titre, La Mine du diable, ajoute à la référence et en appelle d’autres : La Chevauchée fantastique, La Poursuite infernale, L’Ange des maudits... La prégnance du cinéma de genre n’est pas seulement un effet de citation. Le western sert à affirmer un propos, celui de l’âpreté du réel et des conditions de vie des habitants de ces lieux désolés, mais également celui de la lutte entre l’individu et la société quand celle-ci n’est pas organisée autour des communs. Le chercheur d’or est la victime, ou le héros selon, d’un système libéral sans foi ni loi. Le pionnier est vigoureux, individualiste, méfiant à l’égard de l’autorité et du pouvoir. Dans cette absence de règles ou d’organisation publique, les mineurs doivent rester sur leurs gardes. Il ne s’agit pas d’être juste, mais de rester en vie. Entre deux combats de coq et deux descentes au bar, aux allures de saloon, le film révèle encore des tendances scorcesiennes, où dominent les codes du polar (les filles, le jeu, la pègre…) et comme thèmes, en noir et blanc, la vie et la mort. Pour filmer cet endroit dangereux, peuplé de mercenaires du travail et de hors-la-loi (des individus viennent voler de l’or dans les mines et peuvent être lourdement armés), l’équipe du film est elle-aussi escortée par des policiers avec des kalachnikovs pendant le tournage à l’intérieur de la mine qui n’a duré que quelques heures.

Sur le plan esthétique, La Mine du diable est visuellement très composé. À l’image, Patrick Tresch a travaillé conjointement avec Matteo Tortone, également chef opérateur, pour construire une photographie très pure, en noir et blanc, dotée d’une grande profondeur de champ. Dès les premières minutes du film, avec un plan séquence sur les hauteurs de Lima, cadrage, profondeur de champ et temps long créent une dramaturgie dans l’image, le tout sans découpage. Le noir et blanc a également été choisi pour casser l’exotisme. Les couleurs chatoyantes associées au Pérou et plus largement à l’Amérique du Sud n’entravent donc pas l’amertume et la noirceur du propos. Aussi, le noir et blanc apporte une dimension plus universelle à celle de l’exploitation de l’homme par l’homme. Celle-ci traverse les époques et les continents. Les mineurs sont des sacrifiés de la mondialisation et deviennent les victimes d’un polar contemporain.

Des traditions sans folklore

Des scènes d’inspiration psychédélique, basées sur un fond de vérité, racontent les rituels traditionnels animant la vie à la Rinconada. Le Pagacho est par exemple une tradition inca ayant pour objet des sacrifices rituels : cigarettes, coca, corps humain. Ces dons à la montagne ont pour but de découvrir une veine d’or. Simple légende ou véritable rituel ? Fantasme ou réalité ? Des momies d’enfants incas datant du XVe siècle ont bel et bien été retrouvées sur les cimes des montagnes péruviennes. Leurs sacrifices avaient pour but d’apaiser les divinités des montagnes afin d’atténuer les éruptions volcaniques.

Des poupées représentant les mineurs morts dans l’année sont conçues pour le carnaval et enterrées à la fin des processions. Ces dernières s’ajoutent également à la fantasmagorie envoûtante du film. Dans ce canevas ouvert, palimpseste de récits et de voix superposant les personnages et les superstitions, la voix-off à la seconde personne brouille les pistes entre documentaire et fiction. Reste qu’au sein du cycle fatal de la violence, le personnage de Jorge conserve malgré tout une certaine candeur et donne à ce récit littéraire très sombre des allures de conte de fées et donc, d’allégorie voltairienne.

Photo du documentaire La Mine du diable.
La Mine du diable © Wendigo Films.

LA RINCONADA – UN ENVIRONNEMENT EXTRÊME

« Située au Pérou à 5 100 m d’altitude, à la frontière avec la Bolivie, La Rinconada est une ville dont l’activité économique principale est liée à l’exploitation d’une mine d’or. La ville s’étend de 4 900 à 5 100 m d’altitude, sur le flanc du Mont Ananea et au pied du glacier Auchita, autrement connu sous le nom de “La Bella Durmiente” (La Belle Endormie). Les mineurs et leur famille y vivent dans des conditions extrêmes, notamment du fait de l’altitude (plus élevée que celle du Mont-Blanc). En effet, un quart des habitants de La Rinconada souffrent d’une diminution de la quantité d’oxygène disponible en altitude, et 5 à 10% de la population semblent touchés de façon fréquente par un type de pathologie : le syndrome de “mal chronique des montagnes” ou maladie de Monge, qui concerne les personnes résidant en permanence en altitude.

Selon National Geographic, l’augmentation de 235% du prix de l’or entre 2001 et 2009 a produit une forte croissance de la population locale ayant atteint 30 000 habitants en 2009. Cependant, ces nombres peuvent avoir été surestimés. La plupart des mineurs travaillent à la mine d’or appartenant à Corporación Ananea qui met en place le système “cachoerro” selon lequel les mineurs travaillent 30 jours sans être payés pour pouvoir travailler pour eux-mêmes une journée. Ce jour-là, les mineurs ont le droit de prendre autant de minerai qu’ils peuvent en transporter. Que le minerai contienne de l’or ou non est une question de chance. A cause de ce système, les mineurs ne sont parfois pas rémunérés pour leur travail. Ainsi, lors des jours de travail pour la Corporación, il est toléré que les mineurs empochent quelques pépites d’or. Les femmes sont interdites de travailler dans les mines, les “pallaqueras” travaillent donc à l’extérieur de la mine, passant au crible tout ce qui a été jeté par les mineurs en espérant trouver quelque chose de valeur. »

Extrait du dossier de presse du film.

Marina Mis

Bande annonce

Rappel

La Mine du diable – Réalisation : Matteo Tortone – 1 h 26 min – 2021 – Production : Wendigo Films – Distribution : Just doc.

Ce film est également connu sous le titre : Veine, le long voyage de J.

Publié le 25/04/2023 - CC BY-SA 4.0

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