Loin de vous j’ai grandi
de Marie Dumora

Sortie en salles le mercredi 17 novembre 2021.

Nicolas a 13 ans. Depuis sa toute petite enfance, il vit en foyer. Marie Dumora suit ses traces et dessine le portrait d’un adolescent entre amitiés, lectures, visites à sa mère et à sa belle-famille, difficultés et choix pour l’avenir.

Affiches, posters et images de Loin de vous j'ai grandi (2020)
Loin de vous j’ai grandi © Epicentre films, 2021

L’avis de la bibliothécaire

Loin de vous j’ai grandi est le cinquième film que Marie Dumora consacre à une même famille de l’est de la France. En 2001, Avec ou sans moi était une immersion d’une année dans le foyer où avaient été placées deux sœurs, Belinda et Sabrina. En 2004, Emmenez-moi s’intéressait à un petit ami de Belinda. En 2010, Je voudrais aimer personne retrouvait Sabrina devenue une très jeune mère de 15 ans. En 2018, Belinda se centrait sur la jeune femme à trois âges de sa vie : 9, 16 et 23 ans.

Exils

Nicolas, fils aîné de Sabrina, est le protagoniste principal de Loin de vous j’ai grandi. Répétition et déterminisme social sont les premiers mots qui viennent à l’esprit. Cependant nulle volonté de la part de la réalisatrice de faire du cinéma social engagé. Marie Dumora part à la rencontre de Nicolas en le filmant dans sa vie, dans sa vérité. Quelques séquences tournées au foyer permettent d’entrevoir le caractère réservé de Nicolas. Le film se range du côté de son silence, de ses lectures parfois à voix haute, de la musique qu’il écoute, de la forêt qu’il arpente et où il construit des cabanes avec Saïf, le copain du foyer, réfugié venu de Tunisie par la mer. Les deux adolescents sont des exilés à la recherche d’une place dans le monde. Saïf attend avec impatience d’aller retrouver un frère. Nicolas, après avoir fugué, choisit d’aller s’installer chez sa mère qui a refait sa vie avec un ferrailleur et a trois autres enfants. Ce documentaire nous raconte l’histoire de ce retour et revient sur d’autres moments forts de la vie de Nicolas. Ces séquences, extraites de films antérieurs, ont la valeur de flash-back. Nicolas a été placé en institution pendant treize ans puis il revient chez sa mère, femme aimante mais fragile. À ce parcours se rattache l’histoire de ses arrière-grands-parents Yéniches échappés du camp installé par les nazis à Schirmeck, précisément là où se trouve le foyer de Nicolas. Le territoire foulé par l’adolescent possède une empreinte historique forte mais Marie Dumora n’enfonce pas ce clou-là. Seuls une photo et deux ou trois dialogues évoquent ce passé de voyages et d’exil dont on perçoit cependant la marque indélébile.

Filmer Nicolas

Nicolas est un adolescent taiseux. Tout le travail de Marie Dumora est d’accueillir ses silences. Le film ne propose pas d’interview, la parole n’y est jamais forcée. Nicolas semble avoir une vie intérieure très riche dominée par l’observation et l’imaginaire. La réalisatrice le filme en train de lire L’Odyssée d’Homère, L’Appel de la forêt de Jack London, Le Pays où l’on arrive jamais d’André Dhôtel. Ces trois textes résonnent avec ce que traverse Nicolas : l’exil et le retour, l’attirance pour la nature et sa sauvagerie, la fugue, les épreuves, le monde des forains. Il se construit avec la lecture et y trouve aussi un refuge, celui de la fiction. Lire parfois à haute voix l’aide à sortir de lui-même. Sabrina est une mère très inquiète de l’avenir de son fils qu’elle voudrait différent de son propre parcours de rêves brisés et de grossesse précoce. Sabrina est obnubilée par la reproduction des schémas familiaux dont elle espère voir son fils s’échapper. Nicolas parle aussi avec son beau-père d’un possible futur professionnel : faire un stage de mécanique. Cependant toutes ces tentatives ne l’arrachent pas à son quant-à-soi. La visite à un astronome autodidacte au télescope artisanal fabriqué avec des matériaux de récupération lui permet de s’ouvrir à l’immensité de l’univers. La contemplation est une position existentielle en phase avec son monde intérieur. Une séquence cependant l’arrime à sa famille tout en répondant à la séquence inaugurale du film. Nicolas devient le parrain d’une de ses petites sœurs à 15 ans, âge où Sabrina devenait mère pour la première fois. Être parrain peut lui offrir la possibilité de jouer un rôle important dans la famille, d’avoir des responsabilités, d’aider et de conseiller, de participer à une éducation, de s’engager vis-à-vis de quelqu’un. Un espoir, une chance s’ouvrent à lui. Devenir parrain vient peut-être aussi réparer, de manière très ténue, ce qu’il advint de lui, son placement en foyer quelques mois après son baptême.

Loin de sa famille, Nicolas a grandi; adolescent, il y revient. En se refusant à toute approche délibérément sociologique, Marie Dumora construit depuis une vingtaine d’années une œuvre qui rend leur dignité aux individualités filmées qu’elle n’enferme ni dans une communauté, ni dans un statut social. Par sa façon à la fois intense et silencieuse de traverser le monde, les paysages et les épreuves, Nicolas acquiert une dimension héroïque soulignée par le choix de musiques comme To tango tis Nefelis, tango triste chanté en grec par Haris Alexiou, Roméo et Juliette de Prokofiev, Nature boy interprété par Nat King Cole, qui distillent une émotion contenue et tendent à rapprocher, par le sensible, protagonistes et spectateurs.

Rappel

Loin de vous j’ai grandi – 2020 -1 h 42 min – Production : Les Films du bélier – Distribution : Epicentre Films

Isabelle Grimaud

Publié le 15/11/2021 - CC BY-SA 4.0

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