La Terre des Vertus
de Vincent Lapize

Sortie en salles le mercredi 4 juin 2025.

Les Jardins Ouvriers des Vertus existent depuis 1935 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Loués à des habitants des alentours, leur superficie est passée de 6,2 à 2,6 hectares au fil des décennies. Face aux aménagements prévus pour les JO 2024 et à la pression foncière qui menacent 17 parcelles, les jardinier·ères s’organisent pour sauver leur environnement.

Photo du documentaire La Terre des Vertus
La Terre des Vertus © À Perte de vue

Vincent Lapize réalise des films documentaires depuis 2010. Il s’intéresse aux parcours individuels alternatifs comme aux luttes citoyennes. Dans Le Dernier Continent, il a suivi pendant deux ans les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. La Terre des Vertus est une nouvelle étape sur son chemin de cinéaste accompagnateur de combats environnementaux.

Une trouée de verdure dans une banlieue bétonnée

Les Jardins Ouvriers des Vertus se situent face à la Cité des Courtillières, à 1 km du boulevard périphérique, dans une zone hautement bétonnée. Les jardins jouxtent le Fort d’Aubervilliers d’un côté et une route nationale assourdissante de l’autre côté. Les parcelles rassemblent diverses pratiques de jardinage, dont la permaculture. On y trouve aussi bien potagers, cultures vivrières, arbres fruitiers, plantes, fleurs et légumes de variétés parfois anciennes et introuvables dans le commerce. À cette multiplicité répond celle des jardinier·ères qui constituent une micro-société où les relations hiérarchiques habituelles laissent place à une sorte d’utopie. Ainsi, ces jardins sont non seulement une trouée de verdure avec poules et oiseaux dans un univers urbain très bétonné, mais aussi un lieu autre où se côtoient dans l’harmonie des êtres de nationalités et de classes sociales différentes.

Trois années de lutte

Le film fait la chronique de la lutte de jardinier·ères mobilisé·es en collectif pour défendre un espace naturel contre la bétonisation programmée par un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). Celui-ci a été adopté en février 2020, avec un permis de construire voté en juin 2020. Un bras de fer citoyen et militant s’engage contre la puissance publique pour contrecarrer les aménagements prévus, à savoir : une piscine olympique avec solarium attenant pour les JO 2024, la construction de 1 000 logements et d’une station de métro (pour la future ligne 15). Au fil du temps, des événements et des recours juridiques, le collectif sauvera plus de 4 000 m² de terre.

À la rencontre des jardinier·ères

Le film s’ouvre sur une vision végétale digne d’une jungle où une femme observe puis tire sur des lianes. Dans cette grande friche d’Aubervilliers, la nature a repris ses droits. On croirait entendre des pas de chevaux, mais il s’agit du mouvement des grues qui barrent l’horizon. En accéléré, s’aimantent des vêtements de travail, des feuilles, des pelleteuses qui arrachent. Cette scène inaugurale montre l’imminence d’un danger, d’une destruction à venir. Pour comprendre ce qui se joue dans cet espace, Vincent Lapize se rapproche de celles et ceux qui en prennent soin et le savent menacé.

Le film, tourné presque exclusivement dans les jardins, s’articule autour de séquences où alternent points de vue individuels et prises de conscience et d’actions collectives. Chaque prise de parole met en lumière des personnalités fortes, des vécus et des ressentis profonds, qu’il s’agisse d’attachement viscéral à la terre, d’histoires de transmission, d’exil, de migration, de marginalité, d’équilibre mental et physique. Lieux ouverts vers la faune (hérissons, écureuils, renards…), les jardins forment une mosaïque d’humanité et de solidarité que l’engagement amplifie, voire sublime.

Photo du documentaire La Terre des Vertus
La Terre des Vertus © À Perte de vue

« Bouturons nos colères »

Vincent Lapize nous immerge dans le quotidien des militants, ayant désormais une JAD (une zone de Jardins à Défendre), en écho à la ZAD (Zone à Défendre) de Notre-Dame-des-Landes.

Des opérations d’ampleur vont être menées : la construction d’un mur symbolique de ballots de paille, puis d’un village de la résistance en cabanes de bois pour faire face à la destruction imminente des jardins, mais aussi l’occupation jour et nuit de la JAD en juillet et août 2021, jusqu’à son évacuation ordonnée par la Préfecture. Elle est d’ailleurs suivie dans la foulée du rasage de la végétation et des arbres de la zone. Les actions comme leurs répressions sont documentées ; cependant, un accent tout particulier est mis sur l’inventivité qu’engendre la mobilisation.

La défense des jardins permet à une expression libérée et poétique de se déployer. Les actions (recours, manifestations, tractages, occupation) sont portées, soutenues par l’imagination, elle aussi en lutte. Lors d’une veillée d’occupation, Viviane lit deux de ses poèmes et partage un conte politique. Un poème en tchèque tout en nostalgie, un autre, en arabe, ode à la pluie bienvenue, donnent au film un tempo où langues et accents se mêlent. L’univers sonore repose sur une opposition entre le bruit des pelleteuses (violence mécanique au service des promoteurs) et la fragilité des harmoniques des chansons et des mélopées de la Mana, une Mexicaine qui utilise le français, l’espagnol et le nahuatl. Toute cette créativité à l’ouvrage réenchante la politique. Les manifestations dans Aubervilliers témoignent des revendications tout en s’animant de marionnettes géantes (figures humaines, animales et chimères). Des sachets de graines cueillies sur les arbres et arbustes sont envoyés vers d’autres continents, créant ainsi une symbolique de jardin-monde.

La gravité du combat écologique, mené contre l’artificialisation des sols pour une nature urbaine, est enrichie par toute une fantaisie au pouvoir, une inventivité qui n’oublie ni les conséquences du réchauffement climatique, ni les menaces qui pèsent sur la biodiversité, ni l’urgence de composer avec le vivant.

Photo du documentaire La Terre des Vertus
La Terre des Vertus © À Perte de vue

Une victoire et un gâchis

Le 2 septembre 2021, les occupants de la JAD sont expulsés et les tractopelles arrachent 4 000 m² de biodiversité et de mémoire ouvrière en quelques heures. Un patrimoine vivant est détruit au désespoir des militants qui, pourtant, ne désarment pas, allant jusqu’à s’enchaîner aux machines pour bloquer le coulage du béton sur le site où devait s’ériger le solarium. Le 20 septembre, le permis de construire est suspendu. En mars 2022, la Cour d’appel de Paris annule le PLUi. Seule la piscine d’entraînement pour les JO 2024 sera construite sur un parking préexistant, soit sur une surface déjà artificialisée. Cette victoire, qui peut faire jurisprudence pour des luttes à venir, laisse un goût amer. Le rasage de 4 000 m² est un gâchis : les parcelles ne sont plus qu’un terrain nu, un cratère entouré de palissades.

« Tant qu’il y a de la terre, il y a de l’espoir »

Ce paysage témoigne de la brutalité de la puissance publique et des promoteurs qui ont voulu prendre de vitesse les décisions d’un tribunal. Par ailleurs, le film montre les stratégies d’opacité, de rétention d’informations des décideurs institutionnels et privés. Les jardins rasés sont une blessure sévère mais non une mort : la terre des Vertus demeure. Tout y est à réinventer. La vigilance et la ténacité des jadistes devront être en alerte : le PLUi prévoit la construction d’un « pôle multimodal » (transports, commerces, logements) sur 2 300 m² de jardins.

Le film, ancré dans le temps long du travail jardinier et de l’organisation des actions de défense, souligne l’incompatibilité de deux mondes et l’opposition entre deux conceptions de la richesse : d’un côté la pression et la spéculation immobilières, de l’autre la revendication du « droit à la terre en ville ».

Isabelle Grimaud

Bande annonce

Rappel

La Terre des Vertus – Réalisation : Vincent Lapize – 2025 – 1 h 32 min – couleur – Production : À Perte de vue – Distribution : VraiVrai Films.

Publié le 03/06/2025 - CC BY-SA 4.0

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