Saravah
de Pierre Barouh

Sortie en salles le mercredi 10 juillet 2024.

Saravah est une savoureuse histoire d’affinités électives, celle d’un musicien tombé amoureux de la jeunesse du Brésil et de sa musique incandescente, au croisement de son histoire africaine et européenne.

Photo du documentaire Saravah.
Pierre Barouh et Baden Powell dans Saravah © Arizona distribution.

Pierre Barouh est un voyageur aux semelles de vent. Le guitariste et comédien embarque en 1969 sur un cargo pour faire escale à Rio de Janeiro. Amoureux fou de la suavité et de l’énergie si particulière de la musique brésilienne, Barouh espère rencontrer les musiciens qui le fascinent et embrasser l’extraordinaire bouillonnement culturel et musical dont Rio est encore le centre, malgré la dictature qui a provoqué l’exil de nombreux artistes. 

Saravah est une affaire de famille et de transmission. La version montrée en salle cette année est née d’une restauration commanditée par Benjamin Barouh, son fils. L’histoire du film se confond avec celle du label éponyme, et d’une chanson qui court encore dans toutes les mémoires.

Être heureux, c’est plus ou moins ce que l’on cherche

J’aime rire, chanter et je n’empêche

Pas les gens qui sont bien d’être joyeux

Pourtant s’il est une samba sans tristesse

C’est un vin qui ne donne pas l’ivresse.

Voici les premiers mots de Samba Saravah, la chanson écrite par Vinicius de Moraes sur une musique du talentueux guitariste Baden Powell, adaptée par Pierre Barouh. En 1964, Pierre Barouh est invité à Rio par Vinicius de Moraes, pour jouer le premier rôle dans une adaptation du mythe de Tristan et Iseult pour le cinéma. Barouh enregistre alors sa célèbre version en français de Samba da Bênção rebaptisée Samba Saravah

À Paris, Claude Lelouch attend Pierre Barouh pour le tournage d’Un homme et une femme. En écoutant Samba Saravah, Lelouch décide d’intégrer le morceau au film. Claude Lelouch, le compositeur Francis Lai et Pierre Barouh fondent les éditions Saravah en espérant financer le disque du film. Un homme et une femme reçoit la Palme d’or à Cannes en 1966, puis quatre Golden Globes à Los Angeles en 1967, dont celui de la meilleure musique de film. Saravah développe ensuite son label, qui produira par la suite Jacques Higelin ou Brigitte Fontaine.

Pierre Barouh se rappelle comment le film Saravah est né :

« Une nuit de traîne, à Paris, je rencontrai chez Castel Pierre Kast, cinéaste reconnu qui projetait de tourner un documentaire au Brésil sur la macumba et le candomblé, exposant la persistance des mythes africains dans ce pays fascinant. Il disposait d’une équipe réduite (le cadreur Yann le Masson et l’ingénieur du son Jean-Claude Leaureux). Le support serait du 16 mm et, les cérémonies ayant lieu le vendredi soir, il aurait, éventuellement, le temps de m’offrir la possibilité de réaliser un documentaire. Sachant que j’entretenais des rapports privilégiés avec, entre autres, Baden Powell, Vinicius de Moraes et Maria Bethânia, il me proposa de le rejoindre à Rio de Janeiro […] Je me rends chez Baden Powell, nous envisageons ce qu’il est possible de faire en trois jours. Il évoque Pixinguinha et João da Baiana, deux figures mythiques. Je joins Maria Bethânia et Paulinho da Viola avec qui j’avais sympathisé lors d’un récent séjour et qui amorçaient leur éblouissant parcours. »

L’aventure de cinéma de Pierre Barouh est donc fortuite. Elle lui donne cependant l’occasion unique de filmer pour la première fois d’incroyables musiciens dans des situations et des décors souvent improvisés. La rapidité du tournage contraint en effet Barouh à les situer dans le quotidien de leur vie de quartier. Ces musiciens chevronnés ou émergents sont filmés « dans le plus simple appareil », avec une miraculeuse spontanéité.

Ainsi la scène inaugurale, dans une épicerie autour de quelques tables, nous plonge directement dans le sujet : la rencontre avec des musiciens qui se jouent des contraintes et partagent leur plaisir de faire et d’être ensemble. Pierre Barouh converse avec eux très naturellement en portugais, et parvient très simplement à les faire témoigner sur leur pratique et les influences métissées de leurs musiques.

La rencontre atteint des sommets lors de la première séquence avec Baden Powell. Guitare en main, Powell interprète à la demande quelques morceaux de répertoire en explicitant les racines africaines et les influences européennes des musiques brésiliennes, celle du candomblé carioca, etc. En joignant le geste à la parole, Powell est un formidable guide pour le spectateur. Sa virtuosité n’a d’égale que sa simplicité et sa maîtrise musicale parfaitement lumineuse. Pour notre plus grand plaisir, Barouh semble savoir exactement où le mener, tout comme les autres musiciens du film. 

Photo du documentaire Saravah.
Maria Bethânia et Paulinho da Viola dans Saravah © Arizona distribution.

D’autres figurent illuminent son film. Le duo Maria Bethânia et Paulinho da Viola brille particulièrement par leur sincérité et leur énergie. Au moment du café, à ce qui semble être la fin d’un déjeuner sous une paillote de plage, la spontanéité de la scène rend l’émotion unique. Nous touchons du doigt dans cette séquence le saudade, cette mélancolie typiquement lusophone, la vitalité et la joie brésilienne en supplément d’âme.

Saravah ne connaît néanmoins pas de véritable diffusion et il faut finalement attendre cette restauration cinquante ans après pour le découvrir sous ses meilleurs atours. L’occasion de découvrir l’extraordinaire versatilité de la caméra de Yann Le Masson. Ce très grand cadreur met en scène chaque séquence avec une inventivité et une souplesse impressionnante, qui transforme chaque situation en un véritable festin visuel. La restauration est très équilibrée d’un point de vue de sa colorimétrie. L’effet de réel est saisissant. Le passé renaît sous le grain argentique, littéralement devant nos yeux. 

On comprend néanmoins le découragement de l’extraordinaire Suzanne Baron, la monteuse de Louis Malle, devant certaines séquences désynchronisées qu’elle a su finalement exploiter à la fin du film. Alors en effet, Saravah ne développe pas véritablement de récit et finit par s’épuiser malgré sa courte durée. Mais Saravah parvient néanmoins à créer de petits miracles. Ses petits moyens produisent paradoxalement une immense émotion. Voir et écouter des figures incontournables de la musique brésilienne rarement filmées au naturel est une expérience en soi incomparable. Pierre Barouh est ainsi le premier cinéaste après Pierre Kast à filmer Baden Powell, alors que le guitariste est déjà une star internationale.

Avant Barouh, le cinéaste-ethnologue Les Blank était parvenu dans son portrait de l’immense bluesman Lightnin’ Hopkins (The Blues accordin’ to Lightnin’ Hopkins coréalisé avec Skip Gerson en 1968), à faire jaillir la quintessence du génie musical. Ces moments-là sont décidément trop rares pour les laisser filer.

Julien Farenc

Bande annonce

Rappel

Saravah – Réalisation : Pierre Barouh – 1 h – 1969 – Production : les Éditions Saravah – Distribution : Arizona.

Publié le 05/07/2024 - CC BY-SA 4.0

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