Appartient au dossier : Les bibliothèques qui venaient du froid : voyage d’étude en Norvège

Décors et mises en scène dans les bibliothèques d’Oslo
par Anne-Françoise Blot

Lors du voyage d’étude organisé par la Bibliothèque publique d’information en Norvège en 2023, le soin mis aux aménagements et à la mise en scène des espaces et des services a particulièrement marqué les participantes. En effet, loin d’être uniquement ornementaux, décors et scénographies participent pleinement de la réalisation des missions des bibliothèques norvégiennes.

La première loi sur les bibliothèques publiques fut promulguée dès 1935 en Norvège. Sa révision, en 2014, élargit le champ d’intervention de l’ensemble des bibliothèques de lecture publique norvégiennes et renforce leur rôle social et démocratique. Lieux ouverts à tous, « les bibliothèques publiques diffusent l’information, l’éducation, des activités culturelles et sont des espaces de rencontres indépendants, ainsi que des arènes pour les discussions et les débats publics ».

Si la volonté d’intégration des débats publics à l’activité des bibliothèques semble bien être au cœur de ce texte révisé au début du 21ème siècle, très vite, le visiteur s’interroge en parcourant les établissements emblématiques d’Oslo. Le succès du modèle norvégien des bibliothèques ne réside-t-il pas plus pragmatiquement dans la manière dont leur décor, leur mise en scène et leur modularité influencent et modernisent les liens entre les professionnels et le public ? Ne sont-ils pas la clef majeure d’une fonction politique et sociale globale des bibliothèques, réussie et inspirante ?

Les quatre établissements visités à Oslo présentent des superficies et des identités différentes. Trois sont des bibliothèques de quartiers, dont deux accueillent tous les publics (Deichman Tøyen, Grünerlokka) et l’une est réservée aux jeunes de 10 à 15 ans (Deichman Biblio Tøyen). Enfin la Deichman Bjørvika Bibliothek, inaugurée en 2020, est, avec ses 13500 m2, la médiathèque centrale d’Oslo.

Associer les fonctions et les usages sans les hiérarchiser

Commençons notre visite dans les quartiers. On perçoit très vite l’ADN commun aux trois établissements. Il se traduit tout d’abord visuellement : la somme des fonctions des bibliothèques et des décors proposés est impressionnante. Sans hiérarchie des savoirs et des pratiques, elle bouscule le parcours du visiteur qui passe de l’ambiance studieuse au jardin, du jardin à la cuisine, de la cuisine à l’atelier, de l’atelier à la salle de jeux, de la salle de jeux aux décors oniriques des espaces jeunesse.

Toutes les activités sont possibles : étudier, jardiner, cuisiner, déguster, bricoler, coudre, écouter, jouer, lire, rêver, créer. La bibliothèque reconstitue symboliquement l’espace domestique en plantant successivement tous ces décors.

Combiner le collectif et l’individuel

Dans une ville où 50% des habitants vivent seuls, les bibliothèques, aidées par leur amplitude d’ouverture exceptionnelle, sont des lieux d’entraide et de socialisation. Dans un quartier comme Tøyen, où la population vit souvent dans de petits appartements et manque d’espace, elles sont des lieux de communauté naturels et privilégiés, tout en ménageant à chacun·e le choix d’activités individuelles ou collectives. Elles sont des lieux de fréquentation familiale par excellence mais peuvent aussi jouer un autre rôle social.

Ainsi, la Deichman Biblio Tøyen, réservée aux 10-15 ans et dont les adultes sont expressément exclus, est un univers onirique et spectaculaire. L’équipe, très diversifiée y porte un très fort engagement d’éducation et d’insertion. Les bibliothécaires, psychologues, éducateurs, enseignants, cuisiniers, jardiniers, se côtoient et rythment le quotidien de l’établissement avec la participation et l’implication des publics, pleinement acteurs du fonctionnement de ces espaces. Il n’est pas étonnant que dans ce théâtre commun qu’est la Deichman Biblio Tøyen les rôles de chacun·e soient ainsi étendus et interactifs.

Privilégier la modularité

Outre ces décors et matérialisations fortes des fonctions des bibliothèques, la modularité est l’atout majeur de l’ensemble de ces établissements qui tous offrent des espaces scéniques transformables et aménageables, qu’ils soient situés au cœur des espaces de la bibliothèque (Günerlokka) ou dans une partie du bâtiment.

L’event room de la Deichman Tøyen en est la parfaite illustration. Ouverte depuis 2022, elle est totalement modulable. Grâce à un ingénieux système de panneaux et d’éclairage, elle devient tour à tour, selon les besoins et les heures, café des langues, aide scolaire, atelier informatique, salle de concert, d’exposition, de théâtre ou simplement espace public auquel chacun peut accéder avec une gestion d’accès facilitée en dehors des heures d’ouverture.

Deichman Bjørvika Bibliothek : le grandiose accueillant

Continuons et terminons ces visites par la découverte de la Deichman Bjørvika Bibliothek, le navire amiral du réseau d’Oslo.

Au creux de l’Oslofjord, le bâtiment de 13 500 m2 semble symboliquement amarré à la rive. Son imposante structure recèle la même variété de décors et mises en espaces que les bibliothèques de proximité.

Dès l’entrée de la bibliothèque, la mise en scène débute par l’atrium monumental et l’accrochage de Brainstorm qui attire immédiatement le regard. Œuvre hautement symbolique, conçue par l’artiste norvégien Lars Ø Ramberg, elle est composée de 400 mètres de tube néon lumineux blanc et jaune, et symbolise l’évolution du rôle des bibliothèques depuis le siècle des Lumières jusqu’à aujourd’hui.

« Notre siècle exige une nouvelle intelligence multiforme et collective. Brainstorm est un moyen de développer ensemble une nouvelle intelligence ».

Lars Ø Ramberg.

Mobilier et éclairages, facteurs de confort et de majesté

Comme au théâtre, les lumières font l’objet, dans l’ensemble du bâtiment, d’un soin tout particulier. Dans un pays où l’amplitude quotidienne de la lumière naturelle varie d’environ 6 heures au mois de décembre à presque 19 heures au mois de juin, l’objectif est d’éviter l’éclairage uniforme et habituel dans les institutions et les administrations. Toutes les lumières intérieures sont réglées automatiquement pour re-créer les atmosphères des différents moments de la journée et offrir à chacun une expérience sensible du défilement des heures.

Baigné dans cette atmosphère, le visiteur découvre tout d’abord les collections. Le choix du mobilier s’est porté sur des rayonnages noirs qui intensifient l’effet précieux et muséal. Habilement remises en valeur par un éclairage magnétique intégré, les collections deviennent des objets précieux de valorisation dans des vitrines qui mêlent ancien et contemporain.

Une richesse de propositions matérialisée par le foisonnement des espaces et des mises en scène

Puis, d’un espace à l’autre, la succession des propositions, qui s’expriment à travers la variété foisonnante d’activités et de mise en scène, fait rapidement resurgir l’ambition sociale et collective du réseau des bibliothèques d’Oslo.

Si la superficie et les volumes rendent l’exercice complexe, il est de toute évidence réussi. Il est notamment facilité par le jeu des six niveaux reliés avec fluidité par les escalators.

La grande richesse des collections et de l’offre de l’action culturelle cohabitent avec les nombreuses activités proposées aux usagers : pratique instrumentale, jeu de palets, codage de données, studio d’enregistrement de podcasts, impression 3D, couture etc. Ces ateliers permettent aux usagers d’échanger des savoir-faire et de devenir acteurs et moteurs dans le fonctionnement des différents espaces.

Tous les ingrédients sont présents pour redéfinir l’intelligence collective symbolisée par le Brainstorm qui accueille le visiteur. Le large spectre des services publics bouscule la notion même de service public. Il y ajoute celle de service créé par le public, car ces propositions permettent au public d’être lui-même médiateur de savoirs.

Ainsi le projet de la Deichman Bjørvika Bibliothek, bibliothèque centrale d’Oslo, a réussi la prise en compte globale de l’ensemble des missions des bibliothèques, telles que redéfinies par la loi révisée de 2014. En effet, elle intègre à son équipement non seulement une salle de rencontre et de débats politiques, « arène pour les discussions et les débats publics », mais également l’ensemble des ingrédients de sociabilité et d’inclusivité des autres bibliothèques du réseau d’Oslo. Cette synthèse opérée avec succès justifie, parmi d’autres atouts, le titre de « meilleure bibliothèque publique 2021 du monde  » décerné par le jury de l’IFLA.

Anne-Françoise Blot est responsable du département Collections et médiations de la Bpi.

Publié le 17/11/2023 - CC BY-SA 4.0

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