Les bibliothèques à l’heure du pass

Après son vote au Parlement, le pass sanitaire a réussi son examen de passage devant les sages du Conseil constitutionnel et voit donc son usage se généraliser à l’ensemble des lieux recevant du public, hormis quelques exceptions (commerces de première nécessité par exemple). Pour les bibliothèques, le pass s’est imposé dès la fin du mois de juillet, puisqu’elles ont fait partie de la première vague de lieux publics qui y sont soumis afin de lutter contre la propagation de l’épidémie..

La mise en place d’une démarche de contrôle des personnes à l’entrée de lieux qui se veulent les plus accessibles possible n’a pas manqué de faire réagir les bibliothécaires.

Par un communiqué inter-associatif, l’ABF, l’ADBGV et l’ABD se sont ainsi faites les porte-paroles du malaise face au risque que ce contrôle sape les fondements des bibliothèques. Elles parlent même d’une potentielle « bombe à fragmentation pour la lecture publique » puisqu’elle seule a été touchée par l’obligation : les bibliothèques universitaires en ont été exemptées tout comme la BnF, la Bpi et les bibliothèques spécialisées (Cf. Décret n° 2021-1059 du 7 août 2021).

Une mesure qui s’impose

L’abaissement de la jauge à 49 personnes, utilisée un temps par de nombreux établissements pour se dispenser du pass sanitaire, n’est désormais plus de mise. Le dernier décret a fait disparaître le seuil des 50 personnes et, comme l’indique Biblio-covid dans sa dernière mise à jour, ce sont bien toutes les bibliothèques qui sont concernées, sauf celles citées plus haut.

Crise sanitaire oblige, après le click and collect, c’est ainsi la découverte du QR-code pour les bibliothèques.

Dessin d'une main qui vient lire avec un smartphone un QR code
© Médiathèque départementale du Puy-de-Dôme

Filtrer les entrées entre en contradiction avec les missions premières des bibliothèques et heurte le principe de l’accès pour tous. Des équipes se sont d’ailleurs mobilisées pour faire entendre leur désaccord en fermant symboliquement leur bibliothèque. C’est notamment le cas dans le réseau parisien avec un appel à la grève le 29 juillet dernier. À l’heure où nous écrivons, le mouvement s’est étendu à d’autres villes avec des grèves à Toulouse, Brest, La Rochelle, Grenoble ou encore Lyon. À chaque fois, il s’agit pour le personnel de marquer son opposition à contrôler les pass des usagers.

De plus, il est difficile, voire impossible, pour les bibliothèques de recourir aux solutions mises en place par d’autres lieux d’accueil, notamment privés (cinéma, parc d’attraction ou zoologique, …) : recrutement de personnel supplémentaire pour faire les contrôles des pass, installation d’une station pour permettre aux visiteurs de faire un test de dépistage rapide. Souvent ces contrôles mobilisent deux collègues qui ne peuvent assurer d’autres tâches, conduisant certaines bibliothèques, faute d’effectifs suffisants, à réduire leurs horaires.

Une telle mesure paraît paradoxale au regard du rôle que les bibliothèques jouent dans l’accès à l’information notamment de publics éloignés, de lutte contre la fracture numérique et se sont déjà avérées des alliées de la vaccination, en aidant leurs usagers à prendre rendez-vous, ainsi que le rappelle le communiqué inter-associatif.

Des usagers sur le retour ?

Du côté des usagers, les réactions sont aussi diverses que leurs situations respectives face au pass sanitaire. L’incompréhension est bien entendu grande pour celles et ceux qui, n’ayant pas de pass sanitaire pour des raisons diverses (vaccination incomplète, refus du pass, …), se sentent exclus des bibliothèques.

Pris entre les directives sanitaires, auxquelles ils ne sauraient déroger, et ce ressentiment plus ou moins fortement exprimé par les usagers éconduits, les bibliothécaires font malgré tout une fois encore preuve de leur capacité d’adaptation : boîte de retour à l’entrée, retour d’une forme de click and collect, parfois restreint à des sélections faites par les bibliothécaires comme à Montpellier, pour ceux qui voudraient emprunter de nouveaux documents.

À côté d’exemples particulièrement retentissants de bibliothèques taguées, comme ce fut le cas à Bourges, les collègues sont nombreux à vivre des dialogues mouvementés avec les usagers exclus, où la colère peut malheureusement laisser place à des insultes ou de la violence. Dans le réseau parisien par exemple, des équipes se sont mises en grève pour protester contre certaines agressions.

Pour beaucoup de professionnels, une question demeure à l’attention de ces usagers mécontents : « dis, quand reviendrez-vous ? »
Nombre d’entre eux indiquent souvent ne pas vouloir remettre les pieds dans un établissement qui leur a ainsi refusé l’accès. Le risque est donc réel que la relation avec le public ressorte quelque peu abîmée de cette crise. Le pass sanitaire est établi pour l’instant jusqu’au 15 novembre, et s’il n’est pas prolongé, c’est après cette date que l’on pourra en mesurer les effets.

Si l’on est tenté de partager l’optimisme de Claude Poissenot sur la capacité des bibliothécaires à retisser le lien social, une fois le virus éloigné, à court terme, l’horizon de la rentrée sera probablement un premier test. 

À moyen et long terme, le contexte actuel ne fait que renforcer l’enjeu de la question retenue par l’ABF pour son prochain congrès : Les bibliothèques sont-elles indispensables ?

Publié le 30/08/2021 - CC BY-SA 4.0

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