Appartient au dossier : Des bibliothèques pour le XXIe siècle ? Voyage d’étude en Belgique et aux Pays-Bas en octobre 2018

De la cote à la toque : les espaces de restauration dans les bibliothèques visitées lors du voyage d’étude
Par Jean-Michel Jung (Bibliothèque Départementale du Bas-Rhin), Aurélie Thomas-Gérard (Bibliothèque de Châlons-en-Champagne), et Damien Grelier (Bibliothèque de Sorinières)

Il est un pays où le boire et manger est élevé au rang d’art et de patrimoine national. Il est un pays où l’engouement pour les livres de cuisine et les émissions culinaires télé ne se dément pas. Il est un pays… Mais ce n’est pas de ce pays dont nous parlerons aujourd’hui dans ce compte rendu ou peut-être, en creux, en nous interrogeant sur la place des lieux de convivialité, restaurants et cafétéria, au sein des bibliothèques publiques traversées lors du voyage d’étude organisé par la Bpi du 1er au 3 octobre 2018.

Des vitrines pour la convivialité 

Immédiatement ce qui frappe le regard est bien la place accordée à ces espaces de restauration, visibilité affichée sitôt le seuil de la bibliothèque franchi ou plus discrète lorsque restaurant ou la cafétéria sont au dernier étage ou situé à l’arrière du bâtiment.

  • À Gand, les espaces de restauration (salle, terrasse, cuisine, réserve) occupent 435 m2 sur les 17 500 m2 de l’ensemble du bâtiment.
  • À l’OBA centrale d’Amsterdam, Oosterdok, ces espaces avec cuisines ouvertes, salles de restauration et salon privatif occupent dans leur intégralité le dernier des 7 étages de la bibliothèque, avec terrasse et vue sur la ville ! Au total, 1 464 m2 soit 5% de la surface totale. Le restaurant est ouvert de 10h00 à 22h00 et le café de 8h00 à 21h00.
  • Dans la filiale de l’OBA, quartier Nord-Ouest, d’Amsterdam, le comptoir du café est le 1er élément qui fait face au visiteur, à sa droite un ordinateur enregistrant prêts et retours des documents, à sa gauche la caisse enregistreuse pour les boissons et friandises. Ces opérations sont réalisées par la même personne. La bibliothèque donne vraiment à voir un espace de convivialité et de rencontre, les livres viennent seulement ensuite.
  • Dans l’autre filiale d’OBA visitée, on compte 2 espaces de convivialité destinés au public pour une superficie de moins de 1500 mètres carrés, l’un de ces 2 espaces fait partie du  lieu réservable par le public.
  • À Delft, la bibliothèque rénovée propose un restaurant dès sa nouvelle entrée principale, en plein milieu des collections (collections cuisine bien sûr !) et en lien direct avec le nouvel espace scénographique, un deuxième espace cafétéria prend place au premier étage, à proximité de l’espace jeunesse et offre un grand espace dédié à la restauration et à la lecture dans un patio sous la verrière centrale 

La gestion des espaces

L’importance de ces espaces pose la question de leur mode de gestion : délégation de service public ? Régie directe ?
À la bibliothèque de Krook à Gand, le « Krookcafé » est donné « en concession » tout comme le restaurant Babel à l’OBA. L’exploitation se fait indépendamment de la bibliothèque et des autres partenaires. Les employés sont rémunérés directement par le concessionnaire. Le café accueille certaines des manifestations de la bibliothèque comme des conférences ou talkshows. Ses heures d’ouverture sont ceux de la bibliothèque avec possibilité de rester ouvert plus tard lors d’événements.

Naissance du bibliobarman/maid

Pour les autres bibliothèques visitées, si nous n’avons malheureusement pas pu récolter ces informations sur le mode de gestion des restaurants, les collègues du réseau de l’OBA rattaché à une bibliothèque de quartier nous informent qu’ils ont suivi une formation complémentaire en restauration. La nature du service évoluant, cela implique une transformation importante des compétences à mobiliser. On connaissait le bibliothécaire-formateur, le bibliothécaire-animateur, on assiste à la naissance du bibliobarman/maid. Une acculturation qui semble ravir les collègues rencontrées, en ce qu’elle favorise toujours plus la qualité de l’accueil proposé. Dans un état d’esprit assez proche on retrouvera à Delft une intégration très forte (et probablement la plus poussée parmi les lieux visités). La DOK, qui accueille également les salles de répétitions de l’école de musique dans l’ensemble de ses espaces, se distingue par l’implantation d’une magnifique cuisine au centre de l’espace principal, au rez-de-chaussée. Cette offre de services est complétée par un espace cafétéria à l’étage, mis à disposition des usagers. Au rez-de-chaussée, les ouvrages de cuisine sont immédiatement placés à proximité des fourneaux (rangés avec les épices !) et l’odeur des plats mijotés inonde l’atmosphère.

Bibliothèque Dok à Delft, ©Jean-Michel Jung

Cuisiner pour communiquer

La cuisine est ainsi proposée comme vecteur de communication des différentes cultures présentes dans la ville de Delft. Le menu est confié à un usager-cuisinier différent chaque jour. Ces « passion cooks » préparent alors des plats de leur pays ou culture d’origine. Chaque jour la carte est ainsi renouvelée pour une partie, le menu est affiché, le cuisinier, nommé par son prénom et la cuisine de son pays décrite en quelques mots. La cuisine est aussi l’occasion de proposer à l’intérieur de la bibliothèque des ateliers cuisine, lieux de rencontres interculturelles, de découvertes des différentes cultures. Dans la plupart de ces espaces de restauration intégrés à des services publics, l’accent est mis sur une cuisine qualitative. L’OBA centrale propose par exemple une large offre culinaire, qui sait satisfaire les nombreux types de consommateurs. Celle-ci participe d’une dynamique de lien social par la possibilité de travailler, de lire en se restaurant et en lien avec les autres usagers présents. Elle favorise la découverte de ses voisins et de leurs cultures.

L’espace cuisine de la bibliothèque Dok à Delft, © Jean-Michel Jung

L’espace restauration et la cafétéria semblent être des éléments essentiels des bibliothèques troisième lieu, que cela soit des bibliothèques nouvellement construites ou rénovées, ces espaces ne prennent plus seulement place dans la bibliothèque mais se veulent visibles dès l’entrée, comme si ces espaces de convivialité étaient la raison même d’entrer dans ces lieux. La restauration ne semble plus là seulement pour accompagner la venue à la bibliothèque, mais constitue une raison de venir dans le lieu. Un nouvel équilibre qui renforce l’identité que ces bibliothèques valorisent tout particulièrement, une identité basée sur une volonté d’ouverture, de liberté de circuler et de faire au sein des murs. Cette volonté s’incarne parfois jusque dans les noms des établissements : l’OpenDok de Delft se transforme en Open tout cours ; l’OBA porte également l’ouverture dans son appellation.
 
 
 
 

Publié le 15/11/2018 - CC BY-SA 4.0

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