Gimme shelter
de Albert Maysles, David Maysles et Charlotte Zwerin

Sortie au Centre Pompidou, Paris, vendredi 21 juin 2019 à 20h, dans le cadre de la rétrospective Albert et David Maysles « It’s all in the film » (Bibliothèque publique d’information – Centre Pompidou, printemps 2019)

Les Rolling Stones au sommet de leur art dans leur tournée américaine de 1969 qui s’acheva par le concert tragique d’Altamont. La sécurité en avait été confiée aux Hell’s Angels qui poignardèrent un spectateur noir brandissant un pistolet. Hallucinant document de cinéma direct, Gimme Shelter marque la fin du rêve hippie.


Mick Jagger © Maysles Films
Mick Jagger © Maysles Films

L’Avis du bibliothécaire

Genèse du projet

En 1969, pour promouvoir leur dernier disque Let it bleed, les Rolling Stones organisent une tournée aux Etats-Unis qui se déroulera du 7 novembre au 6 décembre. N’ayant pas été invités au Festival de Woodstock qui s’était déroulé en début d’année sur la côte est, ils essayent de mettre sur pieds au dernier moment, pour clore leur périple américain, un festival gratuit en Californie dont ils seraient la tête d’affiche. Le groupe souhaite que son concert du Madison Square Garden à New York soit filmé. Il contacte Haskell Wexler dont le film Medium cool avait eu beaucoup de succès. Wexler décline l’offre mais présente aux Stones les frères Maysles. Ceux-ci n’avaient pas au départ l’idée d’un long-métrage, mais en cours de route, intrigués par la personnalité des musiciens et l’onde de choc qu’ils propageaient dans le public, ils décident de faire plus qu’une simple captation de concert. Outre le Madison Square Garden, ils filmeront l’organisation et le déroulement du festival d’Altamont.

Les frères Maysles

Albert (1926-2015) et David (1931-1987), fils d’immigrés (père ukrainien, mère polonaise), ont grandi dans les environs de Boston, Massachusetts. Ils ont étudié la psychologie puis Al l’a enseignée à la Boston University. Les deux frères se prennent peu à peu de passion pour le cinéma. En 1955 Al voyage en Union Soviétique pour faire un film sur la psychiatrie tandis qu’en 1957 David s’installe à Hollywood où il a été, entre autre, assistant sur le film Bus Stop avec Marylin Monroe. Ils commencent à réaliser des films ensemble en 1962 dans cette nouvelle esthétique du « cinéma direct » ou du « cinéma vérité » apparue avec l’invention de caméras et magnétophones légers, non reliés par des câbles, permettant la prise de vue avec son synchrone, quelle que soit la situation. Les frères Maysles s’intéressent à la culture de leur temps, allient solide sens de l’humour et refus d’une pose par trop « auteuriste ». Ils n’hésitent pas à travailler de façon collaborative et ont l’élégance de réaliser des œuvres d’une durée classique. Jean-Luc Godard, ayant lui-aussi filmé les Rolling Stones (One + One), avait qualifié Albert Maysles de « meilleur caméraman américain ». Ils ont développé une esthétique humaniste laissant parfois place à l’ambiguïté ou à la fantaisie. Ainsi leurs films sont-ils des œuvres à part entière.

Le film

Ce n’est pas un documentaire musical classique et linéaire. C’est un travail collectif : trente cadreurs, femmes et hommes, ont participé au tournage dont un certain George Lucas. Il y a surtout un important travail de montage de scènes très différentes les unes des autres: concerts fascinants, musiciens-chamans jouant de leur érotisme et de leur androgynéité, poses narcissiques, public envoûté, mais aussi coulisses, tractations administratives pour l’organisation d’un festival, scènes où les Stones regardent et commentent sur l’écran d’une table de montage leur propre image ou bien les photogrammes agrandis et flous du meurtre de Meredith Hunter. Cette séquence convoque Blow up, le film de Michelangelo Antonioni sorti en 1966. Par cette mise en abyme, les frères Maysles et Charlotte Zwerin sortent d’un simple cinéma d’identification.

Réception critique du film

Gimme Shelter a été fraîchement accueilli à sa sortie. L’influente critique Pauline Kael a très durement écrit dans le New Yorker du 19 décembre 1970 : « If events are created to be photographed, is the movie that records them a documentary, or does it function in a twilight zone? Is it the cinema of fact when the facts are manufactured for the cinema? The Nazi rally at Nuremberg in 1934 was architecturally designed so that Leni Riefenstahl could get the great footage that resulted in Triumph of the Will.” (Si les événements sont organisés pour être photographiés, le film qui les enregistre est-il un documentaire, ou bien fonctionne-t-il en zone sombre? Est-ce le cinéma du réel quand le réel est organisé pour le cinéma ? Le rassemblement nazi de Nuremberg en 1934 était architecturalement dessiné pour que Leni Riefenstahl puisse obtenir les beaux plans qui donneront Le Triomphe de la volonté). Ce jugement est injuste et erroné. Les cinéastes ne sont pas les organisateurs de la tournée. Les Stones ne sont pas Hitler et les cinéastes ne sont pas des nazis. Qui est responsable de ce désastre: l’amateurisme et l’improvisation des Stones, les Hell’s Angels, la drogue, la naïveté des hippies? La rébellion fantasmée du rock s’est heurtée à la violence réelle, laissant les musiciens impuissants et pantois. Les frères Maysles et Charlotte Zwerin n’ont pas réalisé un film monolithique et ne donnent pas d’explications simplistes au chaos ambiant. J’imagine que l’industrie du rock, suite à ce drame, a rapidement professionnalisé la sécurité des concerts.

Stones ou Beatles

Une remarque sur la transgression dans le rock : on oppose souvent la gentillesse des Beatles à la violence des Stones, deux groupes filmés par les frères Maysles. Cependant, John Lennon ne déclara-t-il pas en 1966 au moment de leur tournée dans une Amérique puritaine que les Beatles étaient plus célèbres que Jésus, ce qui faillit briser leur carrière? Mike Jaeger, quant à lui, arbore opportunément dans Gimme Shelter un chapeau à la gloire de l’Oncle Sam et une croix autour du cou. 

Gimme shelter

Gimme shelter est un chef d’œuvre sur le rock, art important de la fin du XXème siècle et sur le rendez-vous raté entre les Stones et les hippies. Le film tire son nom de la dernière chanson:  » The floods is threat’ning my very life today, gimme, gimme shelter or I’m gonna fade away » (La crue menace aujourd’hui jusqu’à ma propre existence, offre-moi, offre-moi un abri ou je vais disparaître).

Bonus

La projection est suivie d’un court-métrage Get Yer Ya-Ya’s Out! de Albert Maysles, Bradley Kaplan et Ian Marciewicz (2009, 28 min), montage de rushes jamais utilisés des concerts des Stones au Madison Square Garden les 27 et 28 novembre 1969 ainsi que d’un entretien stupéfiant avec Joan Churchill, une des cadreuses de Gimme Shelter (2019, 3 min), réalisé par Harry Bos, organisateur du cycle Albert et David Maysles « It’s all in the film » (Bibliothèque publique d’information – Centre Pompidou, printemps 2019).
 

Rappel

Gimme shelter de Albert Maysles, David Maysles et Charlotte Zwerin, Etats-Unis, 1970, 1h31 min., production, distribution : Maysles Films
 

Publié le 17/06/2019 - CC BY-SA 4.0

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