La gestion du bruit et du silence : un enjeu primordial pour les bibliothèques de demain
par Luis Cercos Garcia, pilote technique des projets de travaux de la Bpi

Lors du voyage d’étude organisé par la Bpi en octobre 2022, les participant·es ont pu visiter des bibliothèques du Pays basque espagnol qui traitent la question du silence et du bruit de façon particulièrement intéressante. Ces exemples donnent matière à penser pour ce sujet essentiel pour les bibliothèques présentes et à venir. Ils offrent aussi des éléments de comparaison qui viennent alimenter la réflexion en cours sur les travaux de rénovation et d’évolution de la Bibliothèque publique d’information (Bpi).

Si la bibliothèque est d’abord un espace d’accès à la connaissance, elle est aussi, et d’autant plus depuis le début des années 2000 et le développement des bibliothèques tiers lieu, un espace de rencontre.

Le sociologue Ray Oldenburg1 définit ainsi le tiers lieu à la fin des années 80 : un lieu situé hors du domicile (« first place ») et de l’entreprise (« second place »), où les personnes se plaisent à sortir et à se regrouper, une nouvelle « agora » où l’ensemble du peuple peut apprendre et se former, un lieu de culture et de savoir où se développent les courants d’opinion des sociétés modernes et de ses citoyens libres. Et justement, concernant la question du silence en bibliothèque, comment concilier la liberté et le silence nécessaire à l’étude ?

Silence, murmure et bruit mesuré : comment concilier liberté de la rencontre et de la pratique, et nécessité de silence de l’étude ?

Ce voyage d’étude au Pays basque espagnol nous a permis d’observer comment trois bibliothèques d’avant-garde ont questionné la tradition du silence en proposant trois niveaux différents d’ambiance sonore : le bruit, le murmure et le bruit contrôlé, un bruit respectueux et raisonnable.

C’est avec cette philosophie et avec ce cahier des charges qu’ont été conçues et que fonctionnent la médiathèque de « La Alhondiga » à Bilbao, la bibliothèque de « Medialab Tabakalera » à Saint-Sébastien et la médiathèque de la Maison de la Culture, « Lekuona Fabrika » à Errenteria.

Dans ces trois bibliothèques basques, les espaces architecturaux ont été répartis selon les besoins de bruit ou de silence des usagers ou des activités programmées. Ainsi on trouve très clairement identifiés sur plan et sur place à La Tabakalera des espaces pour encourager à la lecture, des espaces permettant de travailler à plusieurs, des espaces de travail individuel et/ou silencieux, des espaces de travail collaboratifs, des espaces d’échange, des espaces de détente, des espaces de formation, etc.

Plan d'implantation de la Tabakalera à Saint-Sébastien
Plan d’implantation des espaces et des activités dans la Médiathèque Tabakalera à Saint-Sébastien.

La médiathèque de Bilbao se revendique comme un lieu pour se connecter, penser et créer autour de la culture contemporaine. La mise en œuvre de cette ambition passe par une réflexion et une prise en compte des besoins des différents publics : du silence pour les étudiants mais aussi des espaces plus bruyants pour les familles par exemple.

Capture d'écran du site Bilbao.eus d'un article intitulé : "La mediateka se transforma en un lugar para conectar, pensar y crear en torno a la cultura contemporanea

À Errenteria, toute la réflexion autour du lieu, qui est à la fois une bibliothèque et une salle de spectacle, s’articule autour du constat d’un manque de lien social dans la ville. Ainsi, tout est conçu pour la coexistence des publics et la cohésion du puzzle social. Cette belle ambition s’incarne autant dans la gestion d’espaces différenciés, avec des ambiances différentes selon les étages, que dans la possible polyvalence de ces espaces : modulables, transformables, ils s’adaptent à toutes les situations, tous les moments, tous les publics, de l’accueil de classes à la lecture théâtrale en passant par la préparation studieuse des examens.

Photo de la Salle polyvalente du centre culturel et médiathèque Lekuona Fabrika à Errenteria, en Guipuscoa, Pays basque espagnol.
Salle polyvalente du centre culturel et médiathèque Lekuona Fabrika à Errenteria, en Guipuscoa, Pays basque espagnol.

Vers des bibliothèques évolutives, polyvalentes et polymorphes

La Bpi est l’antithèse d’une bibliothèque patrimoniale. Elle a été conçue dès l’origine comme un laboratoire démocratique. Cette spécificité nous autorise à tester à la Bpi de nouveaux chemins et à prendre part aux grandes mutations en cours et à venir dans les bibliothèques du monde.

Les bibliothèques de Bilbao, Saint-Sébastien et Errenteria en sont l’illustration : les bibliothèques deviennent des lieux polymorphes, à la fois salles d’expositions, de jeux-vidéo, de cinéma et de cinéma documentaire, de musique, espaces de travail partagé et de co-working, cafétérias, espaces de rencontre, espaces d’activités autour des livres et de la culture, espaces clos, espaces ouverts, espaces polyvalents, etc. Le tout en restant aussi, bien sûr, une maison, ou plutôt un espace de stockage pour accueillir les collections et les offrir à la consultation.

Face à la diversification rapide des nouvelles pratiques culturelles, les bibliothèques devront être constamment repensées et réaménagées au cours des années à venir. Cela implique aussi de repenser en permanence leur politique interne en matière de gestion des volumes sonores, « de telle sorte que le silence tendrait désormais à se présenter comme un service, et non plus seulement à s’imposer comme une règle »2.

La gestion du bruit, un enjeu primordial pour des bibliothèques adaptées à l’évolution des usages et des publics

Partout dans le monde, les bibliothèques demeurent les équipements culturels les plus démocratiques, c’est-à-dire les plus largement fréquentés par les publics les plus divers. C’est le cas de la Bpi qui continue par ailleurs de répondre à une forte demande sociale pour des espaces de travail et d’étude à la fois confortables et silencieux.

En dépit de leur succès et de la forte demande à laquelle répondent les bibliothèques, on peut toutefois légitimement s’inquiéter de l’avenir de notre service public face à des pratiques culturelles qui évoluent rapidement.

Il faut, évidemment, préserver les missions spécifiques de notre institution, mais la collaboration très étroite de la Bpi et du Centre Pompidou peut nous permettre de réinventer notre bibliothèque dans un futur proche et d’en recomposer les espaces pour mieux répondre à une diversité d’usages et d’usagers : diversifier les espaces et les publics tout en conservant les places de travail ; rénover la Bpi autour de thématiques et de nouveaux espaces de médiation artistique et culturelle ; améliorer les conditions d’accueil des publics handicapés ; valoriser nos secteurs d’excellence (autoformation, cinéma documentaire, numérique) ; ou renforcer les liens avec la dynamique de programmation du Centre Pompidou. Le zonage ainsi que le mobilier et l’aménagement intérieur des bibliothèques du futur seront les points majeurs pour la gestion du bruit lié à toutes ces activités.

Les bibliothèques visitées montrent, entre zones dédiées à un certain usage, comme, par exemple, le travail en groupe ou l’accueil de familles, et zones modulables selon les besoins, la possibilité de multiplier les approches de la gestion du bruit.

Travailler finement les ambiances sonores devient ainsi l’une des conditions d’un espace véritablement collectif d’échange et de partage d’expérience et qui ménage la liberté de chacun.

Photo d'un espace de travail au niveau 3 de la Bpi avec l'œuvre de Tania Mouraud : Wysiwyg (What you see is what you get), juin 1989.
Wysiwyg (What you see is what you get), Tania Mouraud, juin 1989. Artiste conceptuelle, Tania Mouraud (France, 1942) utilise le langage comme matériau pour investir l’espace public en confrontant art et communication. Cl. Bibliothèque publique d’information, 26 janvier 2021, niveau 3 de la Bpi.

1 Voir Oldenburg, Ray, The Great Good Place : cafés, coffee shops, bookstores, bars, hair salons, and other hangouts at the heart of a community, Marlowe, 1999.

2 KHERCHAOUI, Victor, Le Silence en bibliothèque, de la règle au service, Etude de cas sur le territoire de la Métropole lyonnaise, Mémoire d’étude sous la direction d’Arnaud Travade, conservateur territorial des bibliothèques. Université de Lyon, août 2018.

Publié le 20/04/2023 - CC BY-SA 4.0

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