Entretien avec Bénédicte Thomas, Arizona Distribution

Bénédicte Thomas propose, avec sa société Arizona Distribution, des films exigeants qui donnent un éclairage singulier sur le monde. Véritable interface entre les producteurs et les spectateurs, elle nous parle de ses débuts, de sa démarche et de son métier.

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Comment est né Arizona Films ?

Arizona Films était une société de production spécialisée dans la co-production internationale. J’étais assez proche de l’un des dirigeants rencontré sur la production de Heremakono, en attendant le bonheur d’Abderrahmane Sissako sur lequel j’étais chargée de production. En 2010, il m’a proposé de distribuer ses films. Pendant une année, j’ai fait des tests et je me suis rendue compte qu’il y avait un public, une presse, que ces films-là pouvaient exister. Le modèle économique était tout petit, mais nous pouvions défendre les films qu’on aimait. En 2011, j’ai monté Arizona Distribution qui a remplacé Arizona Films. Pendant quelques années, j’ai continué à sortir des films «maison ».  Et puis, petit à petit, j’ai élargi, à la fois pour découvrir d’autres auteurs, mais aussi pour me positionner et exister en tant que distributrice.


Vous distribuez principalement des films étrangers, pourquoi ce choix ?

Il y avait déjà ce goût chez Arizona Films pour les films étrangers, et nous avons été identifiés ainsi. Et puis, il faut le dire clairement, c’est ce qui m’excite et me plaît aussi dans ce travail : découvrir des films, des auteurs, voyager. Je ne suis pas sûre que les productions françaises aient besoin de quelqu’un comme moi. Il y a beaucoup de distributeurs, beaucoup de productions, l’offre est pléthorique et ce sont, soit des films qui coûtent très chers et demandent des frais de sortie énormes, soit qui ne coûtent pas chers du tout et peuvent être très décevants. Je suis donc restée dans cette case, parce qu’elle me plaît et que je travaille avec des réalisateurs qui mettent une énergie vitale dans leurs projets. Ce sont des films à la fois poétiques et politiques provenant de pays comme la Turquie, la Géorgie ou le Kazakhstan, où il n’est pas facile de faire des films sortant des sentiers battus. C’est vraiment ce qui me porte.

Comment se passe la rencontre avec un film?

Quand il s’agit de films « maison », je lis le scénario. C’est le cas de La Tendre Indifférence du monde qui était à Un certain regard l’année dernière à Cannes, ou de Aga. Ce sont des films que je suis depuis le scénario et sur lesquels je me positionne assez vite. D’autres nous sont proposés, c’est le cas de Still Recording, sorti il y a peu, qui est un documentaire proposé par Films de Force Majeure, producteur français installé à Marseille. Au mois de juin, sortira un documentaire brésilien que j’ai découvert en festival. En règle générale, je voyage et j’essaie de voir les films avant qu’ils n’accèdent aux festivals, pour pouvoir me positionner en amont.  Après, c’est trop tard, les prix s’envolent.

Qu’est-ce qui détermine vos choix ?

Il y a d’abord le cinéma, surtout dans le documentaire. Je suis très allergique au documentaire à thème. Je me fiche un peu du sujet. Je veux du cinéma et des auteurs. Mon moteur principal est de voir, à un moment, une personne qui a quelque chose à raconter et qui a réfléchi à la façon dont elle allait le raconter. Et puis après, il y a la rencontre. Parfois je peux aller vers des films un peu fragiles si je sens que le réalisateur ou la réalisatrice a des choses à dire et va les dire pendant longtemps. Il y a aussi le line-up annuel que j’organise de façon équilibrée. Si je sors, un film kazakh très dur, très sombre, avec une cinématographie géniale, il va me falloir en face quelque chose de plus léger, un documentaire très coloré, musical, parce que mes principaux interlocuteurs, en dehors de la partie auteurs, ce sont les exploitants. Je ne peux pas leur proposer uniquement des films difficiles.

Qu’est-ce que vous mettez en place pour la sortie d’un film ?

Nous essayons, même si nous n’avons pas des moyens délirants, de faire des sorties assez conséquentes, nous sommes aidées en cela par le CNC. Nous recréons les affiches – je crois que ça m’est arrivé seulement deux fois de garder l’affiche internationale – et les bandes-annonces, en essayant de les adapter à nos territoires. Ensuite, je travaille avec des gens spécialisés dans le hors média. Typiquement, sur Jericó nous avons fait appel aux services d’une jeune femme qui est allée taper à la porte des associations de femmes latino, des associations catholiques, des associations colombiennes. C’est vraiment un travail de fourmi sur le terrain, qui prend beaucoup de temps. Nous faisons, par ailleurs, un travail classique de distribution, en essayant de nous adapter à chaque film (affichage, publicités, partenariats, réseaux sociaux…).

Quelles sont les difficultés de la distribution aujourd’hui ?

Pour nous, le plus difficile, avec toutes les sorties hebdomadaires, c’est de montrer les films aux exploitants. Une fois qu’ils les ont vus, on peut parler. C’est un travail acharné. Il y a une forme de désenchantement de certaines salles qui vont dire « ce n’est pas pour mon public », « c’est bien mais c’est trop dur », on se heurte souvent à ce genre de réactions. Il faut toujours reprendre son bâton de pèlerin pour dire que même s’il est dur, le film vaut le coup, que ce qu’il raconte est quand même exceptionnel, ou que la mise en scène est magistrale, qu’il y a quelque chose à défendre. C’est aussi pour cela qu’il faut, au cours de l’année, avoir des propositions différentes, en gardant évidemment une qualité extrême.  Je pense que notre force est de toujours faire des propositions singulières, c’est notre identité.

Quand parlez-vous de réussite ou d’échec après la sortie d’un film ?

De façon très banale, il y a le retour sur investissement. C’est un curseur assez facile pour dire si un film a marché. Après, si on se situe dans la carrière des auteurs, qui est vraiment ce qui m’intéresse,  on peut aussi se dire qu’un film a pu ne pas marcher en termes d’entrées, mais qu’il a eu telle presse, tel intérêt, tel écho et que c’est de bonne augure pour le prochain. Ce qui est horrible, c’est quand on se fait prendre le film suivant par un distributeur plus gros. Cela arrive souvent, hélas. Still recording, par exemple, n’est pas un échec. Les entrées ne sont pas à la hauteur de ce que j’attendais, mais la rencontre avec les auteurs a été exceptionnelle. Ces garçons-là vont continuer à travailler, à faire des films, la Syrie va évoluer, bouger et leur travail va continuer à vivre. Et, phénomène rare, des spectateurs nous écrivent directement pour dire à quel point ils ont aimé le film. Il y a, à contrario, de vrais échecs où la presse, les exploitants et le public sont totalement indifférents au film.

Travaillez-vous avec d’autres distributeurs ?

C’est un travail extrêmement solitaire parce que extrêmement concurrentiel. En fait, j’ai des amies distributrices avec lesquelles nous parlons énormément. Nous essayons de nous accorder pour que nos films ne soient pas en concurrence et on s’échange des prestataires, des infos, des idées. Je fais aussi partie d’un syndicat de distributeurs indépendants, le SDI, au sein duquel il y a des structures très disparates.Cela a un coût, il faut libérer du temps, participer à des événements, mais je suis très contente. On se réunit régulièrement, on discute beaucoup, c’est là qu’on rompt un peu la solitude. Mais, au quotidien, nous sommes quand même seuls face à la stratégie, aux exploitants, à la façon dont on aborde les choses. Il y a des distributeurs qui vont aller à la bagarre, moi j’essaie d’être plus ronde parce que je suis petite et que je souhaite des rapports apaisés.

Sortir un documentaire, est-ce différent de la fiction ?

Sur le documentaire, on fait systématiquement du hors-média, parce que j’ai le sentiment que c’est comme ça qu’il faut travailler, quasiment ville par ville.  Pour chaque lieu programmé, nous contactons les associations et organisons des débats. Même si on ne fait pas de documentaire à thème, le genre s’y prête bien plus. Sortir un documentaire, c’est très différent de la fiction et c’est bien plus chronophage.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de distribuer Jericó ?

C’est très drôle, parce que je connais de très longue date la productrice exécutive du film, Émilie Frigola-Salelles. Elle m’a envoyé le film très en amont, en me disant « il faut absolument que tu le regardes ». Je venais de sortir deux documentaires que j’aimais beaucoup, Royal Orchestra et L’Ultima Spiaggia et je n’étais pas décidée à en sortir de nouveaux dans l’immédiat. Le temps a passé et je suis allée à Buenos Aires où je vais tous les ans pour voir des films. Je discutais avec une des responsables du festival de Toulouse qui m’a dit “mais enfin tu n’as toujours pas vu ce film qui n’a pas de distributeur, c’est incroyable, il a eu le prix du public à Toulouse”. J’ai donc vu Jericódans ma chambre d’hôtel et j’ai trouvé le film très sympathique. Je ne comprends toujours pas pourquoi il n’a pas trouvé de distributeur avant. J’ai conclu avec le vendeur international et seulement après j’ai rencontré la réalisatrice Catalina Mesa ; je ne la connaissais pas du tout. Et ça a été vraiment une rencontre exceptionnelle, parce que c’est une fille précieuse. C’est un film que j’ai mis longtemps à signer, mais une fois que les choses ont été lancées, les exploitants l’ont aimé, la presse aussi, le public aussi, tout s’est fait de façon très fluide. Jericó est un film qui nous a fait du bien, quoiqu’il touche avec force et douceur à des sujets complexes : la pauvreté, la religion, le sexe, l’amitié, la maladie.

Quelle est votre actualité documentaire aujourd’hui ?

Nous sortons prochainement un documentaire, Bixa travesty, que j’ai découvert  au festival Biarritz Amérique Latine. C’est un film qui a une portée politique extraordinaire. Et je voulais vraiment sortir un film brésilien que je pouvais défendre, j’ai choisi celui-là et j’en suis très fière.

Publié le 20/10/2021 - CC BY-SA 4.0

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