Appartient au dossier : Sciences et bibliothèques
Sciences participatives et bibliothèques : panorama
Depuis 2013, la nécessité des relations entre sciences et société est inscrite dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Une imbrication encore renforcée en 2021 avec la loi de programmation de la recherche et son axe « sciences avec et pour la société ». C’est dans cette continuité, et dans le mouvement pour les sciences ouvertes, que s’inscrit la croissance exponentielle des sciences participatives ces quinze dernières années. Couvrant tous les domaines de la connaissance, et tous les degrés de participation des citoyens, de nombreux projets de sciences participatives existent, au sein desquels les bibliothèques ont une place à prendre.
L’essor des sciences participatives
En 2016, paraissait le rapport « Les sciences participatives en France. État des lieux, bonnes pratiques et recommandations », commandé par les ministres en charge de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à François Houllier, biologiste, alors président de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).
Ce rapport, qui fait encore référence aujourd’hui, définit les sciences participatives comme « des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques professionnels – qu’il s’agisse d’individus ou de groupes – participent de façon active et délibérée ». Il note également l’essor considérable des projets de recherche faisant appel à la participation citoyenne, notamment dans les domaines du changement climatique et de l’évolution de la biodiversité, où l’apport de l’observation des non-spécialistes est considéré comme indispensable. Les projets culturels sont aussi concernés par les sciences participatives (transcriptions, enrichissement de données, projets linguistiques, généalogie…)
Différents niveaux de participation sont possibles, de la simple contribution des citoyens comme capteurs de données à leur participation active aux différentes phases de la recherche, de la définition des sujets jusqu’à l’analyse des données. Les types de participation (de l’observation de milieu au recueil du ressenti, en médecine par exemple) sont aussi variables que la taille de ces projets (de quelques dizaines à plusieurs milliers de participants). En 2016, le nombre de projets participatifs sur l’ensemble des projets de recherche plaçait la France dans le top 3 européens.
Il n’y a pas de label mais une charte des sciences participatives, conséquence du rapport Houiller, et signée par une trentaine d’établissements.
Les acteurs des sciences participatives
Il existe une structuration croissante des projets de recherche faisant appel à la participation citoyenne, à travers des réseaux et des associations. Aux États-Unis, l’association SciStarter forme des citoyens ou des professionnels à la mise en place de projets de sciences participatives, offre des outils et des ressources en ligne, et propose notamment aux bibliothèques des kits autour des projets les plus populaires du réseau.
eu-citizen.science est une plate-forme européenne dédiée au partage de connaissances, d’outils, de formations et de ressources en sciences participatives. Elle a notamment réuni, à l’automne 2024, 10 bibliothèques européennes pour présenter les projets mis en place dans chacune d’elles et réfléchir au rôle des bibliothèques dans le développement des sciences participatives.
En France, Vigie Nature, porté par le Muséum national d’histoire naturelle et l’Office Français de la Biodiversité, regroupe plusieurs programmes permettant aux publics de participer à l’observation de la biodiversité sous toutes ses formes, grâce à des protocoles simples. Observatoire du littoral, oiseaux des jardins ou opération escargot, sont quelques-uns des observatoires coordonnés par Vigie Nature.
En France toujours, fondé par le Muséum national d’Histoire naturelle et Sorbonne Université, Science ensemble vise à mettre en réseau les acteurs des sciences participatives, dans une démarche de promotion de la culture scientifique et de la science ouverte, de coopération et de production de savoirs communs.
Comment les bibliothèques peuvent-elles s’inscrire dans cet écosystème ?

Le rôle des bibliothèques : l’exemple de l’Eurométropole de Strasbourg
Lieux publics gratuits et ouverts à tous, lieux de connaissance et de médiation, les bibliothèques sont un partenaire privilégié pour les projets de sciences participatives, à l’image de Strasbourg, qui a mis en place ce partenariat dès 2021, à l’initiative de Mina Charnaux, chargée de mission Ville nature et Zéro pesticide pour la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg.
En 2021, l’Eurométropole choisit de se lancer officiellement dans les sciences participatives, avec l’objectif de constituer un réseau d’observateurs réguliers sur le territoire, afin de contribuer à l’amélioration des connaissances scientifiques et à la sensibilisation aux enjeux de la biodiversité. Quatre protocoles de Vigie Nature ont ainsi été sélectionnés pour mettre en œuvre cette démarche, pour leur simplicité d’application :
- Sauvages de ma rue, un observatoire des plantes sauvages qui poussent sur les trottoirs, au pied des arbres, etc ;
- Observatoire des bourdons ;
- Vigie-Chiro, un observatoires des chauve-souris ;
- Bird Lab, un observatoire du comportement des oiseaux à la mangeoire en hiver.
Tous ces programmes répondent également à des politiques publiques de l’Eurométropole et à une volonté de sensibilisation du grand public sur des sujets tels que l’arrêt de l’usage des produits phytosanitaires, la protection des chauve-souris, l’importance des insectes pollinisateurs en ville, etc.
Les bibliothèques ont rapidement constitué un partenaire privilégié pour le déploiement de ces programmes : « Ce sont des endroits où les gens passent, il y a un lien avec la connaissance, avec les personnes qui y travaillent… On s’est fait connaître et maintenant pas mal de bibliothécaires m’ont identifiée et viennent me demander dans le cadre de leur programmation, pour venir faire une animation… Ça s’est vraiment tissé ces deux dernières années » explique Mina Charnaux. Une présentation générale des sciences participatives a d’abord été proposée au personnel des médiathèques, puis des ateliers réguliers autour des différents observatoires.
Marie Maheu, coordinatrice participation des publics et partenariats de la médiathèque Neudorf, a manifesté dès le début son intérêt pour les sciences participatives, et les sciences en général. Dès 2017, une grainothèque a été installée à la médiathèque, accompagnée de collections spécifiques (un fonds « vivre mieux » de 1 300 documents, en adaptation permanente, avec un très fort taux de rotation), une programmation d’animations (le festival « graines urbaines ») et la mise en place d’un réseau de partenaires, notamment l’Eurométropole et Mina Charnaux.
Cet axe fort autour de la nature en ville a permis de fédérer une communauté de fidèles. L’équipe de la médiathèque souhaite désormais muscler ses propositions scientifiques, avec une programmation 2025-2026 encore plus axée sur les sciences, s’inscrivant dans des événements locaux ou nationaux, pour rappeler que la science fait partie de la culture générale.
Mina Charnaux et Marie Maheu font part d’une difficulté commune, à prendre en compte lorsqu’on se lance dans des projets participatifs : la mobilisation des publics. « Si on ne fait que deux ou trois événements par an, il y aura peu de monde, il faut plusieurs années de travail et de nombreux événements pour être reconnu comme un lieu de sciences. C’est ce qu’on essaie de construire. On sait qu’on peut avoir un public intéressé, il faut trouver comment rendre visible nos actions » souligne Marie Maheu. Il ne s’agit pas de projets dont on peut mesurer le succès quantitativement et un petit nombre de personnes motivées ne doit pas conduire à baisser les bras…
Une réflexion est en cours sur le prêt d’enregistreurs ultrasons à la médiathèque pour simplifier le protocole de l’observation des chauve-souris. L’Eurométropole pourrait également proposer des formations sur les sciences participatives, en partenariat avec la Maison pour la science Alsace, comme cela existe déjà pour les enseignants.
Ces projets, comme beaucoup d’autres, reposent souvent sur la motivation et la volonté de quelques personnes qui parviennent à faire bouger les choses. On constate également que nos deux interlocutrices ont une formation scientifique : un plus indéniable pour prendre confiance en sa légitimité à mettre en place des projets scientifiques, mais nullement un pré-requis !
Publié le 17/04/2025 - CC BY-SA 4.0