Girls For Tomorrow
de Nora Philippe

Sortie en salles le mercredi 10 décembre 2025.

En 2015, la réalisatrice Nora Philippe débarque à New York avec un bébé dans les bras. En quête d’alliées pour renégocier maternité et féminisme et pour repenser le monde dans lequel sa fille grandira, elle découvre Barnard College, une prestigieuse université pour femmes. Sa rencontre avec Evy, Lila, Anta et Talia, quatre étudiantes engagées, marque le début d’un voyage intime et politique qui durera dix ans. D’Obama à Trump, tandis qu’elles construisent leurs vies d’adultes, elles sont traversées par #MeToo, la crise climatique, Black Lives Matter ; elles ont 30 ans aujourd’hui et représentent les visages de la résistance.

Photo du documentaire Girls for Tomorrow
Anta, dans Girls for Tomorrow © Nora Philippe, Grande Ourse Films, Kwassa Films, BIND, Agitprop

Un portrait choral féministe

Avec Girls for Tomorrow, Nora Philippe entreprend un projet rare par son ampleur : accompagner sur plusieurs décennies quatre jeunes étudiantes américaines rencontrées à New York, au Barnard College. La cinéaste française met en parallèle de ces trajectoires les dix premières années d’éducation de sa fille à New York, puis à Paris. Le film suit ainsi un double mouvement : une enquête sur la condition féminine à l’aube du 21e siècle, et un journal intime traversé par la maternité et ses interrogations sur la transmission.

« On ne fait que des filles dans la famille », pourtant, au moment de la naissance de son enfant, Nora Philippe réalise qu’elle n’a pas de figures féminines vers lesquelles se tourner. Cette absence nourrit son désir de filmer des femmes, tout comme son sentiment d’étouffement dans un rôle assigné de mère ainsi que la solitude d’années new-yorkaises conditionnées par l’opportunité professionnelle de son conjoint. Après une période de pouponnage où elle ne se sent pas capable de refaire des films, elle focalise ses recherches documentaires sur le Barnard College, une faculté de l’université de Columbia n’accueillant que des femmes et étant très axée sur les questions queer et féministes. Dans ce campus, se sont formées plusieurs générations de jeunes filles éveillées, politisées et fières d’elles-mêmes.

Nora Philippe lance donc un projet de portrait choral documentaire au long cours pensé sur plus de trente ans de 2015 à 2045, comme si elle souhaitait figer plusieurs photographies sociologiques d’une époque. Malgré les refus des producteur·rices, elle commence à tourner la matière de ce premier long-métrage entre la première élection de Donald Trump en 2016 et sa réélection en 2024.

Photo du documentaire Girls for Tomorrow
Lila, dans Girls for Tomorrow © Nora Philippe, Grande Ourse Films, Kwassa Films, BIND, Agitprop

Little Women

Nora Philippe réalise un casting à l’université dont vont surgir quatre figures aux profils très variés et représentant chacune des causes différentes.

Lila, du Montana, bénéficie d’une bourse pour étudier les sciences de l’environnement et les civilisations asiatiques. Passionnée de nature et d’escalade, la jeune fille va au fur et à mesure des années réfléchir à la construction de son identité en tant que femme et à ses ressentis face au genre, notamment du fait d’expériences de mégenrage vécues lors d’un séjour en Chine.
Talia, venant du Wisconsin, est juive orthodoxe et féministe. Elle étudie l’anglais et la création littéraire. Youtubeuse, elle pratique la corde lisse, porte des chaussettes féministes de Rosie la Riveteuse, icône volée au patriarcat, et revendique une pratique de la religion juive laissant plus de libertés aux femmes.
Evy, la plus internationale des quatre, navigue entre plusieurs continents et plusieurs désirs : les sciences environnementales, la peinture, la politique, la cuisine. Elle rêve à court terme de devenir peintre et de vivre en Australie.
Anta, d’East Harlem, née dans une famille immigrée d’un père gambien et d’une mère panaméenne, a été élevée par un homme violent à la mort de ses parents et porte la mémoire de traumatismes. Boursière d’excellence, son parcours nous fait traverser les questions d’inégalité, de violences institutionnelles et de racisme aux États-Unis où elle se sait « femme noire dans un pays qui la traite comme un troisième genre ».

Ces quatre trajectoires s’entrelacent avec celle de la fille de la réalisatrice. L’enfant accompagne le film comme un signe de continuité, un rappel de la responsabilité transgénérationnelle et un moteur de sororité. Nora Philippe s’adresse à elle à plusieurs reprises : « Je vieillis, tu grandis ». Dans une lettre finale qui clôt une décennie de tournage :

« Ce film m’a occupée les dix premières années de ta vie, les prochaines batailles seront les tiennes. »

Les échos de la trumpisation du monde sur la vie des femmes

L’autre force de Girls for Tomorrow est de saisir la formation politique d’une génération de jeunes femmes au moment où leur pays bascule. Le film commence à l’ère Obama, dans l’énergie d’un progressisme fragile, avant que l’élection de Donald Trump en 2016 ne fasse irruption dans le quotidien des protagonistes.

 « Wrong color, wrong sex, wrong class, wrong neighbourhood » Personne ne semblait sérieusement croire à la victoire de Donald Trump en 2016, et pourtant, l’homme à la chevelure dorée remporte massivement l’élection devant Hillary Clinton.
Pour les girls du film engagées dans l’écologie, le féminisme, le postcolonialisme et la justice sociale, voilà le chaos, le vertige. Tout ce qui constitue leur identité – être queer, noire, militante, homosexuelle ou transgenre, pauvre, ou même simplement être une femme – est menacé par l’arrivée d’un président ouvertement hostile à leurs combats. Il est le représentant du patriarcat, du libéralisme et de la brutalité envers les femmes et les minorités. Elles se défendent alors à travers des mobilisations, des manifestations et des débats menés sur le campus ou dans la ville.

Photo du documentaire Girls for Tomorrow
Mobilisation, dans Girls for Tomorrow © Nora Philippe, Grande Ourse Films, Kwassa Films, BIND, Agitprop

La temporalité longue du film permet de suivre l’évolution de l’Amérique : la montée des discours antiféministes et la suppression du droit à l’avortement dans certains États, la radicalisation du sujet de l’immigration, les violences policières systémiques rendues visibles par la mort de Georges Floyd en 2020 et les manifestations massives #Blacklivesmatter qui ont suivi, la naissance du mouvement #metoo et sa déflagration dans le milieu artistique.

Des années sont moins abordées, probablement à cause de l’épidémie de Covid et du fait que la réalisatrice est repartie vivre en France. Le film s’arrête à l’aube de la réélection de Trump en novembre 2024. À nouveau, les jeunes femmes sont au bord de l’abîme, plus que jamais conscientes des conséquences de cette réélection sur l’exclusion sociale, l’accueil des immigré·es, les aides au développement, la survie des universités, la protection de la nature ou la façon dont on traite les femmes dans le monde.

Chaque étape politique produit un écho directement visible dans la vie de Lila, Anta, Evy et Talia : la peur que l’on effrite leurs identités, la crainte de l’effondrement ainsi que leur lucidité sur les failles systémiques les poussent à questionner le modèle américain.

Une bataille après l’autre

Entre journal de maternité, coming-of-age (récit initiatique), étude socio-politique et fresque chorale, Girls for Tomorrow embrasse une décennie de vie américaine à travers un regard résolument féministe et postcolonial. L’œuvre témoigne surtout d’une nouvelle sororité : celle que la réalisatrice construit avec les jeunes femmes qu’elle filme, mais aussi avec sa propre fille, à qui elle transmet les outils pour affronter les batailles à venir.

Marina Mis

Bande annonce

Rappel

Girls for Tomorrow – Réalisation : Nora Philippe – 2025 – 1 h 38 min – Couleur – Production : Grande Ourse Films – Distribution : Una Mattina Films

Publié le 05/12/2025 - CC BY-SA 4.0

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