Les médiathèques de Plaine Commune : un réseau engagé dans la reconnaissance des langues de son territoire et des publics allophones
par Claire Druhet, chargée de collections et médiation au Service Civilisations, sciences et sociétés de la Bpi

Claire Druhet a effectué un échange de professionnels dans les médiathèques de Plaine Commune et a ainsi pu découvrir leurs actions et services dédiés aux publics allophones.

Un réseau de lecture publique engagé au cœur de la Seine Saint Denis

Le réseau des médiathèques de Plaine Commune est un ensemble d’équipements de lecture publique et de fonds patrimoniaux répartis sur huit communes (et une commune déléguée) du département de la Seine-Saint-Denis : Aubervilliers, Epinay-sur-Seine, La Courneuve, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et Villetaneuse. Les collections des 21 établissements et de deux bibliobus sont référencées dans un catalogue partagé, et disponibles pour tous les usagers via une inscription et une carte d’emprunt communes. Un système de navettes très performant permet de réserver un document localisé dans une médiathèque et de l’emprunter dans une autre. L’inscription est gratuite et permet d’emprunter tous types de supports. Les établissements du réseau sont de dimension variable : les médiathèques de quartier, avec des missions de proximité, côtoient des équipements de grande ampleur, à l’architecture parfois remarquable. Aux collections empruntables s’adjoint un fonds patrimonial de 110 000 ouvrages, d’une grande richesse, conservé à la médiathèque du Centre-Ville de Saint-Denis, issu des confiscations révolutionnaires ou dédié à la Commune de Paris.

Notons enfin une grande amplitude horaire, puisque les plus grandes médiathèques sont ouvertes le dimanche entre septembre et fin avril.

Espace interne de la médiathèque de Stains, grand espace ouvert avec des rayonnages et petites tables occupées par des personnes qui lisent, jouent aux échecs, etc.
Médiathèque de Stains, Plaine Commune

Les publics allophones : une panoplie d’actions

Au cœur de ces dispositifs de lecture publique pensés pour desservir un territoire complexe et éclectique (des zones d’habitats précaires où vivent des enfants déscolarisés côtoient des bassins d’emplois où sont implantées des entreprises prestigieuses), les actions à destination des publics allophones font l’objet d’une politique dynamique et particulièrement riche, portée par les tutelles comme par les équipes.

Une politique documentaire adaptée

La première action déployée engage la politique documentaire. Idéalement, les presque 180 langues parlées sur le territoire de Plaine Commune devraient être représentées dans les fonds imprimés. Mais l’état de l’édition et de la diffusion en langues étrangères ne permet pas un tel éventail de représentations linguistiques, en particulier pour les langues de tradition orale ou celles à faible rayonnement géographique. Dans les collections Jeunesse, 49 langues sont finalement présentes sur l’ensemble du réseau, et dans les collections adultes, dix langues différentes sont proposées dans dix médiathèques à rayonnement large ou intermédiaire. L’enjeu est essentiel sur un territoire tel que Plaine Commune, qui brasse des populations très diverses. Valoriser les langues parlées par les populations du territoire est un acte symbolique fort dans une société qui vit une crise de l’altérité. Cette valorisation documentaire se déploie dans les collections d’imprimés, mais également dans les collections musicales. Pour aiguiller les acquéreurs dans leurs choix et favoriser le partage des notices, des partenariats professionnels ont été mis en place, en particulier avec l’Université Paris 8 toute proche, ou encore des librairies parisiennes spécialisées ou des centres culturels.

Des malles de documents jeunesse adaptés à la lecture à haute voix en plusieurs langues sont constituées par les bibliothécaires, ainsi qu’une malle de médiation et d’éveil aux langues.

Les ateliers de conversation

Les ateliers de conversation sont désormais proposés dans de nombreuses bibliothèques publiques soucieuses d’offrir à leurs usagers allophones des clefs d’apprentissage du français, à travers la prise de parole en public, le travail sur le vocabulaire ou la grammaire, le dialogue entre les participants. Ces animations sont conçues comme des moments conviviaux : les échanges restent informels, les erreurs linguistiques peu soulignées, les discussions peuvent prendre un tournant personnel. Les usagers sont assis en rond et la parole est libre. Les niveaux de langue parfois très divers incitent à l’écoute et à l’entraide. Ce mode d’apprentissage en petit groupe, où la rencontre et l’expérience de vie quelle qu’elle soit est valorisée, est un moment précieux dans le quotidien de participants coupés de leur environnement et de leur entourage originels.

J’ai pu assister à deux ateliers de conversation. À la médiathèque Persépolis de Saint-Ouen, ils sont programmés le vendredi matin et réunissent une dizaine de personnes, d’origines diverses. Les niveaux de langue varient mais la conversation est fluide : c’est un moment de partage et d’écoute. À la médiathèque du Temps Libre de Stains, un équipement de proximité, l’atelier de conversation fut particulièrement riche et original. Exceptionnellement animé par Alice Magdelaine, réalisatrice du podcast « Ma langue maternelle n’est pas la langue de ma mère », qui célèbre la diversité linguistique et les richesses langagières, l’atelier fut enregistré avec l’accord des participants. Sur une carte du monde apposée au mur, chacun devait poser une épingle sur les régions linguistiques qui caractérisait son parcours de vie : langue maternelle, langue officielle de son pays d’origine, langue du conjoint ou des enfants, parcours linguistique des aïeuls, français comme langue d’intégration… Un fil reliait les épingles entre elles, comme un témoignage tangible que le parcours familial et migratoire des participants était d’une richesse infinie. Puis, une séance d’atelier de conversation traditionnel a eu lieu, autour de l’apprentissage du français. Des récits intimes, teintés d’humour et de tendresse, ressortent de l’enregistrement du podcast, écoutable ici.

Planisphère avec des épingles et des fils reliant les épingles entre elles pour indiquer les parcours de vie des participants à l'atelier
Carte du monde pour un atelier de conversation réalisé à la médiathèque du temps libre, à Stains

D’autres actions d’inclusion linguistique

Les médiathèques de Plaine Commune déploient de nombreux autres projets à destination des publics allophones : lectures à haute voix bilingues, valorisation des jeux de société du monde, aide aux démarches administratives, ateliers de traduction et d’enregistrement sonore du règlement intérieur des médiathèques, accueil d’enfants déscolarisés, actions à destination des publics vivant en bidonvilles (en partenariat avec le réseau associatif local), ateliers botaniques et exploitation d’une parcelle collective à Stains en collaboration avec des classes de collège UPE2A (élèves allophones récemment arrivés en France) et l’association des Enfants du Canal, structure d’accompagnement et d’hébergement des populations précarisées.

Une politique publique audacieuse et des équipes engagées dans des actions sensibles et dynamiques offrent aux usagers allophones des médiathèques de Plaine Commune un éventail remarquable de ressources pour l’apprentissage linguistique, favorisant ainsi leur inclusion et le vivre-ensemble.

Publié le 07/11/2025 - CC BY-SA 4.0

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