La Philo vagabonde
de Yohan Laffort, avec Alain Guyard

Sortie en salles  le mercredi 5 octobre 2016.

Tel Diogène, Alain Guyard porte librement la parole philosophique auprès de ceux qui font appel à lui. Dégagé de tout carcan académique il intervient, entre autres, dans les prisons, les hôpitaux (psychiatriques ou généraux), auprès d’éducateurs, d’infirmières, de paysans ou de citoyens. Yohan Laffort l’accompagne au gré de ses pérégrinations philosophiques atypiques, décalées et subversives.

Photo du film La Philo vagabonde
La Philo vagabonde @ Mille et Une Films, Les Films des deux rives, 2015

L’avis du bibliothécaire

 
Pourquoi aller (re)voir La Philo vagabonde ?
 
Eh, oui ! Je n’ai pas vu La Philo vagabonde une fois  mais deux et qui sait si je ne retournerai pas  bientôt au cinéma une troisième fois… car comme dit le proverbe: « jamais deux sans… »
 
La Philo vagabonde c’est d’abord la rencontre avec un homme peu ordinaire, très original,  pour ne pas dire exceptionnel,  Alain Guyard qui, après vingt années passées à enseigner la philosophie au lycée, a  fait le choix depuis quelque temps de devenir « philosophe forain » et de battre la campagne. Non seulement il sort la philosophie des carcans académiques mais aussi il va, au gré des invitations tel « un gens du voyage, … un romanichel de la métaphysique », porter les mots de la philosophie et les faire vivre là où on ne les attend pas. Il dispense ainsi des cours en prison, en hôpital psychiatrique, en CHU dans le cycle de formation des puéricultrices, dans une association pour le développement des soins palliatifs,  ou dans des champs et des grottes, sous un chapiteau, au pied du Mont Ventoux, en Aveyron ou dans des médiathèques reculées du Grand Sud de la France.  Energique, volontaire, Alain Guyard est un itinérant : il se déplace beaucoup, il voyage, il prend des trains, des avions ou sa voiture. Il ne se considère pas comme un philosophe porteur d’une philosophie propre qui a vocation à produire des concepts. Il est un passeur. Riche de son expérience et de sa connaissance des philosophes, il fournit à ses auditeurs une « boîte à outils qui permet à chacun de s’emparer de l’outil le plus adapté à son défi de construction ».
Le film de Yohan Laffort s’apparente à un road movie ; le déplacement y est essentiel. L’espace parcouru fait écho à l’extrême mobilité de la pensée d’Alain Guyard et aux déplacements de sens, à la chasse aux idées reçues et aux clichés, aux mouvements  qu’il entend susciter chez ses auditeurs. Réceptif à la parole de l’autre, Alain Guyard parle, pense et enseigne mais aussi écoute et rebondit en fonction des interventions de son auditoire. Sa volonté est d’apporter, d’offrir en partage, ses connaissances de Platon, Socrate, Nietzsche, Jankélévitch, Lucrèce, Epicure, Diogène, Héraclite et de tant d’autres sans pour autant tomber dans le jargon philosophique. Le film est construit autour de grandes articulations : la captation des moments de son enseignement, des interviews chez lui, dans sa bibliothèque et les opinions formulées sur lui par celles et ceux qui assistent à ses performances.
 
« Docere et placere »…. « Le style c’est l’homme »

Performances oui, il s’agit bien de performances. Les interventions d’Alain Guyard sont à chaque fois des petits exploits sportifs et intellectuels (s’il improvise, c’est à la manière d’un jazzman qui sait qu’un blues est en douze mesures). Certes, il a préparé son cours en fonction du lieu dans lequel il intervient  mais rien n’est figé, rien n’est gravé définitivement dans le marbre : la souplesse de son esprit est telle qu’il peut bifurquer, choisir en cours de route de prendre un chemin de traverse. Le tracé de sa pensée est changeant, sinueux ; oui, sa philo est vagabonde, libre, mais l’errance, l’instabilité dont elle se nourrit a sa « grille d’accords » ; elle est mue par une éthique. Selon Alain Guyard, il y a deux manières de vivre la philosophie : soit elle est une plus-value pour briller dans les salons mondains (« et ça c’est à gerber ») ; soit « tu vis la philosophie comme une manière de t’épurer, de revenir à l’os… tu dois te confronter à des questions qui te laissent pantelant. La philosophie ne t’apporte rien mais elle te met face à l’expérience nue de la vie, et ça c’est un bien inestimable parce que ce n’est pas un bien, ce n’est pas un bonus, c’est un décapage, c’est un décrassage, ce n’est pas un atout, un profit ou une plus-value dans l’existence, c’est au contraire un renoncement, une belle ascèse. »
Alain Guyard a sa manière bien à lui de transmettre la philosophie. Son style est dans un entre deux,  entre enseigner (docere) et plaire (placere). Il n’hésite ni à se mettre en scène, ni à jouer sur différents registres de langage (la plaisanterie, le jeu de mot, l’argot, les anachronismes, les multiples associations d’idées, de mots, la référence aux étymologies grecques et latines). Son style fait référence au spectacle vivant itinérant : ne se définit-il pas comme « philosophe forain». Sa place, sa position, la justesse de sa posture est « entre Coluche et la métaphysique ». Ses cours aux très solides fondements culturels ont une dimension rabelaisienne et jouent sur le plaisir, la joie d’être ensemble. Son style, c’est aussi son corps qu’il a tatoué (par exemple : sur quatre premières phalanges d’une main « tout » ; sur les quatre autres de l’autre main « rien »). Alain Guyard pratique la course à pied. Cet entraînement est primordial car il permet « l’état second », la sensation du « corps du second souffle » où adviennent les idées.
Son style ce sont aussi ses mains que la caméra suit dans leurs mouvements singuliers, dans le prolongement de la pensée qu’elles expriment. La main (« l’homo faber ») est une des composantes majeures du corps qui pense : « La main c’est l’interface entre le moi et le monde… comment je serre la main de l’autre, comment je travaille la pâte à pain, comment, en tant que forgeron, je travaille sur mon enclume, comment, en tant que boxeur, j’envoie les coups, … tout ça c’est des rapports au réel… Le rapport au réel se fait par le prolongement de moi qui est ma main. »
L’éthique en marche d’Alain Guyard, personnage charismatique en diable mais jamais tenté d’être un gourou est aussi une résistance. Assis à sa table, entouré de ses livres tels sont les mots qu’il adresse au réalisateur :
« …donner aux uns et aux autres la possibilité de fabriquer une langue, une langue forte, discursive, armaturée sur le plan logique afin que nous puissions, nous aussi, bâtir une stratégie pour répondre à celle du pouvoir. Je pense que l’un des grands enjeux d’aujourd’hui est la maîtrise de la langue, la maîtrise de la capacité à la narration, la maitrise à raconter des histoires… La philosophie est une manière de raconter l’histoire du monde… Et moi je fais de la narration et toi aussi tu en fais quand tu fais des films… Nous racontons des histoires, … et ce faisant nous restituons aux hommes leur vertu première, leur force première qui est l’exercice de la langue par quoi ensuite ils peuvent nommer le monde et le maîtriser et c’est aujourd’hui cette compétence et cette force qu’on nous refuse… Le véritable combat, l’action directe aujourd’hui est une action où nous sommes directement les auteurs et les responsables de nos narrations, des histoires que nous racontons et du langage que nous employons. »

Rappel

La Philo vagabonde de Yohan Laffort avec Alain Guyard, Mille et Une productions, Les Films des deux rives, 2015, 1h 38 min
Distributeur : Les Films des deux rives

La philo vagabonde – Bande Annonce from Mille et Une Productions on Vimeo.

Publié le 04/10/2016 - CC BY-SA 4.0

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