Odile Allard et Lech Kowalski travaillent ensemble depuis des années pour créer des œuvres de cinéma engagé.
Odile, vous avez fondé Revolt Cinema en 2010, quelle en est l’origine ?
Je travaillais depuis très longtemps avec Lech Kowalski et nous avions envie de pouvoir gérer toutes les phases d’un projet, c’est-à-dire le développement, la faisabilité du film, et aussi sa distribution. Le fait d’avoir une société de production et de détenir les droits sur le film voulait dire que nous pouvions peser sur ces différents aspects. C’est ce que nous souhaitions, car c’est un peu bizarre de ne pas être propriétaire des droits d’exploitation de ses films alors qu’on s’y investit tellement et qu’on y passe énormément de temps.
Lors d’une rencontre sur les liens entre cinéma et engagement à la Bpi, Alice Diop affirmait être « rentrée en cinéma comme d’autres sont entrés en politique » notamment pour proposer des alternatives aux récits dominants. Qu’est-ce qu’un cinéma engagé pour vous aujourd’hui ?
Au début, je pensais vraiment que les films pouvaient changer le monde et je m’aperçois que c’est un peu plus compliqué que ça. En tant qu’indépendant, on se retrouve face à des grosses entreprises de diffusion, qui sont très formatées et qui ne vous laissent pas toujours dire ce que vous avez envie de dire. J’ai beaucoup accompagné de films dans les salles, je trouve important et très intéressant le rapport avec le public. Mais quand on fait un film engagé et qu’on veut montrer une réalité peu médiatisée, on ne prêche souvent que des convaincus. Les gens qui font l’effort de venir sont déjà plus ou moins sensibilisés au sujet. C’est pour ça aussi que j’ai toujours essayé de travailler avec la télévision. Je pense qu’elle a, encore aujourd’hui, un pouvoir incroyable. Quand on passe un film en début de soirée, on touche des gens, ça change les choses. Après la diffusion de notre film sur le gaz de schiste (La Malédiction du gaz de schiste, en 2013), lors d’une soirée thématique sur Arte, plusieurs personnes ont réagi en disant qu’ils avaient découvert ce sujet et que ça les avait convaincus que cette technique provoquait trop de dommages environnementaux, qu’elle ne pouvait par conséquent pas être une solution d’avenir. Si je fais des films, c’est pour montrer une réalité plus complexe que celle mise en avant par les médias dominants. Ce n’est sans doute qu’une goutte d’eau, mais c’est transmettre du savoir et, quand on sait, c’est le début du changement. Je suis très inquiète de ce qui se passe dans le documentaire. Je ne parle pas du reportage. Je fais bien la différence, contrairement à beaucoup de gens. Les documentaires sont des films sur lesquels on passe énormément de temps, à tourner, à essayer de comprendre une réalité complexe, réalité dans laquelle on s’immerge totalement pour la retranscrire à travers un montage qui, lui aussi, prend du temps pour être subtil et exact. Que le film soit le plus fidèle possible à la réalité qu’il veut montrer. C’est un vrai travail de fond qui tend à disparaître. On en produit de moins en moins parce que c’est plus difficile à financer. Je suis inquiète pour l’avenir du documentaire, son rôle et son existence. J’avais une société aux États-Unis qui s’appelait Extinkt Films et, je trouvais déjà à l’époque que le documentaire était en voie de disparition. La réalité fait peur et dérange.
Qu’est-ce que vous rencontrez comme difficultés au quotidien ?
Ce qui est difficile, c’est d’obtenir des financements. Les subventions sont plutôt disponibles dans la phase de production. Il est très difficile d’avoir un retour sur investissement, sauf cas exceptionnel, uniquement avec la distribution d’un documentaire de création. Pour obtenir les subventions et autres aides c’est très compétitif et je pense que notre côté radical à l’œuvre dans nos précédents films fait peur. Même sans financements, on peut toujours se débrouiller pour faire un film s’il nous semble nécessaire mais c’est alors plus un « hobby » car la distribution souvent ne rapporte rien. C’est quand même primordial de pouvoir vivre de son travail.
Comment faites-vous vivre les films plus anciens du catalogue ?
En 2010, on a créé notre propre plateforme de VOD, www.lechkowalski.com, sur laquelle nos films peuvent être visionnés. Et puis, nous travaillons beaucoup avec les festivals, les musées, les écoles de cinéma du monde entier pour lesquels nous organisons régulièrement des master-classes et des rétrospectives. Je pense que, grâce à ce réseau de diffusion alternative, on a réussi à faire connaître nos films. Les gens nous les demandent quand ils programment des cycles liés aux thématiques que nous explorons. On propose aussi parfois des formations dans les universités. Cela aussi devient plus difficile de diffuser les documentaires en festival, même s’il y a de plus en plus de festivals, et tous veulent l’exclusivité : la « Première mondiale ». Au début de notre carrière nous pouvions montrer nos films dans tous les pays, cette concurrence-là n’existait pas.
Est-ce que vous avez envie d’aller vers d’autres cinéastes ?
Non, la vocation de cette société a toujours été de faire des films avec Lech. Parce que faire un documentaire, c’est quand même un gros engagement. Et je n’aime pas faire mal les choses, les faire trop vite. Un documentaire de création, entre les recherches de financement, la fabrication et la distribution, c’est deux à trois ans de travail. Revolt Cinema est une microsociété et je n’ai ni l’envie, ni le temps, ni les ressources financières pour faire plusieurs films en même temps.
Comment travaillez-vous avec Lech ?
Dans le documentaire, les rôles sont beaucoup plus flous que dans la fiction. C’est aussi une question de moyens. Le tournage d’un documentaire est délicat, on dispose d’une très petite équipe. Lech tourne seul sur la plupart de ses films, même si je suis présente tout le temps. Au fur et à mesure des années, on a établi une dynamique de travail. Et puis, on vit ensemble aussi, c’est une relation où tout est un peu mêlé. J’interviens à toutes les étapes. C’est un travail à deux sur la partie création, comme sur la partie montage et diffusion. En revanche, je m’occupe des tâches administratives seule ou avec des collaborateurs, Lech ne s’y intéresse pas.
Pourquoi Lech s’est-il embarqué dans l’aventure d’On va tout péter, qui a duré plusieurs mois ? Savait-il que ce serait à ce point une aventure ?
Le film prévu à l’origine, et d’ailleurs on le voit au début d’On va tout péter, était différent. En 2017, comme nous venions de finir I Pay For Your Story aux États-Unis, Arte nous a demandé si nous ne voulions pas faire un film en France sur les élections présidentielles. Les classes populaires semblaient virer vers l’extrême droite ; nous voulions savoir si c’était un fantasme ou une réalité. On a cherché comment aborder le sujet et comment en parler. Dix ans plus tôt, quand nous étions en résidence au 104 à Paris, des ouvriers en lutte en Picardie avaient annoncé vouloir faire sauter leur usine et Lech était allé les filmer. C’était un équipementier automobile qui fermait, la Sodimatex. Les ouvriers, complètement désemparés, ne savaient plus quoi faire pour préserver leurs emplois. On s’est souvenu de cet épisode et on s’est dit que ce serait bien de voir ce qu’ils étaient devenus après toutes ces années. On a proposé ce sujet, d’autant que la Picardie est une région où beaucoup d’industries ont disparu ; il nous a semblé intéressant de retourner sur place pour voir comment se passait cette période de pré-élections. Lech y a retrouvé deux délégués syndicaux de la Sodimatex. Huit ans après la fermeture de leur usine, les ouvriers étaient toujours aux Prud’hommes à essayer d’obtenir justice. Certains s’étaient suicidés, d’autres avaient divorcé ou étaient malades. Ce n’était pas joyeux comme situation… Arte a dit oui. Un matin, pendant le tournage, j’ai entendu une chronique d’Isabelle Raymond au journal de France Inter : d’autres salariés qui voulaient eux aussi faire sauter leur usine. C’étaient les GM&S. On a eu l’idée de partir avec les deux délégués syndicaux de Sodimatex à leur rencontre. Parfois, Lech fait ça dans ses films : il suscite des réactions et des situations pour voir ce qui se passera. Il provoque la réalité. Là-bas, Lech a été impressionné par la combativité et la solidarité des GM&S. C’est vrai qu’ils ont quelque chose d’assez particulier, sans doute parce qu’ils travaillent ensemble depuis longtemps, en milieu rural, et qu’ils ont dû faire face à d’autres combats, redressements judiciaires et rachats par le passé. Ils sont très soudés. Lech a eu envie de filmer cette histoire sans se rendre compte du temps que ça allait prendre, parce qu’en fait ils ne s’arrêtent jamais, même aujourd’hui ils continuent à se battre. Ils ont une combativité extraordinaire. C’est difficile de savoir quand s’arrêter de filmer puisqu’il se passe toujours quelque chose !
Pendant le tournage, Lech a été placé en garde à vue, puis convoqué pour violence, outrage et rébellion. 400 cinéastes, RSF et d’autres encore lui ont apporté leur soutien. Quelles ont été les suites ? Qu’est-ce que ça dit de notre société, du rôle du cinéma et de la caméra ?
Nous étions en train de filmer une occupation à la préfecture avec tous les GM&S quand les CRS les ont fait sortir, mais Lech n’a pas été arrêté à ce moment-là. Nous avons suivi les GM&S au Conseil régional situé juste à côté (les deux bâtiments ont une entrée commune sur une place de Guéret). Puis, nous les avons laissés et nous sommes retournés à l’usine, avec un stagiaire, pour tourner une autre séquence, des élus devant venir en visite à l’usine. Après ce tournage, un inspecteur de police et toute une brigade nous sont tombés dessus. Ce qui était étonnant et assez lâche, c’est qu’ils ont attendu que nous soyons seulement trois (Lech, notre stagiaire et moi) pour se jeter sur Lech. C’était très violent. Ils l’ont embarqué au commissariat puis placé en garde à vue. À ce moment-là, une équipe d’Envoyé spécial était en train de tourner un sujet sur les GM&S. Ils étaient outrés, parce qu’ils n’avaient jamais vu un réalisateur se faire arrêter en France sur le simple motif qu’il filmait ; ils ne l’avaient même jamais vu dans des pays en guerre. Lech a été arrêté parce que, pendant toute leur lutte, les GM&S étaient suivis d’assez près par les renseignements territoriaux, et ça les énervait qu’on filme. Ils pensaient que ça motivait les GM&S pour lutter, ce qui était complètement faux. La police était très mal renseignée et ne savait pas du tout qui était Lech. J’ai ameuté tout le monde et tout le monde a réagi parce que c’était incroyable. C’était le début de l’ère Macron, le début d’une espèce de chasse aux indépendants et aux médias. Maintenant, on le voit bien, le gouvernement essaie de limiter la presse indépendante ou militante, Nantes Révoltée par exemple. Partout, il y a une pression sur les médias. Je suis assez soucieuse, parce que j’ai vraiment l’impression de vivre dans une dictature rampante. Personne ne dit rien parce que ça monte petit à petit, et tous les jours c’est pire. Je suis inquiète parce que Lech n’a pas été le seul à subir ça. C’était violent pour lui de se retrouver entre quatre murs, avec la lumière en continu et juste un trou pour uriner, alors qu’il avait déjà filmé dans des endroits dangereux comme l’Afghanistan, sans qu’il ne lui soit jamais rien arrivé. Tout à coup, il risquait deux ans de prison et 35 000 euros d’amende, ce qui n’était pas rien… ! Bien sûr, l’avocat nous rassurait, mais dans un procès, on ne sait jamais trop comment ça va se passer. Quand les autorités ont vu tout le mouvement qui s’est mis en marche, toutes les pétitions, ils ont eu peur et ont reculé, ce qui prouve que tout cela était bien politique et nullement justifié. Nous avons trouvé fou et violent d’en arriver là. Il y a vraiment une répression des cinéastes et des médias en France.
Est-ce que ça a eu une influence sur le cinéma d’après ?
Je ne pense pas que ça ait eu une influence. Cela ne nous a pas arrêtés mais ne nous a pas non plus renforcés. Le constat, c’est que le documentaire dérange. Le documentaire est là aussi pour dénoncer. Et d’ailleurs, conséquence directe : on ne lui laisse pas beaucoup de place. Tout est bon pour essayer de ne pas montrer la réalité telle qu’elle existe pourtant.
Le film permet de donner une visibilité à la lutte des GM&S, même des mois ou des années après, et de réactiver leur combat à chaque visionnage, est-ce aussi une des raisons pour lesquelles Lech s’intéresse à ce point à des luttes ou des personnages en marge ?
Je pense que le cinéma de Lech essaie de dénoncer l’injustice sociale qui est de pire en pire. On voit bien que les inégalités explosent. L’idée est de montrer les choses que les trois quarts des gens ne veulent pas voir. Ce qui m’a beaucoup étonnée quand on a filmé les GM&S, c’est à quel point la lutte des classes est encore très présente. J’avais plutôt l’impression que c’était un concept un peu lointain, quelque chose que j’avais étudié autrefois. Quand j’ai montré le film, des gens m’ont dit : « Ils sont quand même super intelligents », comme si c’était étonnant. Il y a des clichés assez fous, un peu comme avec les gilets jaunes que l’on prenait pour des idiots. Ça m’a vraiment choquée, tous ces poncifs encore bien vivants. En ce moment, on fait un film sur les agriculteurs et c’est pareil, l’image que l’on s’en fait n’a rien à voir avec la réalité. Il y a des clichés tenaces qui perdurent.
Le film a été présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs. Comment avez-vous vécu ce moment ?
Aller à Cannes était génial. C’est sûr que c’était le bon endroit pour avoir une visibilité mondiale, même si le travail de Lech est régulièrement suivi par les festivals internationaux. Le fait d’aller à Cannes est un gage de qualité et le film n’est pas considéré de la même façon. C’était une superbe aventure, une autre victoire de pouvoir aller dans ce milieu qui n’est pas du tout évident pour ce genre de films. Pour les GM&S, c’était quelque chose de fort. Lors de la Première, qui était une projection presse, 800 personnes applaudissaient quand ils sont entrés sur scène. Sur le plan émotionnel, c’était incroyable, tout le monde pleurait. La plupart des ouvriers avaient intégré une espèce de sentiment d’infériorité et, tout à coup, ça leur donnait confiance en eux, et ça c’était puissant. C’est une expérience qu’ils n’oublieront jamais, une reconnaissance de leur combat en dehors des canaux classiques. Mais après Cannes, ils n’ont jamais lâché, il y a eu d’autres reconnaissances, d’autres victoires notamment énormes au plan juridique. Ensuite est paru une bande dessinée Sortie d’usine, de Benjamin Carle et David Lopez. Enfin, il y a eu un livre, Ceux qui trop supportent d’Arno Bertina, qui a obtenu en mars 2022 le prix du « Meilleur ouvrage sur le monde du travail ».
Ça les a aidés à réaliser ce qu’ils avaient fait, parce qu’ils n’en sont pas toujours conscients, alors qu’ils ont une solidarité, une dignité, quelque chose d’exemplaire. Ils se battent aussi pour qu’on puisse encore travailler et vivre en région. Ils ont même écrit une proposition de loi pour que ce qu’ils ont vécu ne se reproduise pas, pour que les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants soient mieux encadrées à l’ère du règne des multinationales et de la mondialisation. C’est violent, ces grosses sociétés qui profitent de l’argent public et, au travers des mécanismes économiques, pillent tout et ne rendent rien. Quand elles ferment une usine de sous-traitants, les conséquences sont terribles pour toute une région. GM&S était la deuxième entreprise privée de la région. Deux tiers de ceux qui ont été licenciés galèrent vraiment et les trois quarts de ceux qui ont retrouvé du travail ont un salaire inférieur à celui qu’ils touchaient chez GM&S ou occupent des emplois précaires. Ils avaient raison de se battre, d’autant qu’ils savaient que la suite serait compliquée si la société fermait ou licenciait, avec une moyenne d’âge des salariés supérieure à 50 ans.
Pour l’affiche, vous avez choisi de réinterpréter « La lutte continue » de l’Atelier populaire, c’était une évidence pour vous de puiser dans l’iconographie de mai 68 ?
L’affiche a été conçue par un graphiste qui vit à Londres et avec lequel on travaille souvent. On se demandait comment montrer une usine sur une affiche. En cherchant, petit à petit, on a eu l’idée de détourner cette affiche très connue et de la remettre un peu au goût du jour, de la réactualiser, de la contextualiser avec les hélicoptères, les flics… Il y a eu énormément d’allers-retours avec le graphiste. Lech s’est beaucoup impliqué dans la conception. On travaille toujours comme ça, d’une façon très impliquée, pour tout ce qui touche au film. Pour la musique aussi. On avait envie qu’il y en ait, mais pas trop. C’est toujours un peu compliqué de trouver l’équilibre. Je n’aime pas toujours la musique dans les documentaires. Il faut trouver le moment où cela apporte vraiment quelque chose. Dans certains films, si l’image n’évoque pas le sentiment qu’on veut transmettre, on ajoute de la musique. Dans les films américains, quand on enlève la musique, il ne se passe plus rien. En fait, j’aime bien que ce soient les images qui racontent l’histoire. Pour que la musique soit bien intégrée, c’est beaucoup de travail. Pour ce film, il s’agit d’une musique originale. Le compositeur, Sal Bernardi, a passé énormément de temps dans la salle de montage à venir, repartir, proposer des choses.
Comment se poursuit aujourd’hui l’aventure du film ?
Je travaille actuellement sur un DVD. J’ai beaucoup hésité. De moins en moins de gens ont des lecteurs. Beaucoup de DVD de nos précédents films sont toujours en stock. J’étais peu motivée, mais les ouvriers tenaient beaucoup à avoir le film sous cette forme. On a finalement décidé de fabriquer un bel objet, autrement dit un livre-DVD en y intégrant des éléments spécifiques à toute cette histoire qu’on imagine et qu’on crée avec eux. Pendant qu’on était en montage, Boris Spire, le directeur du cinéma L’Écran à Saint-Denis, qui organise aussi le festival des Journées cinématographiques dionysiennes, ainsi que le programmateur d’alors, Olivier Père, nous ont contactés pour l’édition suivante du festival, baptisée « Rebel Rebel ». Il savait qu’on préparait un film sur des ouvriers et voulait qu’on montre des images. Or nous ne voulions pas montrer un film en cours de montage. On leur a demandé de nous laisser réfléchir ; nous avions l’intuition qu’on pourrait monter toute une soirée avec les GM&S. Nous avons organisé des réunions avec eux, avec l’idée de projeter quelques rushes montés. De fil en aiguille, en discutant, une autre idée a germé. Ils avaient souvent demandé à faire un débat télévisé avec les responsables de TF1, Renault, PSA et de l’État, car les réunions qu’ils avaient à Bercy, où ils étaient maltraités, n’étaient pas médiatisées. Ils voulaient que les gens se rendent compte de ce qui se passe vraiment derrière les portes de ces réunions, où personne ne peut filmer. À chaque fois qu’ils rencontraient des journalistes, ils demandaient s’il était possible d’organiser un débat à la télévision, en face-à-face, pour que les gens comprennent leurs arguments. Notre idée pour le festival était de tenir ce débat dans cette salle de cinéma de banlieue, de faire une performance où ils monteraient sur scène. Ça leur faisait un peu peur, alors on a organisé des répétitions dans un cinéma de la Creuse. On a fait plusieurs séances, on a répété les arguments. Nous avions invité les responsables de Peugeot et Renault à participer, mais ils n’ont jamais répondu, alors ce sont des syndicalistes de GM&S qui ont joué leur rôle, puisqu’ils les connaissent bien ! On a donc mis en scène cette rencontre, invitant Daniel Mermet (l’éditeur de la revue en ligne Là-bas si j’y suis) à en être l’animateur. On a également fait venir Low Society, un groupe de musiciens de Memphis que Lech connaissait, et on a montré des rushes du film. Cette performance de plus de deux heures fut une très belle soirée, et tous ceux qui ont participé en parlent encore. Il y avait aussi plusieurs caméras dans la salle, et j’ai récupéré une captation qui sera dans le livre-DVD. Ce fut un grand moment aussi parce que ces GM&S sont assez impressionnants dans leur manière d’être. Et ils ne font pas que lutter, ils font des propositions, ça a été la force de tous leurs combats. Avec leur proposition de loi, ils sont allés assez loin. Elle sera présentée au Sénat, le parcours continue, ils ne lâchent rien. Ils ont aussi une procédure en cours contre Peugeot et Renault. Ils sont décidément toujours dans l’engagement, la proposition pour faire évoluer les choses. Ils sont assez incroyables. Pour le livre-DVD, j’ai aussi souhaité interviewer des membres de leurs familles, parce que dans le film, on ne voit pas du tout l’impact sur leur cercle privé. Je souhaitais ainsi donner la parole à leurs proches et voir ce que ça faisait de vivre un licenciement en Creuse. Les GM&S ont toujours un comité de suivi. Ils viennent dernièrement de gagner aux Prud’hommes après avoir annulé le PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi). Ils sont allés jusqu’au niveau du conseil d’État pour faire confirmer l’annulation de ce PSE. Ils ont également fait réintégrer des salariés protégés injustement licenciés!
Seule ombre à ce tableau et de taille : en juin 2020, Yann Augras, un des syndicalistes, un personnage important de la lutte et par conséquent du film, est mort accidentellement en voiture… Son décès fut un choc dont ses camarades et amis ne sont toujours pas remis : « une grande claque dans la gueule », comme ils disent. Pour nous aussi ce fut un moment difficile…
Pour finir, la famille des GM&S, dont nous nous sentons partie intégrante, parvient malgré tout 5 ans plus tard à rester unie et à trouver des solutions pour ne laisser personne au bord du chemin, une solidarité qui est rare et force le respect. Je pense que c’est aussi ça qui est très particulier chez eux, la ténacité et ce sens aigu de la solidarité qui disparaît dans la société. C’est très beau.
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