Le Blog documentaire, partenaire du Prix du public

Plusieurs partenaires médias accompagnent cette 2e édition du Prix du public. Impliqués depuis de nombreuses années dans le monde du cinéma documentaire, leur travail contribue à la diffusion et à la valorisation de films aux sorties souvent confidentielles. Nous avons demandé à Benjamin Genissel, auteur au Blog documentaire, de nous parler des 4 films de la sélection montrée au public lors de cet événement.

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Toto et ses sœurs, d’Alexander Nanau

Le travail d’immersion d’Alexander Nanau est fascinant. Dans ce film, le cinéaste roumain suit pendant plusieurs mois trois enfants Roms laissés à l’abandon : la mère est en prison, l’oncle toxicomane et le père absent. Totonel a 9 ou 10 ans tandis que ses deux sœurs sont adolescentes. Ils vivent dans un immeuble délabré du quartier le plus pauvre de Bucarest. Leur minuscule logement est le repaire des drogués du quartier, c’est devant les yeux des enfants qu’ils viennent ici se shooter. Il se trouve que le cinéaste n’est pas Rom lui-même ; qu’il est plus âgé que ses protagonistes ; qu’il ne vient pas du même milieu socio-culturel ; et pourtant, à toute heure du jour et de la nuit, en intérieur comme en extérieur, dans la rue ou à l’école, il les suit, inlassablement dirait-on. Jean-Baptiste Mercey, qui a pu interviewer le cinéaste pour le Blog documentaire, nous a dit : « C’est un film roumain qui ne ressemble guère à d’autres films roumains. C’est un film dont les personnages sont Roms et qui ne ressemble pas non plus à d’autres films dont les personnages sont Roms ». C’est la capacité d’adaptation de Nanau à un univers si différent du sien qui force le respect. C’est sa ténacité qui suscite notre admiration. Sans aucune interview à l’image, sans aucun commentaire, dans la pure tradition du cinéma documentaire immersif, il tient la barre de son triple portrait dans la tempête des déterminismes sociaux. Il saisit un instantané de la vie de cette famille éclatée, en marge, soumise (comme l’explique la mère en détention à un moment) à leur longue tradition à eux : les « affaires » et la prison. Il permet de montrer que le sort n’épargne pas ceux qui ne résistent pas à ces déterminismes (la grande sœur) mais qu’il peut récompenser ceux qui font l’effort de s’en émanciper (Toto et sa deuxième sœur).

Jericó, l’envol infini des jours, de Catalina Mesa

C’est un portrait choral que nous offre ce film. Le portrait d’un chœur de femmes de différentes classes sociales et d’âges variés, toutes habitantes de la même ville colombienne, Jericó. Catalina Mesa a choisi d’implanter sa caméra dans une unité de lieu qu’elle connaissait déjà très bien puisqu’une partie de sa famille était originaire de cet endroit situé sur la cordillère des Andes, pas loin de Medellin, la ville où elle-même a grandi jusqu’à ses 17 ans. C’est donc le quotidien et l’histoire de la partie féminine de cette ville qu’elle raconte dans ce beau documentaire vivant, musical, touchant. On suit en alternance des dames âgées, ou bien des plus jeunes, dans la rue ou chez elles, en centre-ville ou dans les environs, on les écoute se raconter, se confesser avec une rare sincérité. Le montage frappe d’emblée par sa virtuosité, car il fait se croiser dans les mêmes scènes la plupart de ses personnages. Les chansons du film permettent aussi d’accompagner ce montage qui a l’allure rythmé d’une valse tournoyante. Et malgré les nombreuses couleurs à l’image et un humour très présent dans les discussions, sous les dehors chatoyants de ce village perché loin des soubresauts du monde, la cinéaste est parvenue à soulever des questions douloureuses, dramatiques : la fatalité de la vieillesse, l’inégalité entre les hommes et les femmes, le racisme subi par les personnes qui ont une peau plus sombre que d’autres ou encore la violence politique qu’a connu la Colombie.    

Cassandro the exotico, de Marie Losier

Ce documentaire fait le portrait, non d’un trio ni d’un groupe, mais d’un seul individu. Autre différence avec les quatre films ici rassemblés, c’est le seul à assumer aussi nettement la présence de la portraitiste qu’est Marie Losier. Ses questions, ses rires, ses exclamations derrière la caméra, dans le hors-champs de son œuvre, façonne un documentaire que l’on pourrait qualifier de « film de rencontre ». L’individu portraituré ici, Cassandro, est catcheur, et c’est une véritable star parmi les « Exoticos », ces travestis évoluant au sein du catch mexicain, qui s’appelle là-bas la Lucha libre. Ce qui est impressionnant, c’est de constater combien le film s’inscrit à la fois pleinement dans la lignée de la filmographie de Marie Losier tout en investissant ici un univers différent, un terrain justement assez « exotique » pour elle. Son œuvre était déjà constituée de nombreux portraits d’artistes undergrounds et en filmant ce catcheur assumant sa différence au sein de ce divertissement sportif assez machiste, et en le faisant toujours dans la même esthétique du 16 mm et du collage de styles (entre documentaire, fictionnalisation, psychédélisme et petits effets spéciaux), elle conserve une cohérence qui ne peut que faire naître notre ravissement de spectateur. Plongeant dans ce bain culturel très localisé, élaborant une BO typée mexicaine, s’adaptant au réel avec lequel elle rentre en contact, Marie Losier pimente presque tous les éléments de son film sous le signe d’une dualité qui lui est familière : d’un côté les costumes de scène, les masques, le culte de l’apparence et du déguisement et de l’autre l’intime, la réalité d’un corps qui décline, la fragilité et la solitude. Sous le catcheur extraverti et prodige qu’est Cassandro, elle fait remonter à la surface la complexité profonde d’un individu. 

Maman colonelle, de Dieudo Hamadi

Autre forme de portrait documentaire : celui d’un représentant du pouvoir étatique. Il n’est pas question ici de suivre des personnes de la société dite « civile », anonymes ou bien célèbres (comme Cassandro), mais de quelqu’un qui travaille en uniforme pour les autorités, en l’occurrence une fonctionnaire de police en République démocratique du Congo ayant le grade de colonelle : Honorine Munyole, surnommée donc « Maman colonelle ». Dieudo Hamadi, concerné dans ses précédents films par les sujets de société et par les relations difficiles entre les citoyens et leurs institutions, a suivi pendant plusieurs mois les activités de ce personnage de « mère-courage » au sein de sa brigade contre les violences sexuelles et pour la protection de l’enfance. Sans aucun commentaire, sans interview non plus, sa caméra suit sur le terrain cette policière au charisme évident dans sa lutte pour protéger les femmes et les enfants victimes de sévices. Ce faisant, il permet de montrer les mauvaises conditions de travail des agents de l’État, les lenteurs de la justice pour trouver et juger les criminels, les ravages des croyances occultes et sectaires ou encore les traumatismes de ce qui est appelé ici « la guerre des six jours » qui a eu lieu en 2000 dans la province de Kisangani. C’est en suivant pas à pas son personnage, en restant constamment avec elle, du début à la fin, que le réalisateur nous amène à découvrir cette réalité. Le titre éponyme du film n’a pas seulement été choisi pour la merveilleuse combinaison de ces deux appellations mais parce qu’il représente très bien ce qu’est le cœur de son œuvre : le portrait d’une femme courageuse et humble qui s’acquitte aussi bien de ses responsabilités publiques que de sa vie privée. Car là aussi, c’est en la montrant dans l’intimité de son existence de femme et de mère de famille s’occupant de son petit monde à elle, qu’on nous fait accéder à une dimension plus ample du personnage, cette « maman colonelle » remplie d’humanité.

Lire l’article du Blog documentaire consacré au Prix du public

Publié le 23/04/2022 - CC BY-SA 4.0

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