Les Joueuses (#PasLàPourDanser) De Stéphanie Gillard
Sortie en salles le mercredi 2 septembre 2020 dans la Région Auvergne-Rhône Alpes et le 9 septembre dans toute la France
Depuis une dizaine d’années l’équipe féminine de football de l’Olympique Lyonnais est devenue, au fil de ses multiples victoires dans l’hexagone et en coupes européennes, l’une des meilleures équipes de football au monde. Le film de Stéphanie Gillard est à la fois une plongée dans le quotidien des joueuses de l’OL au palmarès d’exception et un regard sur la place des femmes dans le sport.
L’Avis de la bibliothécaire
Quelques éléments d’histoire
Le football féminin a officiellement cinquante ans. Depuis la première Coupe du Monde en 1991, son ouverture aux Jeux Olympiques en 1996 et les années 2000, il est sorti peu à peu de la confidentialité et de l’ombre. L’organisation de la Coupe du monde en France en 2019 a vu sa popularité grandir au fil des matchs et un engouement populaire s’est manifesté autour des joueuses.
Des premières passes au carton rouge
Né au début du 19ème siècle en Angleterre, le football n’est d’abord pratiqué que par les hommes. Les années 1880 voient l’apparition des premières footballeuses et un premier match entre une équipe écossaise et une anglaise. Au début du XXème siècle, avant la Première guerre mondiale, ce sport, jugé néfaste pour la santé des femmes et incompatible avec l’injonction de maternité à laquelle la société les assigne, ne fait le bonheur que de quelques « garçonnes ». Les hommes partis au front et le mouvement d’émancipation des femmes pendant la Grande Guerre entraînent la création d’équipes féminines dans les usines britanniques. Un premier Championnat de France se dispute en 1918-1919. Après la guerre, le football féminin se développe, arrive en Scandinavie et émerge sur tous les continents. Il est barré dans son ascension par le conservatisme des ligues de vertus. Tandis que le foot masculin se professionnalise, la pratique du foot féminin est condamnée et l’accès aux stades interdit aux femmes. Les footballeuses européennes vont devoir jouer sans moyens, dans l’anonymat. Ainsi entravé le football féminin est à l’agonie. Il renaîtra après la Libération et avec de nouveaux droits pour les femmes, dans les années 50 en Angleterre et aux Etats-Unis où plus de 20.000 lycéennes pratiquent le « soccer » (le mot football désignant le football américain et canadien).
Victoire !
Au début des années 70 l’interdiction est (enfin) levée en France, en Angleterre et en République Fédérale d’Allemagne. En 1972, l’ « Education Act », qui condamne la discrimination sexuelle dans les programmes d’éducation, permettra le développement de toutes les pratiques sportives dont le soccer aux USA. Des fédérations nationales et internationales se créent un peu partout dans le monde. Le Championnat de football féminin est instauré en France en 1974-1975.
En route pour la huitième coupe du monde
La reconnaissance mondiale arrivera lorsque que la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), se délestant de ses préjugés, décidera de créer une structure internationale dédiée au Football féminin visant une réelle politique de développement de ce sport. Douze équipes se disputeront la première Coupe du Monde en 1991. En 1996 se seront les J.O d’Atlanta. Deux événements majeurs qui voient la victoire des Etats-Unis. L’équipe américaine domine ce sport qui est le premier sport féminin pratiqué aux Etat-Unis. Les équipes européennes n’ont de cesse, au cours des années, de combler le retard pris sur les américaines. Pour les y aider les fédérations nationales se doivent de mettre en œuvre et en actes des programmes de développement ambitieux dans l’esprit de la parité et de l’égalité des chances. La FFF (Fédération française de football) a célébré en 2020 un demi-siècle de reconnaissance de la pratique du football féminin. De 2000 licenciées en 1970 l’on est passé à 200.000 soit 100 fois plus. A partir de 2012 des actions de sensibilisation ont été menées par l’Equipe de France féminine et l’Education nationale auprès des élèves des écoles primaires pour que ce sport soit joué par des équipes mixtes dans les cours de récréation. Afin de promouvoir un très haut niveau de formation, huit pôles Espoirs ont été créés. De grandes équipes telles L’OL et le PSG ont été soutenues dans leurs aventures européennes. Un véritable espace médiatique fut offert à la huitième Coupe du Monde organisée en France (sans le Stade de France, ni le Vélodrome de Marseille, ce que l’on peut regretter). Des records d’audience non seulement pour la finale mais aussi pour les phases éliminatoires permettront sans doute de faire naître des vocations. Elles tendent aussi à montrer que ce sport est à un tournant de son histoire et que ses joueuses ont atteint un niveau technique capable d’emporter l’enthousiasme de millions de télespectateurs.
Un film à hauteur de footballeuses
« Selon moi, les gens ne s’intéressent pas au football féminin parce qu’ils ne connaissent pas les joueuses. Pour qu’il y ait de l’engouement, il faut pouvoir s’identifier à des champions – championnes. Même si elles gagnent tous les titres, si on ne connaît pas les personnalités, ça ne prend pas. Avec ce film, je voulais inviter les spectateurs à découvrir une équipe féminine. L’idée était d’entrer au cœur d’une équipe, à la rencontre de joueuses professionnelles d’exception. » Pour réaliser son projet, Stéphanie Gillard, choisit de suivre pendant une année (la saison 2018-219) l’équipe de l’Olympique Lyonnais dont le palmarès est le plus beau et le plus impressionnant du football français. Avec pas moins de cinq Coupes de France, Douze Championnats de France et cinq Coupes d’Europe (Champions league) les joueuses de l’OL forment une des meilleures équipes du monde rassemblant de nombreuses nationalités. Quoi de mieux, de plus éloquent pour entrer au cœur d’une équipe que de montrer ses membres à l’entrainement ? La séquence inaugurale, filmée le matin sur le stade d’entraînement, montre des championnes à l’échauffement sous le regard et les instructions de l’entraîneur adjoint. Les scènes d’entraînement fondées sur le retour de gestes techniques sans cesse répétés et améliorés ponctuent le film montrant l’exigence et le travail que requiert le sport de haut niveau. Les trophées, les lauriers, les coupes brandies avec fièvre ne sont jamais le fruit du hasard.
Le football selon Ada, Eugénie, Wendie et les autres
Aux images du quotidien de la préparation répondent celles des matchs où les liens très forts entre les joueuses, leur système de communication faits de mots, de regards, d’attitudes, sont à la fois une évidence et une construction tactique. Tandis que le jeu se déploie et que les encouragements des supporters sont neutralisés sur la bande-son, la parole est donnée en voix off à Ada Hegerberg, attaquante norvégienne, premier Ballon d’Or féminin 2018, la consécration dans les milieux footballistiques. Dans un sotto voce où elle rend compte de sa façon de jouer avec ses co-équipières transparaît toute sa détermination. En deux phrases elle énonce une sorte de manifeste : « Je me suis toujours considérée comme un footballeur, pas comme une femme ou une fille qui joue au foot. Pas comme une footballeuse entre guillemets. » Le football est pour Ada une question de sport, d’excellence dans le sport. Il n’a rien à voir avec le sexe ou le genre. D’autres joueuses s’exprimeront en off. Eugénie Le Sommer dont l’engagement physique va jusqu’à une blessure impressionnante au front, évoquera avec lucidité sa passion du foot difficile à faire admettre aux autres, ses doutes créés par la pression sociale. L’exemple américain est une bonne réponse à l’injonction pour les femmes de se détourner du foot. Faire changer les mentalités requiert beaucoup d’efforts. Le football, sa professionnalisation, la persévérance qu’il exige, a permis à d’autres joueuses de sortir du déterminisme social des quartiers d’origine, du cadre oppressant de traditions familiales. Pour Amandine Henry et Wendie Renard il est aussi une résilience. La perte de son père alors que Wendie n’a que huit ans. La rage de continuer à jouer pour Amandine qui, après une grave blessure, devra subir une greffe de cartilage au genou en 2008, à 19 ans.
Le football : une affaire d’équipe
Le film, tel une feuille de match, présente une à une les titulaires tout en dessinant le portrait collectif de cette équipe de rêve. L’ordinaire des joueuses est décliné, des séances d’étirements et de massage jusqu’à la lessive des maillots. Rien de leur vie personnelle et intime n’est évoqué ou filmé. Les femmes sont au travail ; dans les mouvements qui les animent et qu’elles veulent sublimer par des matchs victorieux. La cohésion de l’équipe, la camaraderie entre les joueuses, leur complicité, la joie de pratiquer ensemble une passion commune ravissent. Là, entre ces femmes, se lisent la sincérité et la simplicité de relations humaines à l’œuvre. Là, émane l’essence du football. Le groupe se nourrit de décontraction et de concentration, de professionnalisme et de légèreté, de sérieux et de rires, de travail et de plaisir. « L’ADN de la gagne » dont parle Eugénie Le Sommer a construit chez toutes un mental très fort. Aucun doute ne semble les ébranler, ne semble noircir la sérénité dont elles font montre. Le football qu’elles jouent n’est pas soumis aux enjeux financiers démesurés et par là même catastrophique auxquels est assujetti le football masculin qui perd un peu plus de son âme (déjà bien en lambeaux) à chaque « mercato » où les joueurs sont achetés et/ou échangés pour des sommes démentielles. A noter que si les unes des journaux et de magazines de sport affichent des centaines de millions d’euros pour un tel ou un tel, le film ne divulgue aucun salaire, aucune prime, aucun contrat de sponsor. Ce silence est selon moi, quelque peu embarrassant. Il participe d’une mythification et peut-être d’une mystification. Les femmes ne seraient-elles vouées qu’à la beauté de leur art sans en envisager frontalement les termes financiers ?
Le football : une affaire de transmission
Dans l’équipe se côtoient de jeunes joueuses qui ont signé leur premier contrat à seize ans comme Selma Bacha ou Melvine Malard et des joueuses d’expérience telles, Jessica Fishlock, Amandine Henry, Eugénie Le Sommer et Wendie Renard. Ces dernières ont vécu la métamorphose du football féminin, son passage de l’amateurisme au professionnalisme avec les premiers contrats pro en 2009. Deux générations de joueuses sont donc en contact. En elles, un lien fait d’échanges et de dialogues est toujours en train de se construire. Les plus anciennes ont le désir de transmettre aux plus jeunes des valeurs sportives et d’abnégation. « Ne pas devenir des princesses » tel est le maître-mot. Un élément de réalisation participe de cette transmission. En choisissant de ne pas reproduire le modèle de l’interview, Stéphanie Gillard, laisse la parole glisser de l’une à l’autre des footballeuses lors des moments de la vie du club (lors des étirements, à la cantine,…). Ce mouvement, ces passes, participent d’un état d’esprit, d’un état de sport si ce n’est hors du commun du moins très rarement vu avec cette acuité. Transmettre se travaille aussi à l’école. La passe se déploie aussi sur les bancs et dans les cours de récréation. La gardienne de but de l’OL et de l’équipe de France, Sarah Bouhaddi, n’hésite pas à aller à la rencontre d’enfants et d’exprimer avec des mots qui leur parlent toute la légitimité du « vivre / jouer ensemble », celle des filles à jouer avec les garçons à la récréation, de la légitimité des filles à parler de football, du partage que peut être le football.
Et le féminisme dans tout ça ?
Le film de Stéphanie Gillard ne lève pas l’étendard du féminisme. Bien plus subtil qu’un discours pétri d’idéologie, à sa manière très adroite, telle un dribble réussi, il pose les questions féministes en filmant avant tout une équipe de foot. Le dialogue, en salle de récupération, entre Ada Hegerberg (qui refusa de jouer la Coupe du monde pour la Norvège) et Jessica Fishlock (120 sélections pour l’équipe du Pays de Galles) est, à cet égard, éloquent. Les deux femmes poseront comme point de départ à toute évolution vers l’égalité, la notion de « respect » qui, dans le sport s’appuie sur des choses très concrètes. Etre respectées c’est avoir les moyens de pratiquer son sport en matériel, en staff, en préparation physique. C’est, pour Jessica, avoir un coach à plein temps pour son équipe nationale .C’est avoir de meilleures conditions de travail, des vestiaires convenables, de belles pelouses, de grands stades pour éprouver la fièvre, l’ivresse des grandes rencontres avec un public chauffé jusqu’à l’incandescence qui vous encourage. Avec le respect viendra l’argent concluent les deux femmes. Cela laisse rêveur ou rêveuse, c’est selon… Plus revendicatif est le sous-titre du film #PasLàPourDanser. Ce hashtag fait référence à la remarque sexiste et déplacée du DJ Martin Solveig « Savez-vous twerker ?» (le twerk est une danse sensuelle et suggestive) lors de la remise du Ballon d’Or à Ada qui répondra à ce machisme de bas étage par la négative et surtout en ouvrant la tribune « Not here to dance » sur internet où elle évoque tout ce que représente pour elle cette prestigieuse distinction, cette soirée mémorable pour elle et ses proches où elle déclara : « C’est une grande étape pour le football féminin. C’est très important pour nous, les femmes. Jeunes filles, s’il vous plaît, croyez en vous. » Ada, attaquante exceptionnelle, veut être regardée pour son travail, pour ce qu’elle accomplit dans le sport. Elle veut être traitée, respectée comme Roberto Carlos, Luka Modric ou Kylian MBappé. Il se trouve qu’elle a oublié d’être idiote, moche et grincheuse. Une image furtive illustre son propos, sa prise de position nette et sans bavure. Au premier plan un pied chaussé d’une paire de sandale à talons, qui pourrait être utilisé pour quelque danse de salon, traverse silencieusement le cadre tandis que les joueuses, à l’arrière-plan, au sortir des vestiaires, s’apprêtent à entrer sur le terrain. La séquence retentit du bruit métallique des crampons sur le carrelage. Ces femmes-là, ces championnes, ne veulent être vues que crampons au pied. D’ailleurs, des scènes, comme des virgules esthétiques, montrent à l’envi les chaussures de sport, leurs couleurs, leurs formes, leurs transparence avec un point d’orgue sur les crampons. Ces objets magnifiques subliment la course sur le terrain, aident à la performance, créent de la douleur. Ils participent de l’alchimie terre, pied, passe, tir, corner, tête, penalty, surface de réparation que recherchent sans cesse les footballeurs qu’ils soient homme ou femme en reprenant encore et toujours le chemin de la pelouse, du match, de l’entrainement.
Stéphanie Gillard signe avec Les Joueuses#PasLàPourDanser un film qui est à la fois le récit de victoires sur le terrain de footballeuses hors pair et un bel exemple de volonté de victoire sur les mentalités. Le football, sport mondialisé et image de virilité, conquiert une autre lettre de noblesse. L’aventure sportive vécue par ces femmes est véhicule d’équité et de partage. Servi par une réalisation où le son permet aux spectateurs de comprendre de l’intérieur ce qui tisse une passion, construit une tactique, crée et soude une équipe, le film, par l’engagement, la faim de matchs et la soif de trophées des joueuses, ouvre sur un nouvel horizon encore à conquérir pour les femmes dans ce sport universellement aimé. Les images de match, où le son est travaillé pour nous faire vivre les moments de jeu à hauteur des footballeuses, éveillent en nous une nostalgie en ces temps de Covid. Dans des stades tristement vides ne résonnent aucun écho des chants de supporters venus là, encourager leur équipe et qui, ensemble, font frémir les murs et les cœurs comme le Spion Kop du Liverpool Football Club et son « You’ll never walk alone » Le 30 août 2020, les joueuses de l’O.L ont remporté leur septième Coupe de la Champions league (dont cinq de suite) face à Wolfsburg. Un exploit. Des femmes à force de jeu, d’opiniâtreté et de victoires écrivent une légende du sport. Leurs homologues masculins, éliminés en demi-finale par le Bayern de Munich, « oublieront- ils », cette fois encore, de les féliciter ?
Rappel :
Bande annonce
Les joueuses#PasLàPourDanser de Stéphanie Gillard avec Ada Hegerberg, Eugénie Le Sommer, Wendie Renard, Sarah Bouhaddi, Amel Majri, Amandine Henry, Jessica Fishlock, Selma Bacha, Griedge Mbock, Delphine Cascarino, Dzsenifer Marozsan, Saki Kumagai, Melvine Malard, Lucy Bronze, Shanice Van de Sanden, Carolin Simon, Lisa Weiss, Kadeisha Buchanan, Danielle Roux, Lorena Azzara, Audrey Dupupet, Soledad James, Isobel Christiansen, Eva Kouache, Emelyne Laurent. 2020-1h27min-Production : Rouge International en coproduction avec Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma Distribution : Rouge International
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