Appartient au dossier : Voyage d’étude au Québec

L’accessibilité en bibliothèque : regard sur l’approche québécoise
par Océane Zelinski, cheffe de service médiathèque Départementale du Pas-de-Calais

En matière d’accessibilité, le Québec est un exemple phare, cité comme particulièrement en avance par rapport à d’autres pays, notamment la France. On peut se demander si cette avance est toujours d’actualité et si l’écart est encore aussi marqué entre nos deux approches. Les bibliothèques québécoises sont-elles si révolutionnaires pour le regard d’une bibliothécaire française ?

Il nous faut rappeler que la prise en compte des questions d’accessibilité est récente. Le Québec a joué un rôle essentiel dans la redéfinition de l’accessibilité. Et pour cause, ce sont des chercheurs Québécois qui ont travaillé dans les années 80 avec l’Organisation Mondiale de la Santé pour définir une version moderne de l’accessibilité. Le cœur du sujet n’est plus le handicap en lui-même mais plutôt la manière dont l’individu peut ou non interagir avec son environnement et comment adapter ce dernier pour permettre de lever les obstacles.

Banque de prêt adaptée et étagères accessibles de la bibliothèque Maisonneuve à Montréal © Bpi

Des bâtiments accessibles et inclusifs

Forte de cette image d’un Québec comme Eldorado de l’inclusion, mon premier réflexe lors des visites était de chercher les collections adaptées, pensant trouver des éditions spécialisées pour les Dys dans chaque rayon, du braille et des lecteurs Daisy dans chaque bibliothèque. Image d’Epinal que tout cela. Non, les rayonnages ne croulent pas sous le poids des livres adaptés. En revanche, les bâtiments sont pensés pour être accessibles et inclusifs.

Que ce soit par les rampes d’accès pour personne à mobilité réduite (PMR) sur les parvis, les postes informatiques et banques d’accueil adaptés en hauteur, les espaces de circulation et la présence systématique d’au moins un ascenseur par bibliothèque, une personne à mobilité réduite peut se déplacer sans difficulté dans les espaces. Là où en France le débat fait rage sur les toilettes non-genrées, elles sont monnaie courante au Québec. Le summum de l’accessibilité revient à la bibliothèque Gabrielle-Roy à Québec et sa table à langer pour adulte dans les toilettes PMR. Signe que la France a encore beaucoup de chemin à faire en la matière, jamais je n’avais songé à ce besoin et je reconnais avoir été un peu honteuse d’une telle épiphanie pour un service qui me semblait dès lors essentiel.

En revanche, l’accès aux collections physiques n’est que très rarement véritablement accessible. La recommandation française est de favoriser le mobilier bas pour garantir qu’une personne en fauteuil roulant puisse accéder à toutes les tablettes. Au Québec, les rayonnages restent encore haut, parfois autour de deux mètres de haut, rendant impossible l’accès en autonomie à la moitié des collections pour les personnes en fauteuil.

Les rayonnages très hauts de la bibliothèque de Drummondville © Bpi

Des collections accessibles centralisées et non généralisées

Mais alors, si les espaces sont accessibles, où sont les collections adaptées ? La réponse se trouve à Montréal, à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Avec un territoire très vaste et 21% de sa population âgée de plus de 15 ans avec au moins une incapacité qui limite ses activités quotidiennes, le Québec a misé sur une offre numérique adaptée d’envergure. La BAnQ abrite le Service québécois du livre adapté (SQLA), qui propose le prêt de documents physiques et numériques adaptés. L’inscription à ce service est gratuite et ouverte à tous les résidents du Québec, sans nécessité de se rendre à Montréal pour s’inscrire. En plus du frein de mobilité, le SQLA a levé celui de la justification de son handicap. Plus besoin de fournir une reconnaissance officielle de handicap de l’assurance maladie pour jouir de ce service, une simple déclaration sur l’honneur de son besoin suffit. Ainsi, l’usager n’est pas renvoyé à son handicap et toute personne qui serait temporairement en incapacité de lire ou de tenir un livre peut bénéficier de ce service sans devoir attendre le blanc-seing de l’administration.

En pratique, le SQLA, ce sont plus de 50 ressources numériques accessibles, du livre audio au format Daisy, en passant par le livre numérique en braille, et un service de sélection automatique de documents basé sur les goûts renseignés par l’usager pour l’aider dans sa recherche s’il le souhaite. Sur environ 8 millions d’habitants au Québec, ce service compte plus de 8 000 abonnés. Conscient que le tout numérique n’est pas une solution inclusive, un service d’envoi de document par la poste à tarif préférentiel a été développé afin de pouvoir desservir les résidents les plus éloignés du numérique. Ces envois postaux représentent 98% du service.

Malgré une offre de service qui semble combler toutes les attentes et tous les besoins de ses usagers, il reste à mon sens un angle mort pour l’accessibilité généralisée de ce service : le matériel pour lire ces supports. Toute personne reconnue en situation de handicap par l’assurance maladie peut demander à se voir fournir gratuitement un lecteur Daisy par exemple. Cependant, toute personne pouvant accéder aux services du SQLA sur simple déclaration sur l’honneur, sans avoir nécessairement bénéficié d’une reconnaissance de handicap, le fait de pouvoir bénéficier d’un lecteur n’est pas garanti. À ce jour, il n’est pas question pour la BAnQ ni pour les autres bibliothèques de prêter du matériel d’accessibilité pour répondre à cette demande et lever ce dernier frein. Sur ce point au moins, nombre de bibliothèques françaises n’auront pas à rougir, puisqu’elles sont de plus en plus à proposer ce service.

L’accessibilité version québécoise se caractérise donc par une approche centrée sur l’usager et ses besoins, Il reste cependant des impensés, comme la hauteur des étagères. Mais, que l’on habite Montréal ou Sakami, si l’on a accès à internet ou à un service postal, on a accès aux ressources du SQLA.

L’Eldorado de l’accessibilité ne se trouve donc pas au Québec, mais bien dans la somme des services et espaces véritablement pensés pour être accessibles à tous et en tout lieu. Cela me conforte dans l’approche de la Médiathèque départementale du Pas-de-Calais qui accompagne toutes les bibliothèques partenaires dans le développement de services accessibles.

Publié le 04/09/2024 - CC BY-SA 4.0

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