Pompei, sotto le nuovole
de Gianfranco Rosi.

Sortie en salles le mercredi le 19 novembre 2025.

Gianfranco Rosi consacre son dernier documentaire aux territoires napolitains qui s’étendent sur les pentes du Vésuve, autour des golfes de Naples et de Pozzuoli où règnent les champs Phlégréens. La quête de Rossi dans Pompéi, sotto le nuovole est un voyage singulier dans le passé et le présent, au croisement du monde antique et de l‘époque contemporaine.

Photo du documentaire Pompéi, sotto le nuovole
Pompéi, sotto le nuovole © Météore Films

Le temps, un allié indispensable

Depuis plus de trente ans, Gianfranco Rosi constitue une œuvre exigeante où son implication est totale. Ses films, longs et courts métrages, nécessitent une lente élaboration qui requiert du temps, beaucoup de temps. Plus nomade que voyageur, Rosi est attiré par les frontières, les lieux de circulation, d’ouverture vers les périphéries, de migrations tragiques. Rosi s’immerge dans un milieu qu’il choisit ou qui s’impose à lui, tout en laissant de côté sa caméra. Progressivement, pas à pas, il va à la rencontre de celles et ceux avec qui il va pouvoir construire une relation. Ce processus préliminaire au tournage où se construisent repérages et aventures humaines est long, très long. Des mois, des années sont nécessaires à la gestation d’un film pour lequel Rosi ne fait ni note d’intention, ni scénario. Pour lui, écrire un film, qui plus est un documentaire, est une aberration car c’est commencer un projet en racontant des mensonges, la réalité se chargeant de changer complètement toute idée préconçue, toute conjecture de récit.

Jusqu’au couronnement de Sacro GRA (1er Lion d’or décerné à un documentaire à la Mostra de Venise en 2013), Rosi réalisait ses films en autoproduction, de manière artisanale, précaire, en alternant périodes de travail alimentaire et temps d’immersion, de tournage et de montage. Pour financer ses films, il décida de ne pas être le chef opérateur d’autres réalisateurs, préférant superviser nombre de doublages dont ceux des films de Spielberg. Depuis le succès de Sacro GRA, son travail cinématographique est devenu sa profession. Entre repérages, choix des personnages, tournage et montage, Pompéi, sotto le nuovole requit trois ans de travail.

Sous les nuages

Gianfranco Rosi est un filmeur. Il tient la caméra, décide où et quand la poser, choisit le cadre, dans l’œilleton de son outil. « Sotto le nuovole » signifie sous les nuages. Pour Rosi, la lumière engendrée par les nuages est essentielle. Si la nuit est le lieu du mystère, d’angoisses où êtres et choses se cachent, la couverture nuageuse, elle, est protectrice. Elle permet de filmer, sans ombre, à 360°. Rosi a la patience d’attendre la lumière juste pour tourner, celle qui crée la distance de vérité entre le récit, l’espace et les personnages. Pour Notturno, son film le plus radical, il a comparé la fonction des nuages à celle du chœur antique.

« Le Vésuve fabrique tous les nuages du monde » 

Lettres à sa mère, 1898-1918, Jean Cocteau, lettre du 13 mars 1917, Coll. Blanche, Gallimard, 1989

Ainsi s’ouvre le film. Cet exergue poétique accompagne un plan panoramique en noir et blanc des nuées au-dessus du volcan, des fumées s’échappant d’un cratère en fusion puis s’achève par un extrait d’un documentaire sur la catastrophe qui frappa Pompéi en 79 apr. J.-C., projeté dans une salle de cinéma vide de spectateurs. Cette première séquence, qui précède le générique du début, est le noyau autour duquel le film se développe. Ces panoramiques, où dominent le Vésuve et les fumerolles des champs Phlégréens, super volcan à l’ouest de Naples, reviendront à l’image ancrant le spectateur dans le temps immémorial des pulsations de la terre, de l’imminence du danger et de la mort.

Le noir et blanc

De même qu’il tourne le dos au soleil de Naples, à sa population haute en couleurs, à tous les clichés que le cinéma et les chansons ont véhiculés, Rosi choisit de faire son récit en noir et blanc. Ce parti-pris est à la fois esthétique et éthique. Choisir le noir et blanc c’est s’inscrire dans l’histoire du cinéma, dans son enfance tout en rendant hommage au néo-réalisme italien, au regard de Rossellini en particulier, un de ses maîtres. D’ailleurs, Rosi projette une scène du Voyage en Italie dans la salle de cinéma vide qui, elle aussi, revient tel un leitmotiv.

Photo du documentaire Pompéi, sotto le nuovole
Pompéi, sotto le nuovole © Météore Films

Choisir le noir et blanc c’est travailler toutes les nuances de gris, la profondeur des noirs, l’intensité des blancs, c’est, à la longue, voir en noir et blanc. Le film, qui ne peut entrer dans les entrailles des volcans, remonte le temps en descendant dans nombre de cavités, tunnels, réserves, théâtres enfouis, dans le monde souterrain des vestiges que la lumière des torches sort du néant. Toute la densité de cet univers est révélée par le jeu des contrastes où s’inscrivent avec force des détails ainsi perçus. La quête de vérité de Rosi ne se limite pas au surgissement ou à la mise au jour des restes du passé. Avec rigueur et ascétisme, il filme le quotidien de quelques habitant·es de la métropole rythmé par les secousses volcaniques, les strates du temps, la catastrophe. Pompéi, sotto le nuovole n’est pas un film d’observation, mais une œuvre, une vision où la réalité est métamorphosée par les possibilités du cinéma, la recherche, les interrogations et les rencontres du cinéaste.

Entre équilibre et mouvement

Le récit chez Rosi n’est pas linéaire. Il fait confiance à la capacité de construction du spectateur en l’invitant à élaborer, à composer des significations entre les séquences. Le montage de ses précédents films s’est fait après le temps du tournage. Pour Pompéi, sotto le nuovole, tournage et montage s’effectuèrent main dans la main tout au long des trois années de composition du film. Cette nouvelle façon de travailler fait émerger des correspondances tantôt formelles, tantôt narratives entre certaines séquences. Le spectateur est ainsi guidé dans la lecture des images et dans la mosaïque des histoires. Les plans de Rosi sont toujours d’une netteté extrême, d’une grande précision et d’un parfait équilibre. Entre eux existent des temps de circularité : la ligne ferroviaire de Circumvesuviana (tout autour du Vésuve) souvent filmée de nuit, jamais bondée, longue de près de 150 km avec ses 96 gares, est le lien entre les êtres et les sites, entre la ville et ses périphéries, entre les lieux de tournage, entre les personnages du film. Les chevaux et l’anneau du champ de course parlent du présent et du passé antique, les vues aériennes en hélicoptère participent également de cette circularité, d’un retour jamais clos sur lui-même mais ouvert sur la densité des lieux et l’épaisseur humaine de tous les personnages.

Des personnages dévoués

Photo du documentaire Pompéi, sotto le nuovole
Pompéi, sotto le nuovole © Météore Films

Le dévouement est la forme profane de la dévotion. Gianfranco Rosi écoute des voix singulières, filme des individualités remarquables, dont le travail est tendu vers le secours de l’autre, la transmission, la sauvegarde, la préservation. Chaque protagoniste est animé d’une profonde humanité. Qu’il s’agisse des pompiers répondant aux angoisses des riverains face aux secousses volcaniques, des conservateur·ices, gardien·nes de statues en repos dans les réserves du musée, des archéologues japonais, travailleurs patients sur site, du procureur chargé d’enquêter sur les tombaroli (pilleurs de tombe), de Titti, l’instituteur de rue, qui accueille dans son arrière-boutique enfants et adolescents pour les aider à faire leur devoirs ou des navigateurs syriens effectuant des allers-retours entre Naples et Odessa en guerre avec des cargos chargés de milliers de tonnes de blé ukrainien, tous ont un rapport intense à ce qui fait leur vie. À cette humanité, vibrante, en marche, se juxtapose celle de la dévotion et de l’imploration des fidèles de Notre Dame de l’Arc et ses innombrables ex-voto.

Fait des bruits du monde volcanique (vapeurs, bouillonnements), de ceux du quotidien, d’une musique discrète, écho d’un temps suspendu, de silences, le film s’achève sur des images sous-marines du Nymphée de l’Empereur Claude à Baïes, laissant l’imaginaire des spectateur·rices dans un monde aquatique, voire amniotique.

Isabelle Grimaud

Bande Annonce

Rappel

Pompéi, sotto le nuovole – Réalisation : Gianfranco Rosi – 2025 – 1h53 min – Noir et blanc – Production : 21 Uno Film, Stemal Entertainment, Les Films d’ici, Arte France cinéma – Distribution : Météore Films

Pompéi, sotto le nuovole a obtenu le Prix spécial du jury à la 82ème Mostra de Venise en 2025.

Publié le 13/11/2025 - CC BY-SA 4.0

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments