Histoires de la bonne vallée
de José Luis Guerín
Sortie en salles le mercredi 17 décembre 2025.
En marge de Barcelone, Vallbona est une enclave entourée par une rivière, des voies ferrées et une autoroute. Antonio, fils d’ouvriers catalans, y cultive des fleurs depuis près de 90 ans. Il est rejoint par Makome, Norma, Tatiana, qui viennent de tous horizons. Au rythme de la musique, des baignades interdites et des amours naissants, une forme poétique de résistance émerge face aux conflits urbains, sociaux et identitaires du monde.

José Luis Guerín est entré tout d’abord à Vallbona avec sa caméra super 8 et a commencé à filmer ce quartier hors normes et hors du temps. Les premières images en noir et blanc des scènes de la vie ordinaire, intemporelles, nous plongent dans l’onirisme caractéristique du réalisme poétique. Des enfants qui se baignent, des gens qui dansent, une terrasse de café déserte, un train qui passe, un terrain vague, du soleil dans les arbres… tout cela au son d’un saxophone saturé jouant du free jazz.
Puis la couleur est là et la réalité, l’authenticité reprennent leurs droits. C’est la vie quotidienne d’un quartier qui semble banal. Quel moyen le cinéaste a-t-il choisi pour entrer au cœur de ce « village », pour en approcher au plus près sa quintessence ?
José Luis Guerín décide d’organiser un casting afin de recueillir la parole de celles et ceux qui avaient envie de raconter leur Vallbona. Ces premiers entretiens, en plan fixe, d’une communauté aux visages multiples, dessinent petit à petit l’histoire de ce lieu incroyable, paradis aux ressources précieuses.
À partir de ces récits, le cinéaste nous fait voyager dans les histoires individuelles et intimes, sans voyeurisme, mais avec empathie et respect. Chaque personnage raconte son attachement à ce lieu, ses racines. La caméra de José Luis Guerín sait saisir les émotions dans des cadrages au plus près des visages. On entre dans leurs univers et chaque témoignage forme une réelle histoire collective.
Les plus ancien·nes se connaissent tous·tes et s’entraident. Iels savent que ce qui a été construit depuis tant d’années, parfois de façon illégale, doit être préservé. Iels savent qu’ici, l’eau est abondante, que l’air est pur, que la nature est florissante, mais pour combien de temps encore ? Iels savent tous·tes que le temps est compté, et qu’iels doivent être vigilants comme le dit l’un d’eux :
« Peu importe ce que tu as, l’important est qu’ils n’en tombent pas amoureux. Parce que s’ils tombent amoureux de ça, tu es perdu. »
José Luis Guerín filme chaque communauté à l’extérieur, dans leurs activités. Les gitans, joyeux et chaleureux, habitent ces lieux avec leurs chants et leurs danses. Leurs femmes se parlent d’amour et d’avenir. Antonio le « charbonnier » pleure à l’évocation de sa femme avec qui il aimait danser le tango, tout en se promenant dans les ruines de la maison qui l’abritait enfant. Une famille d’origine indienne cultive une parcelle de jardin potager dont le père connaît chaque plante et chaque graine. Deux jeunes amies d’origine arabe s’inquiètent de la violence et du racisme envers leur communauté, surtout au sein de leur lycée, de l’autre côté de la voie ferrée. Carles et ses acolytes jardiniers se retrouvent régulièrement autour d’un repas et discutent à bâtons rompus de l’hypocrisie du genre humain, mais aussi de leur reconnaissance envers la nature et de la liberté de pouvoir se construire chacun son monde.
Et puis ces scènes de vie joyeuse où les cœurs palpitent, qui se déroulent toutes en extérieur, laissent place à la froideur et la morosité des intérieurs. Tout d’abord, il y a la réunion d’information sur le chantier à venir qui va complètement bouleverser la configuration et la vie du quartier. Les gens sont inquiets, tout a été décidé sans eux. Puis la caméra s’introduit dans les appartements des immeubles qui ont remplacé les maisons individuelles. Tout semble étriqué et triste en regard des images de nature et de liberté.
Une résistance doit s’organiser, mais face aux pelleteuses et aux décisions gouvernementales la tâche est dure. Certain·es déracinent les arbres rescapés pour les replanter ailleurs, d’autres transmettent la mémoire des plantes, comme Fatima à sa petite fille.
« Je ne veux pas que le quartier change autant. Je l’aimais comme il était ». De la voix de ce petit garçon attaché à Vallbona, résonnent toutes les voix des protagonistes qui, dans une dernière scène de baignade estivale heureuse mais interdite, disent le bonheur d’être ensemble.
Chaque cadrage, chaque coupe, chaque son, incroyablement sophistiqués et pensés, forment un véritable film choral. Histoires de la bonne vallée est une ode à l’humain et à la défense collective d’une nature fragile face aux conflits urbains, sociaux et identitaires du monde.
Florence Verdeille
Bande annonce
Rappel
Histoires de la bonne vallée – Réalisation : José Luis Guerín – 2025 – 2 h 02 min – Coproduction hispano-française : Los Ilusos Films, Perspective Films, 3CAT, Orfeo Iluso AIE – Distribution : Shellac
Publié le 15/12/2025 - CC BY-SA 4.0