Après Poussières d’Amérique sorti en 2011, Arnaud des Pallières continue avec Journal d’Amérique son exploration personnelle du territoire américain. Telle une fantasmagorie – l’art de faire parler les fantômes – ce long travail de montage fait revenir à la vie, le temps du film, des milliers de films issus du fonds d’archives Prelinger, pour esquisser un autre portrait du vingtième siècle états-unien.
L’avis du bibliothécaire
Poussières d’Amérique, sorti il y a dix ans, s’attachait à évoquer notamment par le texte et par la métaphore de la déforestation, la violente conquête du continent nord-américain, les massacres et l’asservissement des peuples indigènes par les colons européens puis par le gouvernement américain. Journal d’Amérique se tourne cette fois-ci vers l’histoire récente des États-Unis d’Amérique.
Des images, du son et des phrases
La forme du film est simple : chaque chapitre correspond à une entrée datée d’un journal intime, qui s’écrit peu à peu par le biais de cartons muets. Le texte alterne avec les images d’archives, tandis que la piste sonore, composée par Martin Wheeler avant le travail de montage et ainsi libérée du rythme des images, s’allonge à sa vitesse sur tout le chapitre.
Le réalisateur a composé avec le même fonds d’images que pour son précédent opus : le fonds Prelinger Archives, constitué de milliers de films amateurs et de films institutionnels (publicités, films éducatifs, industriels ou documentaires). Une immense fresque hypnotisante d’images s’enchaîne : en noir et blanc ou en couleur, parfois en accéléré ou en ralenti, du très gros plan à la vue aérienne. On nous montrera des villes et des hommes, des maisons et des voitures, des blancs, des noirs, des riches et des pauvres. Des ciels et des oiseaux, des fleurs et des forêts. Des lieux emblématiques des États-Unis. Des scènes de la vie quotidienne et des moments qui marquèrent l’histoire. À la manière d’un imagier ou un herbier (« Pense […] au profond soupir intérieur de tout ce qui vit en Amérique »), le réalisateur arrange et construit, à partir de la diversité des images, des séquences thématiques.
Chaque archive apparaît cependant sans aucune identification et laisse le spectateur se confronter à l’énigme de son origine. D’où vient cette image ? Qui sont ces gens qui apparaissent à l’écran ? Où sont-ils ? Qui l’a filmée et pourquoi ? Le sens est peut-être perdu à jamais, mais le spectateur est alors libre de prendre en charge le récit : il observe, interprète les images projetées pour reconstituer son propre périple à travers le film.
Avec les images, dialogue le texte du journal, en partie constitué de citations d’auteurs (on y croisera entre autres Jorge Luis Borges, Walter Benjamin et Mark Twain) puis découpé en fragments et psalmodié. Le texte étant débarrassé de toute ponctuation écrite, ce sont les images qui jouent ce rôle, l’interrompant pour nous montrer quelque chose. Ou est-ce l’inverse, sont-ce les morceaux de phrases qui rythment ces images ? Parfois le commentaire et les images avancent ensemble, parfois se commentent, non sans ironie. Le texte tisse les liens entre ces images, étrangères les unes aux autres, tandis que les images matérialisent le texte et convoque le réel. L’un sans l’autre, le film saurait-il tenir ?
Le souvenir, le rêve
Des Pallières n’est pas un historien, et n’endosse pas ce rôle : les archives ne sont ni datées, ni situées, et ne suivent pas l’ordre chronologique. Bien que de nombreuses archives constituent un témoignage précieux de la vie domestique américaine, on pourrait avancer que le film n’est pas un film de mémoire, mais surtout de souvenir, quand bien même ces images appartiennent à d’autres familles et lui sont étrangères. Dans un mouvement proustien, dès le début du Journal d’Amérique, le réalisateur place son œuvre sous les auspices de l’enfance et du rêve, comme en témoignent les premières phrases : « Je me souviens avoir rêvé que je trouvais des pierres précieuses […]. Je m’éveillais en pleurant, j’avais six ans. »
Le dispositif du film incite en effet à la rêverie. Aucune voix n’est à entendre, car le texte est muet et seule notre propre voix intérieure le prononce. Les images semblent émaner d’un esprit rêveur, et se suivent irrémédiablement, semblant obéir à une logique qui nous échappe. Jamais le film ne se précipite, au contraire, il laisse le temps de voir, et de revoir. C’est l’hypnose qui nous guette, et tel l’enfant de l’entrée du 15 mars, on s’abandonne à un plongeon dans un demi-sommeil sans certitude de pouvoir discerner le songe du conscient.
Guidé par les dates du journal, on avance dans ce film comme on progresse dans un labyrinthe, toujours plus loin, sans jamais savoir quel tournant il prendra. Loin de toute forme narrative conventionnelle, le film place le spectateur dans le noir et il lui est impossible de savoir quelle image sera la suivante, impossible d’anticiper la fin de la phrase.
Le cinéma et la guerre
Arrivé à la fin du film, on aura parcouru un territoire de temps et d’espace, bien réel, mais aussi un territoire de fiction, où l’on aura reconnu ces paysages américains, lointains mais pourtant familiers, car ainsi que le rappelle le réalisateur, « l’idée de l’Amérique a été façonnée par le septième art. La courte histoire des États-Unis a en effet ceci de particulier qu’elle a été documentée quasiment dès son origine par le cinéma. » L’Amérique réelle et l’Amérique filmée seraient comme deux jumelles, dont la ressemblance porte souvent à confusion.
C’est aussi un voyage en images qui survole les vies d’hommes et de femmes du passé ; presque tous ceux qui apparaissent dans le film sont aujourd’hui morts. Journal d’Amérique est un film de fantômes, son histoire est celle d’une résurrection. Telle est la puissance de vie du cinéma : comme une lanterne magique qui se met à tourner, des Pallières anime de nouveau sur sa table de montage ce qui était resté caché dans une boîte hermétique, ce qui était immobilisé dans les archives. Le rituel est presque magique : pour le spectateur comme pour un enfant, c’est la surprise de découvrir des images mouvantes, qui vivent alors une seconde naissance. Les fragments de film, chacun une poussière insignifiante de l’histoire, ramenées à la vie par la lumière du projecteur de cinéma, constituent ensemble un panorama éclatant d’un monde retrouvé. Bien sûr, tout n’est qu’illusion et tel un golem dont on efface le nom, le mouvement s’arrête lorsque survient le générique de fin. La puissance du spectacle (sous la forme du théâtre puis du cinéma) n’est pas sans danger, ainsi que l’évoquent les mots de Schopenhauer (entrée du 17 mars) puis de Brecht (entrée du 21 mars).
Si l’enfant s’éveillait en pleurant dès les premiers mots du film, c’est que le rêve est bien lucide. Le sixième chapitre met en regard le consumérisme des années cinquante avec la capacité des espèces à s’auto-détruire, puis l’entrée du 21 mars donne à lire une fable de Brecht qui convoque les inégalités et les dominations de classe, qui ravagent l’histoire du pays.
Le cauchemar n’est pas loin alors que le film clôt son parcours avec plusieurs séquences sur la Seconde Guerre mondiale. La première séquence est celle des préparatifs de la Marine américaine : les cuirassés sont majestueux et les uniformes des soldats éclatants, images heureuses de propagande de l’entrée en guerre. Dans le chapitre suivant, la grande traversée des mers ne laisse aucune place au doute, la victoire est acquise. Mais ensuite surviennent la guerre, le feu, les morts. L’histoire mondiale rattrape enfin le film avec l’entrée du 7 avril lorsqu’un témoignage de la reddition du Japon vécue depuis une salle de cinéma dialogue avec les films des essais de bombe nucléaire. Les derniers chapitres sont ceux du retour tragique du soldat à la maison : l’expérience traumatique, la dépression, puis la mort.
Le film se clôt sur ces mots : « Ma vie s’efface comme celle d’un personnage dont j’aurais vu l’histoire enfant dans un vieux film du XXe siècle. » Nos films de vacances sont tout à la fois les preuves d’un monde voué à la disparition et à l’oubli, et les vaisseaux par lesquels il pourra ressusciter le temps d’une projection.
Bande annonce
Rappel
Journal d’Amérique – Réalisation : Arnaud des Pallières – 2022 – 1 h 48 min – Production : Iwaso Films, Les Films Hatari – Distribution : Les Films de l’Atalante.
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