Devant. Contrechamp de la rétention
d’Annick Redolfi

Sortie en salles le mercredi 12 novembre 2025.

Pauline, Norah et Kristina attendent pendant des heures, assises sous une cabane en bois perdue au fond du bois de Vincennes. Devant le Centre de rétention administrative (CRA) de Paris, toutes sont venues voir leur proche enfermé. Des vies suspendues à l’attente de leur expulsion ou de leur libération.

Sur cette scène, ces femmes se racontent, échangent entre elles, partagent avec les nouveaux visiteurs leurs expériences, leurs révoltes, leurs rêves. Elles sont le reflet de la rétention, son contrechamp. Leurs mots dessinent le paysage d’une zone de non-droit en France, où la violence, l’arbitraire et l’injustice règnent en maîtres.

Visuel du documentaire « Devant. Contrechamp de la rétention ».
Devant. Contrechamp de la rétention © À vif cinémas

Un Centre de rétention administrative (CRA) est un lieu où l’État français enferme les personnes étrangères sans titre de séjour en règle afin de les expulser vers leur pays d’origine. Les personnes enfermées n’ont commis ni crime ni délit mais sont pourtant privées de liberté sous prétexte qu’elles risqueraient de ne pas se conformer à l’obligation de quitter le territoire français (OQTF). Créé en 1981, le régime de la rétention n’a cessé depuis de se durcir, passant de 7 à 10 jours en 1993, 12 jours en 1998, 32 jours en 2003, 45 jours en 2011 pour atteindre 90 jours en 2019.

Sensibilisée depuis longtemps sur les questions d’immigration et d’accueil en France des sans-papiers, Annick Redolfi, la cinéaste, décide d’installer sa caméra devant le CRA de Vincennes, situé au cœur du bois. Interdite de filmer le Centre, son dispositif contraint devient une force pour recueillir la parole.
Un abri en bois, spartiate construction qui fait office de « salle d’attente », sera le lieu de ce contrechamp d’un système carcéral injuste et inhumain.

Au fil des semaines, la réalisatrice va tisser des liens avec les femmes, cousines, oncles, frères, des détenus. 

La caméra filme des visages en gros plans qui disent la fatigue, la peur, l’anxiété. Dans ce huis clos où il fait froid, sombre, la parole se libère doucement. On se donne des conseils, on se rassure, on essaie de rire un peu, on téléphone mais, surtout, on attend son tour.
Pauline vient tous les jours voir son compagnon. Elle connaît ce lieu mieux que quiconque pour y avoir travaillé jadis. Elle essaie de garder espoir, mais chaque fois le temps d’enfermement se rallonge. « Trois mois sur une vie, c’est rien ! Tant qu’il est là, je suis là », dit-elle. Elle fait plusieurs visites par jour ; le manque est trop douloureux. Elle parle avec force et détermination de ce qu’elle voit et de ce qu’elle connaît, mais ne comprend pas pourquoi la France est devenue aussi raciste. Parquer des gens innocents, les rendre esclaves, où sont passés les Droits de l’homme ? Ces détentions peuvent détruire des familles. Quand il faut arrêter de travailler pour venir ici quotidiennement, supporter la détresse de l’enfermé et le manque affectif, l’éloignement qui isole des deux côtés.
À l’instar de cette autre Pauline, infirmière au Samu social qui vient voir le père de sa petite fille de 2 ans, arrêté sans motif alors qu’il faisait ses courses. Elle se bat et veut croire à sa libération, épaulée par un avocat ; mais de l’autre côté, les forces s’épuisent. Perte de poids, manque de soins, promiscuité, insalubrité. Car c’est bien cela que la réalisatrice veut pointer du doigt et dénoncer : les conditions épouvantables d’incarcération de ces hommes dont le seul délit est de ne pas avoir la nationalité française.
Alors qu’ils sont venus en France pour changer de vie et tenter leur chance, ils se retrouvent humiliés, violentés, et même parfois pour certains assassinés.

Ces visages sombres, ces corps qui grelottent, se recroquevillent, marchent dans la boue, sont accentués par une bande-son percutante : sirènes de police ou d’ambulance, voix des agents qui égrènent au haut-parleur les noms des visiteurs, bruits du vent et de la pluie. On devine le bâtiment dans le reflet d’un miroir de sécurité, on suit le ballet des fourgons de police qui entrent et sortent. En parallèle, dans un décalage malaisant, la vie du bois palpite avec ses joggeurs, son pêcheur, le promeneur et son chien.
Ce champ, non autorisé à être filmé, est composé d’un bâtiment d’acier à la lumière crue des réverbères et aux barbelés tranchants, qui fait face au paysage bucolique du bois dans lequel la vie semble s’écouler hors de ce chaos.
Oubliée, rejetée, non désirée, cette communauté d’hommes et de femmes se retrouve à la frontière d’un no man’s land, entre une prison que l’on tait et cet abri où l’on essaie de s’entraider et de rester dignes.
Grâce à la force de ses images et de son regard sensible, Annick Redolfi dénonce un système judiciaire unilatéral, absurde et inhumain dans lequel l’Étranger est indésirable. Elle filme une humanité « animalisée », et une société dans laquelle les mots hospitalité et liberté n’ont plus leur place. Un film essentiel.

Florence Verdeille

Bande annonce

Rappel

Devant. Contrechamp de la rétention – Réalisation : Annick Redolfi – 2024 – 1 h 18 min – Production : Iskra – Distribution : À vif cinémas

Publié le 03/11/2025 - CC BY-SA 4.0

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