La dernière relique
de Marianna Kaat

Sorties en salles en juin 2024.

Un café branché dans Ekaterinbourg en Russie. Devant la caméra, un jeune homme dénonce d’une voix douce l’esprit de cynisme et de corruption qui règne dans son pays. Un responsable de l’établissement l’interrompt : « Je ne vois pas où est la corruption ». Et il demande d’arrêter immédiatement la conversation.
Le jeune homme s’appelle Igor, il est l’un des personnages de La dernière relique de la cinéaste estonienne Marianna Kaat, présenté l’année dernière au festival Hotdocs de Toronto ainsi qu’à DokLeipzig, et aujourd’hui distribué en salles en France.
Igor milite au sein du « Bloc de gauche », un mouvement protestataire marxiste-léniniste et on le voit notamment manifester contre la démolition d’une tour de télévision.

Photo du documentaire La dernière relique.
La dernière relique © GlobeScreen.

La Russie, entre village de Potemkine et répression

D’autres opposants, plus âgés, font leur apparition. Désespérément, ils tentent de mobiliser leurs concitoyens contre le régime. Mais ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la stratégie à employer pour le renverser. Seule « récompense » de leurs actions : ils se font tour à tour arrêter et juger, lors de simulacres de procès. Leurs principaux points de ralliement sont d’ailleurs l’entrée de la prison et la salle d’audience du tribunal.

Face à cette impuissante contestation et via un montage parallèle qui rythme le film, Marianna Kaat nous présente l’establishment d’Ekaterinbourg. Son choix de cette ville est tout sauf anodin. Située à 1 000 km à l’est de Moscou, historiquement connue comme l’endroit où furent assassinés le tsar Nicolas II et sa famille en 1918, Ekaterinbourg est aujourd’hui à la fois un lieu de pèlerinage où se côtoient photos de la famille impériale, statues de Lénine et symbole de la Russie de Poutine, avec gratte-ciels et hôtels de luxe. Armée et église y font bon ménage et on assiste à de multiples manifestations officielles : défilés, processions, services religieux et autres manifestations collectives.
Sauf que tous ces rassemblements, censés affirmer l’identité de la Russie éternelle, nous paraissent particulièrement insignifiants. On frôle parfois même le ridicule, avec le « Marathon annuel tsariste du muscle », parodie d’un événement sportif où de jeunes hommes musclés s’affrontent, en hommage au tsar assassiné…
De plus, les représentants de l’autorité de l’État – juges, policiers – apparaissent pour le moins médiocres, voire incompétents. La policière censée apporter la preuve de la culpabilité de l’opposant Viktor Norkin, arrêté lors d’une manifestation, doit avouer qu’elle n’était même pas présente sur le lieu du « crime ». « C’était dans le rapport », dit-elle.
Cette ville « modèle » ne serait-elle finalement rien de plus qu’un village à la Potemkine ?

Photo du documentaire La dernière relique.
La dernière relique © GlobeScreen.

Sans aucun doute, mais le film ne s’arrête pas avec ce constat. Nous savons évidemment ce qui s’est passé en février 2022 et ce qui se passe depuis. La dernière relique a été tourné pendant plusieurs années avant l’invasion russe en Ukraine mais terminé après. La réalisatrice, qui connaît bien la Russie pour avoir fait ses études de cinéma à Saint-Pétersbourg, a retenu des signes annonciateurs de ce qui se tramait réellement derrière ce spectacle de la médiocrité.

Ces signes se trouvent surtout dans la seconde partie du film, où l’atmosphère devient pesante. Face à la répression qui se durcit, le jeune Igor semble même perdre ses repères politiques. Lui, le communiste convaincu, se rend à l’endroit même où fut enterré la famille impériale en 1918. C’est un lieu en plein milieu de la forêt où personne ne va. Parallèlement, on assiste à une procession officielle dans la ville qui commémore l’assassinat du tsar. Encore un double jeu qui souligne la forfaiture que constitue l’idéologie du régime.
Pourtant, la majorité de la population reste apathique. L’échange tendu entre nos opposants et une employée d’une cafétéria, sous-payée, surexploitée et qui essaie simplement de survivre, en est le témoignage : « Ce n’est que de l’esbrouffe, vous parlez mais vous ne faites rien. »
La réponse à l’attitude des compatriotes de Galina Koroleva, défenseure des droits des opposants, est sans illusions : « La stratégie est de dominer le monde et d’appauvrir notre pays. »

Tout culmine dans une monumentale et glaçante séquence finale qui montre le vrai visage du régime, une séquence qui résonne longtemps après dans nos esprits. À elle seule, elle mérite déjà que La dernière relique soit vu sur grand écran.

Harry Bos, programmateur à La cinémathèque du documentaire à la Bpi

Bande annonce

Rappel

La dernière relique – Réalisation : Marianna Kaat – 1 h 48 min – 2023 – Production et distribution : GlobeScreen.

Publié le 14/06/2024 - CC BY-SA 4.0

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