Seule la terre est éternelle de François Busnel et Adrien Soland, avec Jim Harrison
Sortie en salles le mercredi 23 mars 2022.
Trois semaines durant l’été 2015, l’un des très grands de la littérature américaine, Jim Harrison (11 décembre 1937-26 mars 2016), accepte le projet de François Busnel de faire un film « avec » lui et « dans » le monde sauvage dont ses livres sont pétris. Cette rencontre est un testament en images où Harrison, Big Jim, consigne sa vision du monde, de l’homme et de l’écriture. Véritable invitation au voyage, le film pérégrine tout aussi bien dans l’Ouvert des grands espaces de l’Ouest entre Montana et Arizona, qu’il s’arrête dans l’intimité des lieux de création dessinant une aventure où retour à l’essentiel et vie en harmonie avec la nature sont indissociables, se confondent, sont les faces d’une même médaille.
« Seule la terre est éternelle est un film sur notre rapport à la nature et la nécessaire reconnexion au monde sauvage à travers le regard d’un écrivain qui est, je le crois, le plus important des écrivains américains contemporains. En tout cas, celui qui m’a le plus ébloui et dont les livres peuvent aider ceux qui les lisent. Je voulais partager ce que j’ai appris en le lisant et que j’ai découvert grâce à lui. » (François Busnel).
F. Busnel est journaliste. Il a travaillé pour la presse écrite au service Livres de L’Express (2001-2015), à Lire (2003-2015). Il a créé et dirigé le magazine trimestriel America (2017-2021). Sur les ondes de France Inter, il a animé la quotidienne Les Grands entretiens (2010-2013). À la télévision, il a créé pour Arte des séries documentaires d’animation (Les Grands mythes, L’Illiade et L’Odyssée). Depuis 2008, il anime en direct sur France 5 l’émission littéraire La Grande Librairie dont il est le concepteur. Le confinement lui permet de mettre en place sur les chaînes publiques des rendez-vous d’une minute trente autour d’un livre : La Petite librairie. Busnel est aussi l’artisan, avec Adrien Soland à la caméra, d’une série documentaire au long cours, Les Carnets de route de François Busnel, diffusée une fois par mois sur France 5. Portraits inédits des États-Unis (octobre 2011-mai 2012) constituent une collection de huit documentaires qui retracent le voyage de Busnel à la rencontre d’écrivains américains chez eux. Dans l’épisode intitulé Les Grands espaces, diffusé le 23 février 2012, Busnel s’entretient avec Jim Harrison dans sa maison de Livingston, Montana.
Seule la terre est éternelle est un long métrage que François Busnel portait en lui depuis dix ans. Le format(age) télévisuel du Carnet de route consacré à Jim ne l’a pas satisfait. Dès 2011, le projet germant en lui, il commence l’écriture du film. Il insiste plusieurs fois auprès de Big Jim qu’il a rencontré à Saint-Malo en 1999, dont il est devenu l’ami, auquel il a souvent rendu visite dans le Montana, avec lequel il a « beaucoup marché, beaucoup pêché, beaucoup parlé ». Sans ce partage, sans « tous ces moments intimes, je n’aurai jamais sauté le pas pour écrire et réaliser ce film », confie-t-il.
En juin 2015, Jim accepte : « Si tu as toujours envie de faire ce film, viens cet été.»
L’équipe de tournage arrive à Livingston. Jim pose alors la question : « Quelle histoire allons-nous raconter ? »
« Je lui ai dit que je ne serai pas à l’image, qu’il n’y aurait ni archives, ni voix off, que je ne raconterai pas sa vie comme une biographie le ferait. Il a souri et a juste dit : « On y va ». Le tournage a duré trois semaines pendant lesquelles Jim a été d’une disponibilité totale, jour et nuit. »
De Big Jim…
Seule la terre est éternelle n’est pas le premier documentaire français consacré à Jim Harrison. En 1993, Georges Luneau et Brice Matthieussent (traducteur, écrivain, essayiste, directeur de collection qui a beaucoup œuvre pour soutenir et faire découvrir les pépites de la littérature américaine contemporaine) mettent cap au Nord-Michigan à la rencontre de Jim Harrison, poète, auteur de recueils de nouvelles (Légendes d’automne ; La Femme aux lucioles) et du roman Dalva. Dans ce moyen métrage, d’une cinquantaine de minutes, intitulé Jim Harrison : entre chien et loup, dont l’édition vidéo est enrichie d’un entretien avec Brice Matthieussent, Big Jim est présenté comme un écrivain-culte, un titan de la littérature américaine.
Le documentaire est le portrait d’un auteur pluriel, des paysages qui le nourrissent et sont la chair de ses livres. Big Jim est filmé selon le rythme des saisons dans la matière vivante de son quotidien : ses promenades avec Tess, sa chienne compagne des hautes solitudes et des fourrés où Jim aime à se réfugier, ses voyages vers les grands espaces désolés de la péninsule du Nord-Michigan et sa cabane isolée, lieu de création et du labeur d’écriture. Jim est filmé avec ses amis Indiens, ses potes du bar où il joue au galet, le peintre paysagiste Russel Chatham compagnon de la pêche à la mouche, dont il est un des meilleurs praticiens des États-Unis, ses amis écrivains, sa femme Linda. Jim retourne même dans la chambre du refuge, devenu hôtel, où il écrivit ses Légendes d’automne, face à la fenêtre tandis que le fracas incessant des blocs de glace sur le lac Michigan traversait l’épaisseur des vitres. Chacune des séquences du film est un temps de réflexion sur le sens des choses, de la vie, de la littérature.
Ce portrait montre un homme à la fois ouvert et énigmatique, sociable (tel le chien) et solitaire (tel le loup) où différents niveaux narratifs se conjuguent. En synchronie avec l’image, la voix de Big Jim résonne, dévoilant un rythme et une couleur qui lui sont propres. Certains mots sont accentués à la manière expressive de la langue poétique américaine. Rien d’étonnant à cela, Jim Harrison publiera quatorze recueils de poèmes entre 1961 et 2016. Le souffle de cette voix, sans emphase, profonde, est une sorte de réponse au chant des grands espaces, au c(h)œur des forêts, au bruissement des rivières. Cette voix dit aussi la tragédie des peuples Amérindiens, victimes du génocide perpétré par les Blancs. Une voix off, celle de l’acteur Fédor Atkine, prend en charge des données biographiques, des anecdotes, des réflexions et des commentaires sur l’œuvre de Big Jim. Elle accompagne, sans prendre une place excessive, les faits et gestes du héros. En cela elle participe d’une mythification de Big Jim / Jim Harrison qui ne raconte pas sa vie mais vit, pendant le film et surtout indépendamment de lui, son aventure d’homme, de poète, d’écrivain, de défenseur des droits des Indiens, de narrateur engagé dénonçant les destructions de la nature du passé comme celles du présent.
Deux scènes nocturnes se répondent telles des rimes filmiques au début et à la fin de ce documentaire. Jim est saisi alors qu’il s’apprête à dormir, dans les bois, auprès d’un feu de camp, avec Tess, sa chienne, confidente et compagne des expériences fortes de sa vie. Cette communion avec la nature, qu’il pratique depuis l’enfance (depuis plus d’un demi-siècle au moment du tournage), s’apparente à un rituel indien pour revenir à l’essentiel et se ressourcer dans la solitude peuplée des esprits et des dieux de la nature où l’homme et la bête à ses côtés vont s’endormir en contemplant les étoiles. La voix en off de Jim accompagnera ce moment de grâce, laissant le spectateur s’immerger dans l’eau et l’or de sa poésie :
« I’ve decided to make up my mind / about nothing, to assume the water mask, / to finish my life disguised as a creek,/ an eddy, joining at night the full,/ sweet flow, to absorb the sky,/ to swallow the heat and cold, the moon/ and the stars, to swallow myself/ the moon/ in ceaseless flow. » (Cabin poem)
« J’ai décidé de ne plus rien/ décider, d’endosser le masque de l’eau, / de finir ma vie déguisé en ruisseau, /en tourbillon, m’unissant nuit au flux ample et doux, d’absorber le ciel,/ d’avaler la chaleur et le froid, la lune / et les étoiles, de m’avaler moi-même / en un flot incessant. »(Poème de la cabine, traduction Brice Matthieussent)
… à Poor Little Jimmy
Si dans Jim Harrison, entre chien et loup, Big Jim apparaît dans la force de l’âge, les cinquante-cinq ans alertes où sa démarche est assurée, son souffle profond et ample, dans Seule la terre est éternelle, quelques vingt-deux ans plus tard, il en est tout autrement. Une respiration difficile, voire douloureuse, une dyspnée, symptôme d’un emphysème, tel est le son qui traverse l’écran noir avant les premières images du film qui ouvriront notre regard sur une route dominée, au loin, par les cimes enneigées du Montana. Jim conduit sa Toyota tout en fumant une cigarette. Jim a le profil d’un oiseau fatigué, d’un condor meurtri. Cependant, il parle. Sa voix s’est assourdie, le timbre s’est fêlé. Le grain de cette voix est encore perceptible grâce au rythme, à la lenteur et à l’accentuation que lui impose Jim :
« Tu grandis, et tu te sens étouffé par la culture. Tu veux retourner à la terre, là où tout a commencé. (…) Dans le temps, j’allais directement de Los Angeles à ma cabane perdue dans les bois, au fin fond de la Péninsule Nord du Michigan. Et là, je pouvais à nouveau respirer ».
Le film de François Busnel co-signé par Adrien Soland (les deux hommes travaillent en tandem depuis 15 ans), sans voix off omnisciente, ni narration subjective, ni scènes reconstituées, ni archives (quelques photos cependant sont distillées avec parcimonie ce qui les rend plus efficientes et percutantes), prend une tournure, un chemin différent de celui tracé par Luneau et Matthieussent. Harrison y est filmé tel qu’il est devenu : « abîmé mais debout, jubilant d’aller pêcher dans la Yellowstone River, marchant à Emigrant Peak, prenant la route pour rejoindre sa casita près de la frontière mexicaine, entouré d’amis chers. Cet engagement total de Jim a permis un certain nombre de séquences burlesques alors que le film est clairement le testament spirituel d’un homme au crépuscule de sa vie. » (F. Busnel).
Oui, Big Jim cède la place à Poor Little Jimmy qu’évoque avec amitié, affection et une émotion toute en retenue qui se tient à la crête de la vague, Brice Matthieussent dans sa postface intitulée Bacchus malade du dernier recueil de poèmes de Harrison : Dead man’s float (La Position du mort flottant) édité par Héros-limite en 2016 avec la traduction signée par Matthieussent. Dans une écriture, à la fois sobre et bouleversante par sa sobriété même, Brice Matthieussent analyse « les deux surnoms antinomiques » que s’était donné Jim Harrison : Big Jim et Poor Little Jimmy.
« D’un côté, l’ogre affamé de bonne chère, à l’affût de tous les plaisirs, attiré par les contrées exotiques et les cultures les plus éloignées de la sienne. De l’autre, le garçon à l’œil crevé cherchant refuge dans la nature ou plus tard le poète dépressif prostré dans le jardin de sa ferme du Michigan tandis que la neige tombe sur sa tête nue et monte autour de ses pieds. (…) Janus bifrons… le colosse jadis débordant d’énergie, se présente désormais en retrait, sinon en retraite, laissant davantage de place au malade, ou convalescent, à l’œil blessé, au wounded eye ou plutôt wounded I, non pas le genou – Knee avec un K majuscule, en hommage au Sioux de Wounded Knee-, mais le « Je » blessé, corps souffrant « dans le tourbillon fatal du temps » et l’approche de la mort ».
« Les dieux ont sans doute de bonnes raisons / pour m’exiler dans cette solitude de douleur »
Jim Harrison, Sorcellerie perdue. Citation en exergue de la postface Bacchus malade au recueil de poèmes La Position du mort flottant.
Jim Harrison, pour faire face aux graves problèmes de santé que lui infligera le XXIème siècle (une forme très grave de zona et plusieurs interventions chirurgicales lourdes et douloureuses : « On m’a ouvert depuis la nuque jusqu’au coccyx »), fera le mort pour échapper à la mort comme le nageur épuisé se met dans la position du mort flottant pour recouvrer la force et l’énergie pour continuer son périple. La poésie est plus que jamais une survie.
Dans Seule la terre est éternelle, Jim ne s’attardera pas sur sa biographie. Il égrainera, çà et là, quelques-uns des faits marquants de sa vie : les ancêtres suédois et protestants, l’œil crevé, enfant, par un tesson de verre planté par une camarade de jeu imprévisible, la mort accidentelle du père et de sa sœur Judith âgée de 17 ans causée par un chauffard saoul tandis qu’ils partaient tous deux pour la chasse, le carnet d’adresses qui se réduit à une peau de chagrin tant les amis et les proches, autour de lui, meurent… Harrison n’est pas un geignard. Les faits sont énoncés, sans emphase ni dramatisation, avec l’acuité de son œil de cyclope et toujours rattachés à son parcours d’homme et d’écrivain : le refuge nécessaire dans les fourrés, les forêts, les rivières et les grands lacs où mugissent parfois des vents violents, où soufflent des tempêtes dignes des océans. L’immobilité forcée comme déclencheur de la rédaction de Wolf, mémoires fictifs, son premier roman ; longue immobilité, après sa chute d’une falaise tandis qu’il chassait qui lui laissera un dos à jamais meurtri.
Faire le film est pour Big Jim / Poor Little Jimmy une des dernières occasions de vivre et de faire partager son désir d’aventure et d’espace. Les déplacements en voiture sont une des composantes essentielles dans l’élaboration de ses œuvres. Il roulera vers Patagonia en Arizona où nous ne verrons rien de son dernier antre, sa dernière cabane d’écriture en solitaire. Seuls, un fauteuil vide et le grincement d’une porte trahiront la mort qui, là, à Patagonia, l’emporta d’une crise cardiaque tandis qu’il écrivait un poème.
À la fin de l’été 2015, Jim, François et Adrien avaient prévu de se retrouver au printemps suivant pour aller filmer la fonte des neiges dans la péninsule-Nord du Michigan, si chère à Harrison. Deux semaines avant le tournage, Jim s’éteignait.
Ce qui est troublant dans cette mort aux confins de l’Arizona et du Mexique sont les paroles de Linda, l’épouse de Jim pendant plus de quarante-sept ans, lors d’un apéritif dans le soir tombant au bord du Lac Michigan. « L’Arizona est un beau lieu pour mourir » dit-elle à son mari sur le ton de la boutade dans une séquence de Jim Harrison, entre chien et loup.
« Emptiness, good emptiness » (« Le vide dans le bon sens du terme »)
« Le paysage peut emporter tous les chagrins. Il absorbe toutes les névroses. Comment être malheureux quand tu vois ça. »
« Nous sommes les lieux où nous avons été. Ils font partie de nous. »
«Tous les yeux s’ouvrent devant les paysages. »
« Le paysage nous apprend l’Ouvert. J’ai passé tant d’années dans l’Ouest à conduire, à marcher. Ce qui nous frappe le plus quand on passe dans l’Ouest, c’est que nous en sommes encore à l’âge pléistocène. Dans la courbe de l’évolution, nous sommes à quelques coups de tam-tam des hommes préhistoriques. Quand je vois à Lascaux, par exemple, le lieu de naissance de l’occident, je vois des hommes, des images des hommes qui chassaient le bison. »
« L’Ouest refuse qu’on oublie l’histoire »
L’homme-ours au pas de grizzly a rejoint le tourbillon des rivières, les neiges éternelles des montagnes qui offrent à l’Open space une perspective où vagabondent les yeux et l’esprit. La nature n’est pas un décor où s’épancherait une métaphysique où le moi de l’homme, du poète se dilaterait à l’infini. Non, la nature n’est pas un décor. L’homme fait partie d’elle, y puise énergie et courage, y rencontre et y construit, chaque jour, son être le plus profond, le plus sauvage. Toute sa vie, tout son travail d’écrivain (les dieux savent combien Jim Harrison était un travailleur acharné, un grand bosseur) fut tendu pour exprimer, pour trouver les mots de cette Nature majuscule, de cet Ouest où l’histoire tragique des Amérindiens et le génocide perpétré par les colons venus d’Europe sont partout présents, lisibles.
Pour écrire, Jim Harrison, l’amoureux des grands espaces, a besoin de se retirer dans la solitude de cabanes isolées. Son bureau à la surface réduite conserve quelques souvenirs, des photos (celle d’un cheval nommé Nijinski, le portrait d’une poétesse russe, de Rimbaud, celui de Gary Snyder, le crâne d’un coyote recouvert de symboles magiques, un sac-médecine…). Jim n’oublie pas d’adresser quelques mots consignés sur un bout de papier aux éventuels visiteurs :
« Puissent les hommes êtres cléments, / Et ne pas venir troubler / La solitude de ces montagnes / Dans lesquelles je me suis retiré / Loin des malheurs du monde. »
Sa table de travail s’appuie sur un mur blanc, vide, pour ne pas se disperser et rester dans la concentration extrême qu’exige l’écriture. Jim a toujours tout écrit à la main pour sentir le geste physique de l’écriture. Il n’a cessé d’utiliser les mêmes outils : les feutres pointe fine du baron Bic et les blocs grand format de papier jaune striés de lignes horizontales. Les manuscrits sont sûrs, sans ratures, lisibles.
L’écriture penchée et régulière, aux lettres liées, est animée d’une calligraphie d’apparence sereine. Pour valider ses textes et faire les corrections nécessaires, Jim confie la frappe des tapuscrits à Joyce, son assistante de toujours.
L’écriture est exigeante. L’écriture est une métamorphose. Elle répond, se confond avec ce que les Sioux appellent « changer d’apparence », c’est-à-dire, « faire un pas de côté, se détacher, se dépouiller de ces traits que Jim juge typiquement américains et qui sont l’appât du gain et du pouvoir » (F. Busnel). Cette philosophie, cette éthique est d’autant plus puissante qu’elle est énoncée avec humour, autodérision, espièglerie dans le regard et le sourire. Jim Harrison, même au bord de la mort, ne s’est jamais départi de cette facette essentielle de son identité.
« La vie est courte mais large » se plaisait-il à dire.
Si la métamorphose en loup, en ours, l’absorption, le mélange fusionnel dans le tourbillon et l’eau des rivières est une constante dans l’œuvre de Jim, l’écrivain évoquera deux de ses personnages emblématiques : Chien Brun, personnage récurrent qu’il pense comme un prolongement de lui-même et Dalva (Étoile du matin) son héroïne majeure apparue dans ses rêves ; Dalva qui tint longtemps son esprit comme de la matière en fusion, un magma qu’il fallut apprivoiser à la manière de René Char, poète qu’il adorait :
« Il faut être là quand le pain sort tout chaud du four. »
Seule la terre est éternelle doit son titre à un chapitre des mémoires de Jim, En Marge, où il écrit :
« J’ai appris qu’on ne peut pas comprendre une autre culture tant qu’on tient à défendre la sienne coûte que coûte. Comme disait un proverbe Lakota : « Courage! Seule la terre est éternelle. » (« Take courage ! The earth is all that lasts. ») »
« Nous aimions la terre mais nous n’avons pu y rester. »
Jim Harrison aime à citer cet épitaphe. Le film est un adieu où se mêlent souvenirs, lecture à voix haute de deux poèmes (Spring / Printemps et Ghosts / Fantômes), partie de pêche, long voyage dans l’Ouest et le Midwest du nord au sud. Cet adieu, non seulement ne s’enlise pas dans la tristesse mais savoure la vie, avec humour et gourmandise, jusque dans ses moindres soubresauts, ses intimes frissons, ses plaisirs quotidiens, ses petites joies qui font les grands bonheurs.
Dans cet univers singulier vibrant d’une vie à la fois simple et grandiose, la chanson de Janis Joplin Get it while you can (Profites-en tant que tu peux) est une délivrance quand Jim est étouffé par l’ennui, la déprime ou l’irritation. Dans cette ballade aux accents virtuoses de guitare électrique, La voix toute d’énergie et de fêlures de Janis qui chante la fragilité de l’amour et de la vie, emplit l’image de mélancolie et d’espoir :
« Si quelqu’un croise ton chemin et veut te donner un peu d’amour et d’affection / Profites-en tant que tu peux / Ne tourne pas le dos à l’amour / Non! Non ! / Ne sais-tu pas que quand tu aimes quelqu’un, tu prends le risque de souffrir un peu / Mais qu’importe, chéri, car demain nous ne serons peut-être plus là … / Alors, si quelqu’un croise ton chemin… »
Peut-être est-il grand temps d’arrêter le cours de ces pensées, de laisser en suspens, d’interrompre l’aventure de Jim, de laisser le désir de découvrir le film faire son chemin. Ce voyage, sa forme, la beauté physique des paysages traversés, sont servis par des plans très larges en scope, format de chefs d’œuvre du cinéma américain (The Searchers de John Ford, par exemple) et de films nostalgiques comme Paris, Texas de Wim Wenders. Le visage de Jim au pas de grizzly, aux dents du bonheur envolées mais au sourire toujours là, présent, ce visage creusé des rides d’une vie pleine et entière, d’une existence vécue à bout de cœur, ce visage/paysage est magnifié par les gros plans qui le saisissent au plus près comme pour en faire surgir l’âme, l’esprit non d’un dieu mais des dieux que Big Jim / Poor Little Jimmy côtoya toute sa vie. Le scope permet aussi de sublimer et de rendre très terrestres à la fois les arbres foudroyés trouvés dans la forêt ou les plaines.
« Si tu cherches un arbre ; un arbre puissant est un arbre qui a été frappé par la foudre. Les Indiens pensaient qu’un arbre frappé par la foudre indiquait l’endroit où les dieux avaient touché la terre. »
En entrant dans le film, en s’y laissant couler, ce n’est pas à une fin qu’on arrive mais à un commencement. « Nous n’arrêtons jamais d’explorer, et le terme de toute exploration est le retour au point de départ », écrit T.S. Eliot.
Je lus le nom de Jim Harrison, pour la première fois, sur la quatrième page de couverture de l’édition américaine du recueil June 30th, June 30th (30 juin, 30 juin) de Richard Brautigan que je lisais dans une bibliothèque en Californie. C’était l’été 1984. J’écrivis ce nom dans mon carnet de notes. De retour dans mon Ouest, sur la petite plaine du Champ de l’alouette, je décidai de lire cet auteur dont je trouvai les écrits en bibliothèque ou en librairie. L’éblouissement, le ravissement, se produisit cinq années plus tard, quand je lus Dalva, d’une traite, d’un souffle ample, sans repos, ni fatigue. De cette expérience de lecture intense, radicale jusqu’à l’épuisement, où jours et nuits se confondent dans ma mémoire, je n’ai souligné qu’un seul passage, un paragraphe qui, pour moi, touche à quelque chose comme la perfection :
« J’ai passé l’une de ses excellentes nuits dont on se réveille avec l’impression de faire partie du matelas, les membres lourds et souples, et le sentiment que tout ce que l’on regarde possède un contour net et brillant. L’univers est soudain plein de couleurs primaires, comme si l’impossible était arrivé et que Gauguin avait décidé de peindre cette partie du Nebraska. Mes rêves avaient été longs et variés ; en buvant mon café, j’ai regardé les volumes de Curtis à la recherche d’une image aperçue pendant mon sommeil. Quand j’ai constaté qu’elle ne figurait pas dans ces livres, je me suis dit avec plaisir que mon cerveau venait de créer une photographie parfaitement inédite d’Edward Curtis. » (Dalva, 1989)
Bande annonce :
Rappel :
Seule la terre est éternelle de François Busnel et Adrien Soland, avec Jim Harrison – Musique originale : Mathias Malzieu et Olivier Daviaud, musiques additionnelles : Janis Joplin, Merle Haggard et Willie Nelson – 2019 – Durée : 1h56 min – Production : Rosebud Productions avec la participation de Mario Batali, William R. Hearst III, France Télévisions, Le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée – Distribution : Nour Films.
Passionnante et instructive critique (à la fois cinématographique et littéraire). qui permet de revenir sur les éléments clés de la personnalité, l’oeuvre et la vie de JH. Mais aussi sur le film et son projet, la relation entre JH et FB. Et les nombreuses citations de JH qu’on a plaisir à redécouvrir dans cette critique de haute volée. Bravo et Merci!
FEUILLADE Charlotte
2 années il y a
Très beau film…des paysages…époustouflants.. un voyage aux USA…magnifique…
Ceci pour la forme…
Le fond…très intéressant mais même si pas facile à suivre…il faut s’y tenir…
Moment enrichissant !!
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Passionnante et instructive critique (à la fois cinématographique et littéraire). qui permet de revenir sur les éléments clés de la personnalité, l’oeuvre et la vie de JH. Mais aussi sur le film et son projet, la relation entre JH et FB. Et les nombreuses citations de JH qu’on a plaisir à redécouvrir dans cette critique de haute volée. Bravo et Merci!
Très beau film…des paysages…époustouflants.. un voyage aux USA…magnifique…
Ceci pour la forme…
Le fond…très intéressant mais même si pas facile à suivre…il faut s’y tenir…
Moment enrichissant !!