Orlando, ma biographie politique
un documentaire-essai de Paul B. Preciado

Sortie en salles le mercredi 5 juin 2024.

En 1928, Virginia Woolf écrit Orlando, le premier roman dans lequel le personnage principal change de sexe au milieu de l’histoire. Un siècle plus tard, l’écrivain et activiste trans Paul B. Preciado décide d’envoyer une lettre cinématographique à Virginia Woolf : son Orlando est sorti de sa fiction et vit une vie qu’elle n’aurait jamais pu imaginer. Preciado réunit 27 personnes trans et non-binaires contemporaines, âgées de 8 à 70 ans, pour l’incarner.

Photo du documentaire Orlando, ma biographie politique.
Orlando, ma biographie politique © Jour2Fête

L’amour des cinéastes pour Virginia Woolf

Ce n’est pas la première fois que des auteur·ices de cinéma s’emparent du mythe Virginia Woolf. L’œuvre et la vie fulgurantes de l’écrivaine ont été portées à l’écran à plusieurs reprises avec différents moyens et dispositifs :

  • en guise de référence : certains se souviennent peut-être de la comptine horrifiante chantée en 1966 par Elizabeth Taylor et Richard Burton dans Qui a peur de Virginia Woolf ?, l’adaptation par Mike Nichols de la pièce éponyme d’Edward Albee. Eurêkoi vous en dit plus sur le choix de ce titre.
  • dans un éclairage biographique : d’autres se rappelleront peut-être mieux du biopic Vita & Virginia (2019) de Chanya Button avec Gemma Arterton et Elizabeth Debicki sur l’épisode amoureux entre l’écrivaine et sa consœur Vita Sackville-West.
  • dans le cadre de transpositions du roman à l’écran : le film The Hours de Stephen Daldry avec Nicole Kidman, Julianne Moore et Meryl Streep, est l’adaptation d’un roman de Michael Cunningham sur la vie et l’œuvre de Woolf en pleine création de Mrs Dalloway. Mais encore, le film éponyme Mrs. Dalloway (1997) de Marleen Gorris et La Promenade au phare (1983), de Colin Gregg, sont des adaptations des romans de Woolf à l’écran.
  • dans une perspective documentaire : pour obtenir une vision plus complète du travail et de la biographie de l’écrivaine, vous pouvez retrouver sur la plateforme Les yeux doc les deux films Les Lieux de Virginia Woolf de Michelle Porte (1981) et Virginia Woolf 1881-1942 de Dominique Lucie Brard (1999).
  • première apparition d’Orlando : Orlando, ma biographie politique n’est pas seulement un film documentaire sur un roman mais aussi un essai sur le personnage d’Orlando, jeune aristocrate anglais ayant vécu 400 années sans vieillir et ayant changé de sexe pendant son voyage à Constantinople. Avec Orlando, la réalisatrice Sally Potter présentait en 1993 l’histoire de cet adolescent traversant quatre siècles de l’histoire de l’Angleterre et changeant au passage de genre. Iel était incarné·e par la passionnante, inégalable et inclassable Tilda Swinton.

Une lettre ouverte philosophique à Virginia Woolf et aux Orlandos de toutes générations

Photo du documentaire Orlando, ma biographie politique.
Orlando, ma biographie politique © Jour2Fête

En partant du constat qu’avec Orlando, Virginia Woolf a écrit sa biographie avant sa naissance, le philosophe espagnol, militant et trans Paul B. Preciado décide de lui envoyer avec ce film une lettre ouverte et de l’adresser également à tous les Orlandos. Ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Le curateur et commissaire d’exposition, en contact avec le monde de l’art, passe pour la première fois à la réalisation d’un long-métrage et produit un hymne militant sur la poésie de la transidentité. Avant Orlando, ma biographie politique, Preciado avait pu suivre et collaborer avec les artistes visuels Virginie Despentes, Shu Lea Cheang, Dominique Gonzalez-Foerster, Banu Cennetoğlu, PostOp, Annie Sprinkle et Beth Stephens et proposer des idées philosophiques sur le thème du genre et de la sexualité. Avec ce premier film-manifeste produit par ARTE, Preciado entremêle fiction, littérature, autoportrait, philosophie et documentaire pour raconter la transition de genre ou la non-binarité de Virginia Woolf, de lui-même, d’Orlando et de ses 27 avatars. En interrogeant des Orlandos d’aujourd’hui, femmes ou hommes trans, personnes non-binaires ou dont l’appellation est toujours à conceptualiser, Preciado convoque la poésie pour réinventer une société moins marquée par la binarité de genre et moins divisée en groupes de gagnants ou perdants par le patriarcat, contre lequel Virginia Woolf s’est toujours opposée.

Après 400 années d’errance, Orlando poursuit son voyage dans le monde d’aujourd’hui et traverse les siècles et les territoires. L’œuvre littéraire brille toujours du même éclat au 21e siècle alors qu’Orlando a pu être considéré comme un roman mineur ou sibyllin dans l’œuvre de Woolf par la critique littéraire. Le roman a d’ailleurs subi différentes relectures au fil des années : relecture féministe dans les années soixante (Orlando contre le patriarcat), lesbienne dans les années 80 (l’amour entre Orlando et Sasha identifié comme celui reliant Vita et Virginia) et enfin trans dans les années 2020 (Orlando comme premier personnage littéraire transgenre). Preciado tend dans sa démarche scientifique à éclairer l’œuvre de Woolf à la lumière de ce récit, selon lui, fondateur. C’est à travers l’énonciation et la prise de parole, par la lecture ou la relecture du roman, que le film enclenche (ou pérennise) auprès des avatars d’Orlando « un processus de subjectivation politique. »

Une mise en scène théâtralisée de la parole, entre les genres

Photo du documentaire Orlando, ma biographie politique.
Orlando, ma biographie politique © Jour2Fête

Preciado produit un film sucré, généreux et coloré pour raconter les souffrances communes et trouver la force collective de faire avancer le combat. Les scènes du roman sont rejouées par les 27 Orlandos du film qui racontent en parallèle leurs propres histoires (rejets de la famille ou de la société, difficultés à recevoir des documents administratifs, obligations à consulter des psychanalystes, violences de rue…). Il n’y a aucune distinction entre les détails biographiques du personnage fictif d’Orlando et les personnes qui jouent Orlando. Ces dernier·ère·s sont mis·es en scène avec collerettes, cottes de mailles ou parures de sultan. Des scènes d’opéra, des clips musicaux ou des drag-shows interfèrent entre les prises de paroles. Ce jeu méta cinématographique provoque une distance théâtrale, comme si le film nous rappelait constamment que nous ne sommes ni dans une fiction ni dans un documentaire : on entend les discussions de préparation des acteurs, on voit la mise au point de la caméra sur les visages, on assiste à l’installation des lumières, au maquillage et à la mise en costume des personnages. Cet emballage donne un petit côté Singing in the Rain à l’ensemble. On ne sait plus ce qui est de l’ordre du jeu ou du discours, du récit littéraire ou du biographique et donc, ici du documentaire ou de la fiction.

« Pour une personne trans, la question de la représentation est une question de vie ou de mort. »

Paul B. Preciado, dossier de presse

Le sujet du film est aussi la représentation. L’importance portée à l’apparence et au physique (costumes, maquillages, poses…) met en abîme les facettes plurielles, les physiques maintes fois retravaillés, les identités multiples, décalées, imaginaires. Ainsi, la mise en scène renferme une question intime : celle de l’entre-deux, du ni-femme ni-homme, ni-hétéro ni-homo. La transidentité de genre devient une forme poétique de réinvention de soi comme un passage entre les frontières, un acte purement créatif, un coup de pinceau sur la réalité. Et ceci est présenté à travers les âges, car le film met en scène la perception publique de la transidentité au fil des époques et des générations. On est galvanisé par tous les caméos du film, de Frédéric Pierrot à Virginie Despentes, qui apportent une touche de fraîcheur et un soutien de personnes du milieu artistique et cinématographique à un film ouvertement militant.

Le réalisateur n’enjolive pas le réel, mais il tend à présenter ces traversées, parcours et physiques singuliers comme une opération esthétique et artistique. Une maïeutique pour s’accoucher de soi-même. Ainsi, avec beaucoup de fantaisie, de punch et d’humour, Orlando, ma biographie politique fait vibrer un sens du commun et du collectif. Le film laisse imaginer une terre d’accueil pour une nouvelle société plus ouverte et tolérante avec des frontières moins dessinées et visibles. Une société plus colorée et plus respectueuse. Espérons que ce rêve ne reste pas du côté de la fiction.

Marina Mis

Paul B. Preciado

Paul B. Preciado est philosophe et fait partie des penseurs contemporains sur le genre, les politiques sexuelles et le corps. Il est également reconnu internationalement pour ses activités de commissaire d’exposition. Il a été directeur de la recherche au Musée d’art contemporain de Barcelone (MACBA) et directeur du Programme d’études indépendantes (PEI), il a enseigné la philosophie du corps et la théorie transféministe à l’Université Paris VIII-Saint Denis et à l’Université de New York. De 2014 à 2017, il a été commissaire des programmes publics de Documenta 14 (Kassel/Athènes) où il a conçu le dispositif d’activisme culturel Le Parlement des Corps. Il a été commissaire du pavillon de Taiwan à Venise en 2019 avec l’artiste Shu Lea Cheang et il est l’auteur d’une exposition monographique sur l’artiste Lorenza Böttner.

Source : Dossier de presse

Bande annonce

Rappel

Orlando, ma biographie politique – Réalisation : Paul B. Preciado – 1 h 38 min – 2023 – Production : Les Films du Poisson – Distribution : Jour2Fête.

Publié le 07/06/2024 - CC BY-SA 4.0

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