Liberté de programmation en bibliothèque : la réflexion menée aux Champs Libres
par Malik Diallo, directeur des bibliothèques de Rennes
Lors du Conseil de coopération du 20 juin 2025, Malik Diallo a présenté la réflexion engagée dans les bibliothèques de Rennes autour de la liberté de programmation culturelle.
En parallèle des débats actuels sur le pluralisme des collections (journée d’étude du 8 avril co-organisée par la Bpi et la Ville de Paris, débats au Congrès de l’ABF 2025), se pose naturellement la question de la liberté de programmation. Comment créer des espaces de discussion autour de sujets de société potentiellement clivants, tout en proposant un cadre clair, à la fois rassurant et émancipateur ?
Le point de départ
Cette question, qui travaille toutes les bibliothèques proposant des médiations et de la programmation culturelle, fait l’objet d’une réflexion particulière au sein de la bibliothèque des Champs Libres à Rennes et, plus largement, au sein de Livre et lecture en Bretagne, qui a organisé un travail collectif sur ce sujet. Une réflexion a également été menée par l’ADBGV (Association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et groupements intercommunaux des villes de France), qui a organisé le 11 mars dernier une journée sur le thème « Que peut apporter la bibliothèque dans le débat entre citoyens ? »
Le point de départ de cette réflexion est le contexte politique général, et le constat d’offensives envers le pluralisme des collections, et la liberté de programmation qui en découle. L’autre point de départ est le constat que les bibliothèques disposent de nombreux outils sans en être forcément toujours conscientes. Le premier de ces outils étant la bibliothèque en soi, comme lieu utile à la démocratie.
Identifier nos limites et se donner un cadre législatif et théorique
L’un des principaux freins identifiés est la question de la formation. On hésite souvent à organiser des débats en bibliothèques sur des sujets de tension, car on estime ne pas avoir la compétence pour gérer un débat compliqué, faire face à des personnes qui viennent uniquement pour créer la polémique et enflammer le débat (l’équivalent dans la vraie vie du « troll »).
L’autre frein est la censure, (qui peut se transformer en autocensure), avec les exemples d’élus qui refusent l’invitation de personnes responsables d’associations militantes par exemple.
Or, alors que les bibliothèques sont complètement en prise avec la société, beaucoup plus que d’autres institutions, il est absurde de s’interdire d’aborder certains sujets. Par exemple sur la science, on devrait pouvoir aborder des sujets « chauds » (les vaccins, le climat…) et pas seulement des sujets dont les démonstrations scientifiques ne sont pas remises en question. Les bibliothèques sont des lieux essentiels à la démocratie, où un débat sécurisé sur ces sujets peut justement avoir lieu.
Comment s’outiller ?
Les Champs Libres ont la chance de bénéficier d’une grande marge de manœuvre dans leur programmation. Ils organisent par exemple le café des Champs Libres sur des sujets de société.
Le premier outil qu’ils se sont donnés a été de rappeler le cadre légal dans lequel s’inscrit notre action :
- la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
- la loi sur la liberté de la presse dans laquelle s’inscrit la liberté d’expression ;
- la loi sur la liberté de création ;
- la liberté académique (guide du CNRS sur l’expression publique des chercheurs)…
Si on organise une conférence, il faut accepter que tout le monde puisse dire ce qu’il veut (on ne peut pas censurer une parole avant qu’elle ait été émise), tant que cela ne contrevient pas à la loi.
Comment la mettre en œuvre ?
La condition pour cette mise en œuvre est une forme d’engagement : tout ne peut pas être dit, et s’il y a débordement, des propos racistes par exemple, une plainte sera déposée.
Plusieurs éléments ont été identifiés par les Champs Libres :
- Le travail en équipe : il est important de conscientiser ces éléments, avec les programmateurs : ne pas s’autocensurer, ne pas censurer le public, se redire entre collègues que tout peut être dit tant que c’est dans le cadre légal…
- La contextualisation : apprendre à travailler sur les conditions de présentation des idées ou des œuvres. C’est aussi savoir enquêter, s’informer sur les intervenants qu’on invite. Et savoir présenter tout cela au public (rappeler qui parle, dans quel cadre, etc).
- La formalisation : c’est le bon moment pour travailler à une charte de programmation culturelle, de la même manière que l’on formalise nos politiques documentaires.
- Le respect du pluralisme : éviter que la bibliothèque ne soit identifiée sur le champ politique.
Souvent les bibliothèques, dans leur réflexion, s’exposent au risque de se freiner dans l’action sur des enjeux vastes comme l’EMI, entre ce que la bibliothèque fait « par essence » et la volonté d’aller plus loin, avec de nouveaux projets. Se donner une boussole en interne avec des objectifs atteignables, ou des projets ciblés permet de mieux savoir ce qu’on est, où on va, quels sont nos objectifs de l’année.
Publié le 25/07/2025 - CC BY-SA 4.0